Les gouverneurs propriétaires, 1610-1728

L'histoire des gouverneurs propriétaires de Terre-Neuve a débuté en 1610 avec l'affectation de John Guy à titre de premier gouverneur. Après avoir visité l'île en 1608, ce marchand très impliqué dans la communauté d'affaires de Bristol a rédigé un tract prônant la colonisation anglaise à Terre-Neuve. Avec le soutien de la société London and Bristol Company, il a déposé une demande officielle auprès du gouvernement britannique afin qu'on lui accorde la permission d'établir une colonie à Terre-Neuve. En compagnie d'un petit groupe de colons, John Guy a pris la mer à Bristol et a débarqué à Terre-Neuve en août 1610 pour fonder la colonie de Cupids, dans la baie de la Conception.

Timbre commémoratif de John Guy, 1910
Timbre commémoratif de John Guy, 1910
En 1910, Terre-Neuve a émis un timbre commémoratif pour célébrer le 300e anniversaire de la fondation de Cupids par John Guy. Cupids était la deuxième colonie anglaise la plus ancienne du Nouveau Monde après Jamestown, en Virginie. Guy a été le premier gouverneur propriétaire de Terre-Neuve.
© 2018, site Web du Patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador.

John Guy et la colonie d'Avalon

L'établissement de la colonie de John Guy a inauguré l'ère des gouverneurs propriétaires (gouverneurs des propriety colonies) à Terre-Neuve. Cette implantation n'était pas une colonie officielle, mais plutôt une entreprise commerciale sanctionnée par la Couronne. Il ne s'agissait pas d'une entreprise privée au sens moderne du terme. Une charte octroyée par Jacques 1er à la London and Bristol Company, une société de capitaux dont les parts avaient été achetées par 40 investisseurs, constituait le fondement juridique de cette entreprise de peuplement. Même si cet octroi n'accordait pas le statut de colonie à Terre-Neuve – ce territoire n'ayant pas reçu de charte royale avant 1825 –, il lui conférait toutefois certains droits, libertés et pouvoirs. Comme les chartes gouvernant les autres colonies anglaises en Amérique, il s'agissait d'un genre de contrat administratif entre le souverain et l'entreprise ou les individus responsables de veiller à la supervision de la colonie. En tant que gouverneur d'une colonie dont les règles étaient définies par une charte, Guy devait assumer une foule de responsabilités légales. Afin de protéger leur investissement, les souscripteurs ont rédigé une liste d'instructions détaillées ordonnant notamment à John Guy de s'assurer que les colons ne restent pas inactifs et que les services religieux soient acquittés régulièrement. Les fauteurs de troubles devaient être retournés en Angleterre par le premier bateau disponible et renvoyés publiquement de la compagnie. La colonie de John Guy n'était pas assujettie au droit anglais, mais elle était néanmoins régie par un ensemble spécifique de lois et de règlements écrits.

Sir George Calvert, 1er baron Baltimore, vers 1615-1620
Sir George Calvert, 1er baron Baltimore, vers 1615-1620
En 1621, George Calvert a réussi à établir à Ferryland l'une des premières colonies permanentes anglaises du Nouveau Monde.
Tableau de Peter Oliver. Œuvre appartenant au domaine public via Wikimedia Commons

Autres tentatives de colonisation

Au 17e siècle, il y a eu au moins six autres tentatives sérieuses de colonisation anglaise à Terre-Neuve, ce qui a donné lieu à un enchevêtrement de revendications politiques et de compétences légales. Alors que George Calvert (1er baron Baltimore) se voyait octroyer une charte individuelle pour fonder une colonie à Ferryland, d'autres propriétaires, comme William Vaughan, achetaient des terres directement de la London and Bristol Company. Lorsque sir David Kirke est devenu copropriétaire en vertu d'une charte attribuée à la Company of Adventurers (Compagnie des marchands aventuriers) en 1637, il a assumé le poste de gouverneur et pris possession de Ferryland. Mais Kirke s'est fait des ennemis politiques dangereux et s'est aliéné de nombreux marchands du West Country (le sud-ouest de l'Angleterre). Cecil Calvert (2e baron Baltimore) a défendu rigoureusement la validité de la charte qui concédait Ferryland à sa famille : il a intenté des poursuites judiciaires contre Kirke, qui est mort dans une prison anglaise en 1654, mais il n'est pas parvenu à exercer un contrôle local sur la colonie.

Sir David Kirke, 1597-1654
Sir David Kirke, 1597-1654
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (MF 231- 4.11), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Image retouchée par Wendy Churchill, 1999.

La loi relative aux gouverneurs propriétaires n'a jamais été établie avec fermeté, car leurs colonies n'ont jamais réussi à prospérer. Au 17e siècle, aucune de ces entreprises risquées n'a réalisé de profits, ce qui a poussé de nombreux investisseurs à la faillite, et les revenus insuffisants ont freiné le désir du gouverneur de développer une infrastructure locale. Les coûts de la colonisation étaient élevés – le baron Baltimore avait dépensé plus de 20 000 £ dans cette entreprise – et les colonies ne sont jamais parvenues à atteindre l'autosuffisance économique. Alors que la population de l'île ne parvenait pas à croître assez rapidement pour justifier la mise sur pied d'institutions gouvernementales officielles, les gouverneurs propriétaires et leurs bailleurs de fonds étaient souvent pris par d'autres affaires en Angleterre. Ils étaient, à plusieurs égards, à l'image de leur époque – l'Angleterre du 17e siècle a connu une révolte politique et sociale dramatique qui a abouti à la guerre civile et à l'exécution de Charles 1er en 1649 – et cette instabilité a nui aux efforts visant à obtenir du soutien pour la colonisation de Terre-Neuve.

Le système des gouverneurs propriétaires

Le système des gouverneurs propriétaires s'est perpétué sous différentes formes jusqu'en 1729, soit au moment de l'affectation du premier gouverneur de la marine. Dans leur ensemble, les administrations de John Guy et de ses pairs représentent une période unique de l'histoire de la gouvernance à Terre-Neuve. Les gouverneurs propriétaires n'ont légué aucune marche à suivre aux gouverneurs de la marine; en fait, les divers modes de fonctionnement de la pêche migratoire, dont le système des amiraux de la pêche, ont eu une influence beaucoup plus grande sur l'évolution du gouvernement de l'île. Ils nous ont toutefois laissé un héritage d'histoires fascinantes composées d'épreuves et d'intrigues dignes des meilleurs romans d'aventures. Par exemple, en 1612, alors qu'il vivait à Cupids, John Guy devait veiller non seulement à l'administration de la nouvelle colonie, mais il devait aussi négocier avec le célèbre pirate Peter Easton, qu'il a convaincu de cesser de harceler la colonie. Bien que les gouverneurs propriétaires n'aient pas réussi à créer une colonie prospère, leur histoire tumultueuse est devenue une partie importante de notre mémoire culturelle.

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