La carrière de Bond tire à sa fin
Extrait des archives de The Gazette 18 novembre 1999.
Lisez ci-dessous le quatrième et dernier d'une série d'articles sur la vie et les réalisations de Sir Robert Bond, l'un des politiciens les plus influents de l'histoire de Terre-Neuve.
Durant la campagne électorale du 2 novembre 1908, Bond se contente de faire valoir ses succès, ainsi que la prospérité et la stabilité apportées par son gouvernement durant les quatre années précédentes. Edward Morris arrive avec une plateforme élaborée, promettant une large gamme de programmes et de politiques. Ce sera une campagne acharnée, surtout axée sur les comtés de la baie de la Conception, où la victoire tient souvent à quelques voix. À l'annonce du résultat final, les deux partis sont ex aequo, ayant chacun remporté 18 des 36 sièges à l'Assemblée.
Le fouillis constitutionnel qui s'ensuit demeurera inédit dans l'Empire britannique. Morris exige la démission immédiate de Bond. Ce dernier proteste qu'il est en droit de rester au pouvoir tant qu'il n'est pas battu par un vote à la Chambre d'assemblée. Or, pour convenir les députés à la Chambre, Bond doit nommer un président parmi ses propres députés, ce qui le mettrait en minorité : en effet, le président ne peut voter qu'en cas d'égalité des voix. Ceci dit, si Morris devenait premier ministre, il se trouverait devant la même situation. L'ouverture de la Chambre, qui devait avoir lieu le 9 février 1909, est retardée jusqu'au 25 février, un des ministres de Bond étant hors de la ville.

Dans l'intervalle, Bond demande au gouverneur MacGregor de dissoudre la Chambre et de déclencher une nouvelle élection; devant le refus du gouverneur, Bond remet sa démission. Le 3 mars, après que Morris l'ait assuré qu'il serait en mesure de former un gouvernement, le gouverneur l'invite à devenir premier ministre. Morris appelle la Chambre à siéger, mais se trouve incapable d'y élire un président. Le 31 mars, à la requête de Morris, le gouverneur accepte de dissoudre la Chambre et de convoquer une nouvelle élection pour le 8 mai 1909.
Cette élection avantage Morris, qui se trouve à être premier ministre et leader du parti au pouvoir, alors que Bond est leader de l'opposition : le Parti du peuple fait élire huit députés de plus, ce qui lui donne une majorité sans équivoque de 26 sièges contre 10 dans la Chambre. Au cours des quatre années suivantes, à titre de chef de l'opposition, Bond offrira des alternatives à la plateforme législative de Morris, mais il n'est pas heureux dans l'opposition et ne désire pas y demeurer.
Le jour-même de l'élection du 2 novembre 1908, la première de deux rencontres avait eu lieu à Herring Neck, dans le comté de Twillingate. Convoquée par William F. Coaker, un homme de St. John's devenu agriculteur sur une petite île au large de Twillingate, cette réunion avait pour objet de sonder l'intérêt des pêcheurs et d'autres travailleurs envers la formation d'un syndicat. Ces deux réunions allaient donner naissance à la Fishermen's Protective Union, dont Coaker sera le premier président. Lui et ses collègues passeront les années suivantes à syndiquer les habitants des côtes nord-est et nord, aussi loin vers le sud qu'autour de la baie de la Conception et vers le nord qu'au bout de la péninsule Great Northern. Ils créent aussi le Fishermen's Advocate, un journal qui diffusera leur message, et la Fishermen's Union Trading Company, qui va agir comme fournisseur et organisme de marketing central du syndicat. À sa convention annuelle en 1911, ses membres approuvent la création d'un parti politique syndical qui présentera des candidats à l'élection suivante, attendue en 1913.
Coaker et Bond se connaissaient bien. De fait, Coaker avait déjà agi comme président de l'Association libérale de Twillingate, comté représenté par Bond à la Chambre d'assemblée. En 1902, Bond avait aidé Coaker à obtenir un emploi de télégraphiste et de maître de poste à Herring Neck. Les deux hommes s'étaient cependant brouillés, si bien que Bond n'est pas convaincu quand Coaker lui suggère la possibilité d'une coalition entre le Parti libéral et celui du syndicat. Ils finissent toutefois par s'entendre pour se partager les sièges des comtés où ils présentent des candidats. Le syndicat présentera neuf candidats : un des deux à Bay de Verde, trois à Bonavista, un à Fogo, un à Port de Grave, deux des trois à Trinity et un des trois à Twillingate. Le Parti libéral soumet des candidats pour les 27 autres sièges.
Morris annonce une élection générale pour le 30 octobre 1913. Commettant ce que plusieurs historiens appelleront une grave erreur tactique, Bond axe sa campagne sur les régions où le syndicat est dominant, au lieu de laisser Coaker s'en occuper et de batailler pour les sièges marginaux de la baie de la Conception. Peut-être son orgueil lui interdisait-il de croire que le syndicat était aussi fort qu'il le prétendait dans les comtés ruraux de Terre-Neuve. Morris livrera une campagne énergique dans la baie de la Conception et sur la côte sud et sa stratégie paraît avoir porté fruit : malgré la perte de huit sièges (Bay de Verde, Bonavista, Port de Grave et Trinity), son Parti du peuple remporte deux sièges dans Burin et un dans St. John's East, obtenant une majorité de six sièges. Tous les candidats du syndicat sont élus, sauf un qui perd par 10 voix dans le comté de Bay de Verde. En conséquence, le parti du syndicat se retrouve avec un député de plus que les Libéraux et deviennent l'opposition officielle.
Bond n'est pas disposé à passer trois ou quatre années de plus dans l'opposition. Cet un homme très fier, qui accepte mal le rejet, a sans doute du mal à reconnaître que Coaker, son assistant de jadis, a non seulement remporté plus de sièges que lui à la Chambre, mais que le syndicat contrôle aussi quatre des sièges du nord qui ont élu des Libéraux, y compris son propre comté de Twillingate. Le 14 janvier 1914, avant la réouverture de la Chambre d'assemblée, Bond remet sa démission. En dépit des nombreux efforts déployés pour le faire changer d'avis, en particulier en 1919, jamais plus il ne va s'engager dans politique terre-neuvienne.
Durant sa retraite, Bond s'installera à plein temps à la Grange, son domaine de Whitbourne. Première ville établie à l'intérieur de Terre-Neuve, Whitbourne avait été fondée en 1883 pour servir de nœud ferroviaire quand on avait décidé que la ligne secondaire de Harbour Grace rejoindrait la ligne principale à ce niveau; de fait, on l'a appelée plusieurs années Harbour Grace Junction. Peu après la création de la communauté, Bond avait fait l'acquisition d'environ huit milles carrés dans ses environs et y avait fait aménager un petit chalet de chasse. Il y fait ensuite construire la Grange, une grande résidence de style édouardien, où il passera tout le temps qu'il pourra et dont il fera éventuellement son domicile. Sa mère y vivra avec lui durant sa vieillesse, au moins une partie du temps, et elle y mourra en 1900. En 1908-1909, sa nièce Roberta, fille de son frère George, vient y vivre avec lui tandis que son frère séjourne en Chine et au Japon. Sarah Roberts, la cousine de sa mère, va également y agir comme gouvernante pour Bond durant de nombreuses années.
À la Grange, Bond a voulu recréer une maison de campagne anglaise. Il y a fait planter des milliers de plantes à fleurs, d'arbustes et d'arbres qui n'étaient pas indigènes à Terre-Neuve. Il y a expérimenté la culture de divers types de légumes et y a élevé des bovins de race Ayrshire, dont il vendait le lait. Il a fait aménager des allées et des terrasses sur les terrains parsemés de statues, d'urnes et de lampes au gaz. Dans son testament, Bond léguera le domaine à la population de Terre-Neuve, mais le gouvernement de l'époque, craignant les coûts de son entretien, refusera ce cadeau. Son frère George va y vivre jusqu'à son décès en 1933 et son fils, Fraser Bond, y séjournera à l'occasion jusqu'en 1949, année où il en cédera les droits au gouvernement de la nouvelle province. En moins d'une année, le bâtiment sera démoli et ses terrains rendus à leur état naturel.
Robert Bond a été fait compagnon de l'Ordre de St-Michel et St-George et anobli par le Duc de Cornwall (le futur roi George V) durant sa visite à St. John's en 1901. De passage en Angleterre l'année suivante pour assister à la Conférence coloniale, il est assermenté au Conseil privé de l'Empire et reçoit le titre de très honorable à vie. Durant cette visite de 1902, l'Université d'Édinbourg lui décerne un doctorat honorifique en droit et il reçoit les clés des villes de Londres, Bristol, Manchester et Édinbourg. Resté célibataire toute sa vie, Sir Robert Bond est mort à la Grange après une courte maladie le 17 mars 1927, et a été inhumé à Whitbourne. Un vitrail à sa mémoire a été installé le 7 septembre dans l'Église anglicane St. John the Baptist.
Le fonds de Sir Robert Bond consiste en un mélange de documents personnels et politiques datant d'avant sa naissance jusqu'après sa mort. Les premiers concernent surtout son père, John Bond, et incluent sa correspondance et un journal. Les pièces ultérieures au décès de Bond traitent de la disposition de sa succession et de l'interprétation de son testament. Divers documents concernent ses études, sa formation et sa pratique légales, ses affaires financières et commerciales, ses spéculations minérales et forestières, divers autres intérêts personnels, ainsi que la Grange, son domaine de Whitbourne. On relève une correspondance abondante avec son frère George, un pasteur méthodiste, et avec d'autres membres de sa famille.
L'essentiel des documents touche les activités politiques de Bond à Terre-Neuve entre 1882, année de sa première élection à la Chambre d'assemblée, et 1914, année de sa démission. Certains dossiers de nature politique datent d'après cette date, ce qui témoigne de son intérêt pour la gouvernance de Terre-Neuve même après qu'il ait cessé d'y participer. Les documents politiques couvrent tant les affaires de son comté que celles du gouvernement, et comprennent des dossiers associés à diverses campagnes électorales, au Parti libéral, aux pêcheries, au chemin de fer, à l'exploration minérale, à l'économie et à la politique étrangère. On y trouve des échanges de lettres entre Bond et les principales personnalités politiques de l'époque, notamment Sir William Whiteway, Sir William Coaker, Sir Edward Morris, Sir William Horwood, George Shea, Sir Alfred Morine, le gouverneur Sir Cavendish Boyle, le gouverneur William MacGregor, le gouverneur Henry Blake, et ainsi de suite. On y trouve aussi des lettres de ses électeurs et d'autres Terre-Neuviens portant sur des questions nationales et locales.
Au nombre des sujets particuliers abordés dans ces documents, on peut trouver la Loi sur les appâts de 1888, la controverse avec la Grande-Bretagne et la France à propos de la Côte française, les négociations sur le libre-échange avec les États-Unis (la Convention Bond-Blaine de 1890 et la Convention Bond-Hay de 1902) et toutes les affaires liées à la pêche côtière. On trouve aussi des documents associés aux activités politiques de Bond en éducation, en agriculture, en développement minéral et en commerce, aux peuples autochtones, aux relations entre Terre-Neuve et le Canada, à la faillite bancaire et au développement des réseaux de transport et de communications. On y relève aussi une grande quantité de coupures de presse que Bond conservait, tant dans des albums que séparément, certaines groupées par sujet et d'autre par dates.
Les photographies dans cette collection représentent Bond depuis son enfance jusqu'à sa vieillesse. D'autres illustrent la Grange, diverses localités de Terre-Neuve, des occasions spéciales et divers membres de sa famille. Cette documentation constitue une mine d'information pour les biographes, les historiens politiques et sociaux, les politologues et les chercheurs intéressés à quasi n'importe quel aspect de Terre-Neuve entre 1880 et 1930.
Les documents de Sir Robert Bond avaient été laissés durant plus de 30 ans aux soins du Dr Frederick Thompson, historien au Collège militaire royal de Kingston, qui les avait empruntés de leur propriétaire, Fraser Bond, le neveu de Sir Robert, un peu avant son décès en 1965, dans l'intention de rédiger une biographie de Bond, mais ce projet n'a jamais vu le jour. En 1995, le Dr George Nichols, fils de Roberta Bond Nichols, a entamé le processus de cession des documents à Terre-Neuve, mais est malheureusement décédé avant la fin des préparatifs de ce transfert.
En octobre 1996, Randell Nelson, le gendre de George Nichols, s'est adressé au Centre for Newfoundland Studies au nom de Joan E. Nichols, veuve de George Nichols, afin de remettre les documents de Robert Bond à l'Université Memorial. Leur transfert officiel a eu lieu au début de l'année suivante.
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