Malgré des accusations de corruption, Bond devient premier ministre

Extrait des archives de The Gazette 21 octobre 1999.

Lisez ci-dessous le deuxième d'une série de quatre articles sur la vie et les réalisations de Sir Robert Bond, l'un des politiciens les plus influents de l'histoire de Terre-Neuve.

Après quatre années de prospérité relative, le premier ministre William Whiteway déclenche une élection générale le 6 novembre 1893. Il est reconduit au pouvoir avec une solide majorité, soit 23 des 36 sièges, Robert Bond étant lui-même réélu par les électeurs de Trinity.

Sir Robert Bond
Sir Robert Bond
Sir Robert Bond vêtu de l'uniforme du Conseil privé du Royaume-Uni après sa désignation en 1902.
Reproduction autorisée par Archives and Special Collections (Collection 237), bibliothèque Queen Elizabeth II, Université Memorial of Terre-Neuve, St. John's (T.-N.-L.).

Le Parti conservateur a mal digéré sa défaite. Le 6 janvier 1894, il saisit la Cour suprême d'un recours contre 15 des élus libéraux, les accusant de subornation et de corruption en infraction à la Loi sur les manœuvres frauduleuses. Bond est au nombre des inculpés, son cas a été étudié par la Cour suprême et, le 25 juillet, on lui retire son siège de Trinity et il est banni de toute élection future à la Chambre d'assemblée. Ce sera aussi le cas de Whiteway, qui avait remis sa démission du poste de premier ministre le 11 avril, après que le gouverneur ait rejeté sa demande de dissolution de la Chambre. Le gouverneur, Sir Terence O'Brien, invite alors Augustus Goodridge, leader des Conservateurs à la Chambre d'assemblée, à former un nouveau gouvernement, ce qu'il accepte malgré le fait que son parti ne détient que 12 sièges dans la législature, alors que les Libéraux en comptent 22.

Au cours du printemps et de l'été 1894, d'autres députés libéraux sont convaincus de corruption, perdent leur siège et sont disqualifiés de toute élection future. Toutefois, à la faveur d'élections partielles subséquentes, d'autres candidats des Libéraux sont élus à leur place. Goodridge s'accroche au pouvoir durant l'été et l'automne en prorogeant la Chambre d'assemblée. Après la dernière élection partielle tenue le 12 novembre, les Conservateurs n'avaient gagné qu'un siège par rapport aux résultats de l'élection générale de 1893.

Robert Bond, autour des années 1890
Robert Bond, autour des années 1890
Reproduction autorisée par Archives and Special Collections (Collection 237), bibliothèque Queen Elizabeth II, Université Memorial of Terre-Neuve, St. John's (T.-N.-L.).

Avant de remettre sa démission, Goodridge restera premier ministre un autre mois. Sa décision de jeter la serviette est davantage motivée par la faillite des deux banques commerciales de Terre-Neuve, deux jours plus tôt, que par sa position dans la législature. Le 10 décembre 1894, les banques Union et Commercial restent fermées, après que certains de leurs déposants aient exigé l'encaissement de billets qu'elles avaient délivrés. Comme la plupart des garanties des banques reposaient sur le système de troc gouvernant l'essentiel des pêcheries à Terre-Neuve, il n'y avait pas suffisamment de devises pour satisfaire à ces demandes, les garanties étant le poisson qui attendait d'être vendu aux marchés européens. Cette ruée sur les banques aura entraîné la faillite de plusieurs sociétés commerciales, la perte des économies de nombreux citoyens et la fermeture permanente des deux banques.

Si Goodridge démissionne, c'est parce qu'il est incapable de négocier un emprunt en Grande-Bretagne pour éviter la banqueroute du trésor colonial et, de ce fait, de l'économie de Terre-Neuve. Le 13 décembre, le Gouverneur demande à Daniel Greene, leader libéral à la Chambre d'assemblée, de devenir premier ministre. S'il parvient à obtenir un prêt à court terme pour stabiliser la situation, il est clair pour tout le monde que son administration ne peut que combler la transition jusqu'à ce que soient adoptées les lois nécessaires pour permettre à Whiteway, Bond et aux autres députés disqualifiés de se présenter à nouveau à une élection. Au début de février 1895, quelques jours après l'adoption de la Disabilities Removal Act, Greene remet sa démission et Whiteway est assermenté comme premier ministre une troisième fois.

Reconduit par Whiteway au poste de secrétaire colonial, Bond sera réélu en septembre par acclamation à la Chambre d'assemblée comme député de Twillingate, un siège cédé par Jabez Thompson. Bond restera député de Twillingate tout le reste de sa carrière politique.

Bond passe le printemps et l'été 1895 à essayer de trouver une issue à la précarité monétaire créée par la faillite bancaire. Il se rend à Ottawa pour discuter avec des politiciens canadiens de la possibilité d'une union entre Terre-Neuve et le Canada, mais sans succès, le Canada refusant d'assumer la dette publique de la Colonie. Pour obtenir un prêt d'une firme de courtage montréalaise, Bond est forcé de placer sa propriété et son crédit en garantie. Plusieurs autres tentatives de négocier des prêts sur les marchés du Canada et des États-Unis vont échouer, mais il parvient éventuellement à obtenir un prêt à long terme et une débenture à court terme à Londres. En retour, Terre-Neuve doit accepter diverses mesures d'austérité, y compris une réduction des dépenses publiques et un effort pour rembourser la dette publique.

Les deux années suivantes se révèlent difficiles pour l'administration Whiteway. Une mauvaise campagne de pêche entraîne une baisse des exportations et aggrave le déclin des recettes gouvernementales, ce qui rend encore plus nécessaires et sévères les coupures dans les dépenses publiques réclamées par les établissements de crédit. C'est au milieu de cette crise économique que Whiteway lance le Parti libéral dans une élection générale. Les Libéraux sont défaits par un Parti conservateur rajeuni sous la gouverne de James S. Winter. À la réouverture de la Chambre d'assemblée, Bond devient leader du Parti libéral et chef de l'opposition, Whiteway ayant été défait dans son comté.

L'essentiel des sessions législatives de 1898 et de 1899 portera sur ce qui sera désigné le contrat de Reid. Pour la somme d'un million de dollars, Robert G. Reid acquiert un monopole de 50 ans dans l'exploitation du réseau ferroviaire de Terre-Neuve (appelé à devenir sa propriété au terme de cette pétriode), obtient le contrôle de la cale sèche de St. John's et du réseau de télégraphie, le droit d'opérer le service de caboteurs côtiers subventionné par le gouvernement, et cinq millions d'acres de terres de la Couronne. Bond s'oppose en vain aux dispositions de ce contrat, que Winter finit par signer, profitant de sa majorité à la Chambre. L'opposition du public au contrat de Reid se généralise, mais même une pétition signée par plus de 22 000 citoyens ne convainc pas le gouvernement de le reconsidérer.

Si le contrat du chemin de fer contribue à l'impopularité des Conservateurs, ceux-ci arriveront à s'autodétruire, même sans élection générale. Le premier ministre Winter avait le soutien personnel d'environ la moitié du caucus, le reste affichant sa loyauté envers Alfred B. Morine, ministre de la Justice, qui convoite désespérément le poste de premier ministre. Morine avait conclu un accord avec Winter pour que celui-ci démissionne à la fin de 1899 pour être nommé juge en chef quand Sir Frederick Carter prendrait sa retraite, permettant à Morine lui succéder comme premier ministre. Cette entente ne tient toutefois pas la route : en février 1900, Morine va convaincre suffisamment de ses partisans de voter avec l'opposition sur une motion de non-confiance envers l'administration Winter. En mars, le gouverneur invite Bond à siéger comme premier ministre.

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