Une stature de géant : Sir Robert Bond, un chef pour un âge d'or
Extrait des archives de The Gazette 7 octobre 1999.
Lisez ci-dessous le premier d'une série de quatre articles sur la vie et les réalisations de Sir Robert Bond, l'un des politiciens les plus influents de l'histoire de Terre-Neuve.
On a prétendu que Sir Robert Bond a été le leader qui a mené Terre-Neuve durant son seul véritable âge d'or, soit la première décennie du 20e siècle. Il pourrait très bien avoir été le meilleur chef politique de Terre-Neuve, et certainement de l'époque qui a précédé la Confédération. Pourtant, de nos jours, le nom de Sir Robert Bond évoque davantage un traversier que l'un des politiciens les plus influents de la longue et fascinante histoire de Terre-Neuve.

Robert Bond est né à St. John's (T.-N.-L.) le 26 février 1857. Il était le cadet des quatre fils d'Elizabeth Parsons et de John Bond. Ce dernier, natif de Kingkerswell, dans le Devon, en Angleterre, avait immigré à St. John's vers la fin des années 1820 pour entrer au service du marchand Samuel Codner.
Robert fils fait ses premières classes à St. John's. En avril 1872, âgé de 15 ans, il est accepté au Queen's College de Taunton, dans le Somerset, en Angleterre, dont il obtient son diplôme en 1874. De retour à St. John's, il accepte le 11 décembre 1874, deux mois avant son 18e anniversaire, un contrat de stage chez William V. Whiteway. Sous le tutelage de Whiteway, Bond étudiera le droit, mais ne sera jamais admis au barreau.
Whiteway, un procureur respecté, était député à la Chambre d'assemblée de Terre-Neuve lorsque Bond s'est joint à son cabinet. En 1878, Whiteway devient premier ministre de Terre-Neuve. Sans doute encouragé et soutenu par Whiteway, Bond se présente aux élections pour la Chambre d'assemblée en 1882, à l'âge de 25 ans. Il est l'un des trois députés élus dans le comté de Trinity; la politique sera son occupation à temps plein pour les 32 années suivantes.

Bond arrive à la Chambre d'assemblée durant une décennie de turbulence et de changement. Le 26 décembre 1883, une bagarre entre catholiques et des orangistes protestants à Harbour Grace entraîne la mort de cinq personnes. Tous les efforts pour poursuivre les participants à cet incident échouent, témoin après témoin étant discrédité. Quand Alfred Penny, député protestant de Carbonear, dépose un amendement au Discours du Trône pour condamner le déni de justice dans la rixe de Harbour Grace, la Chambre d'assemblée se scinde selon les confessions. Les partisans catholiques de Whiteway s'opposent à l'amendement et à un amendement de compromis proposé par Whiteway. Ils quittent tous le parti de Whiteway pour se joindre à l'opposition comme Libéraux indépendants.
L'un des démissionnaires, Robert Kent était président de la Chambre. On peut juger de l'estime dans laquelle Whiteway tenait Robert Bond quand il le nomme président, à 28 ans, après juste trois ans au gouvernement. Ceci dit, Bond ne conservera pas ce poste bien longtemps, Whiteway démissionnant quelques mois plus tard. Le nouveau premier ministre, Robert Thorburn, va dissoudre la Chambre d'assemblée pour convoquer une nouvelle élection le 31 octobre 1885.
Face à la désertion d'autres de ses partisans, Whiteway annonce alors qu'il ne se représentera pas. Les protestants se joignent au nouveau Parti réformiste de Thorburn, qui promet d'abjurer toute coalition avec les catholiques; ces derniers forment alors leur propre parti, les Libéraux. Resté loyal à Whiteway, Bond se présente comme indépendant dans le comté de Fortune Bay, où il est élu par acclamation.
Les quatre années suivantes se révèlent tranquilles pour Bond, qui siège dans l'opposition. Il participe aux débats de la Chambre d'assemblée et s'occupe des préoccupations de ses constituants.
Peu après l'élection, Thorburn revient sur sa parole de ne pas former de coalition avec les députés catholiques de la Chambre; en 1886, il invite plusieurs d'entre eux à se joindre à son cabinet, ce qu'ils acceptent. Toutefois, l'électorat s'était lassé du Parti réformiste. À l'élection tenue en 1889, ce dernier ne fait élire que cinq députés à la Chambre de 36 membres; Thorburn et tous les membres de son cabinet, protestants comme catholiques, sont défaits.
Le nouveau premier ministre est William Whiteway, sorti de sa retraite pour diriger un Parti libéral renouvelé formé de députés de toutes confessions. Bond est réélu dans le comté de Trinity et se joint au cabinet de Whiteway au poste de secrétaire colonial, second seulement en importance à celui de premier ministre.
L'une des premières tâches de Bond à titre de secrétaire colonial est de tenter de régler le problème de la Côte française, qui tourmente les pêcheurs terre-neuviens depuis près de 200 ans.
En 1713, au terme de la guerre de Succession d'Espagne, le Traité d'Utrecht avait contraint la France à accepter la souveraineté de la Grande-Bretagne sur la totalité de Terre-Neuve, et à abandonner ses établissements de la côte sud de l'île. En retour, les pêcheurs français étaient autorisés à capturer et à apprêter le poisson sur le secteur de la côte situé entre le cap Bonavista vers le nord jusqu'à la pointe Riche, sur le versant sud de la péninsule Great Northern. En 1783, l'extrémité est de la Côte française sera déplacée vers le nord du cap Bonavista au cap St. John, et prolongée de la pointe Riche vers le sud, le long de la côte ouest de l'île, jusqu'au cap Ray.
Depuis des années, les Terre-Neuviens avaient réclamé le droit de pêcher et de bâtir leurs chaffauds sur la Côte française, et l'avaient fait en dépit des objections des Français. Vers la fin des années 1880, une dispute sur l'aménagement de conserveries de homard par des Terre-Neuviens à divers endroits de la côte avait mené à des tractations entre les gouvernements français et britanniques, sans que Terre-Neuve y soit engagée. En 1890, la Grande-Bretagne et la France parviennent à un accord, qui se révèle toutefois à l'avantage des Français de l'avis des Terre-Neuviens. Bond et Whiteway se rendent à Londres, où ils parviennent à empêcher l'adoption de ce modus vivendi, mais le problème des Français sur la côte ouest de Terre-Neuve, ou la question de la Côte française comme on vient à la désigner, continuera à hanter le gouvernement de Terre-Neuve pour le reste de la décennie.
Entre 1855 et 1866, l'économie de Terre-Neuve a bénéficié d'un traité de réciprocité qui avait été négocié entre les États-Unis et la Grande-Bretagne. Durant les décennies suivantes, Terre-Neuve et les États-Unis concluront diverses ententes, notamment le Traité de Washington en 1871.
De passage à Londres en 1890, Bond reçoit l'autorisation du gouvernement britannique de se rendre à Washington pour tenter de négocier un accord de réciprocité entre Terre-Neuve et les États-Unis. Bond et le Secrétaire d'État américain, James G. Blaine, arrivent très rapidement à une entente sur les dispositions d'un traité, qu'on appellera accord Bond-Blaine. En vertu de cet accord, les navires américains peuvent se procurer des appâts et des agrès à Terre-Neuve, en plus d'y recruter des équipages; en retour, les produits de la pêche et les minéraux bruts de Terre-Neuve arrivant sur les marchés américains seront exemptés de droits de douane. Le traité envisagé devra entrer en vigueur aussitôt qu'il sera ratifié par les gouvernements britannique et américain.
Toutefois, le gouvernement canadien s'objecte à l'accord Bond-Blaine, sous prétexte qu'il nuira à ses intérêts. Bond tente d'offrir des concessions, mais le gouvernement britannique finit par opposer son véto à l'entente, statuant que Terre-Neuve ne saurait négocier d'accords commerciaux nuisibles de quelque façon aux autres intérêts de l'Amérique du Nord Britannique. Cette affaire aura comme conséquence notable la dégradation des relations entre Terre-Neuve et le Canada durant les années subséquentes.
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