Bond gouverne malgré les écueils
Extrait des archives de The Gazette 4 novembre 1999.
Lisez ci-dessous le troisième d'une série de quatre articles sur la vie et les réalisations de Sir Robert Bond, l'un des politiciens les plus influents de l'histoire de Terre-Neuve.
Robert Bond est assermenté comme premier ministre de Terre-Neuve le 7 mars 1900. Après la dissolution de la Chambre d'assemblée, une élection générale est annoncée pour le 8 novembre suivant. Bond fait de la renégociation du contrat de Reid son principal cheval de bataille. Morine, le successeur de Winter à la tête des Conservateurs, s'était déclaré disposé à l'honorer. Dans une victoire électorale sans précédent, le parti de Bond va remporter 32 des 36 sièges à la Chambre d'assemblée.

Un des premiers gestes de Bond sera de renégocier le contrat avec Reid, le forçant à renoncer à la propriété du réseau de télégraphie et de certaines terres de la Couronne, ainsi qu'à tout droit de propriété sur le chemin de fer. Il pourra exploiter le réseau ferroviaire et le service de caboteurs pendant 50 ans, et devra fournir un service de tramway et éclairer les rues à l'électricité. En retour, le gouvernement lui rembourse son dépôt de 1 000 000 $, et lui offre 1 500 000 $ de plus tirés des recettes fiscales.
Alors que Bond était secrétaire colonial en 1890-1891, le refus de la Convention Bond-Blaine par le gouvernement britannique avait été un grand échec de sa politique étrangère. Dans son nouveau cabinet, il va conserver ce poste pour relancer en août 1902 des négociations de réciprocité avec les États-Unis. Les discussions avec le secrétaire d'État américain John Hay aboutissent le 8 novembre 1902 à la signature d'une entente de principe. Les Américains recevront le droit d'acheter des appâts, de faire sécher leur poisson et de recruter des équipages à Terre-Neuve, et certains de leurs produits manufacturés seront admis à Terre-Neuve hors-taxe. En retour, les poissons et les minéraux de Terre-Neuve seront expédiés hors-taxe aux États-Unis.
La Convention Bond-Hay est approuvée à l'unanimité à Terre-Neuve et en Grande-Bretagne, mais se bute à l'opposition du Sénat américain, où le président du comité des relations étrangères, Henry Cabot Lodge, du Massachusetts, le juge nuisible aux pêcheries de la Nouvelle-Angleterre. En dépit de l'appui du Président Theodore Roosevelt, toutes les tentatives de négocier un compromis mutuellement acceptable vont échouer. La Convention reste en suspens plusieurs années devant le Sénat américain, qui finit par en adopter une version modifiée que Terre-Neuve ne peut accepter. Pour la seconde fois, une tentative de Bond afin de conclure un accord de réciprocité entre Terre-Neuve et les États-Unis aura échoué.

Un autre problème laissé non résolu durant le premier mandat de Bond comme secrétaire colonial était celui de la Côte française. Durant ses années au pouvoir, James Winter avait tenté lui aussi de parvenir à un accord, mais sans succès. Peu après son retour, Bond rouvre cette question et conclut enfin une entente : la France cède ses droits en vertu du Traité d'Utrecht, en retour du droit pour ses ressortissants de pêcher durant l'été et d'avoir accès aux ports de Terre-Neuve pour y obtenir appâts, agrès et abri. La France obtient aussi un territoire britannique en Afrique en vertu de cette même entente, qui sera enfin ratifiée en avril 1904.
C'est ce succès, combiné à une pêche productive, à un secteur minier en expansion, à des progrès en éducation et en agriculture, à une croissance de la construction navale et à une exploration accrue de l'intérieur de l'île, que Bond peut faire valoir lorsqu'il annonce la tenue d'une élection pour le 31 octobre 1904. Sa campagne mettra en valeur la prospérité que connaît Terre-Neuve depuis son arrivée au pouvoir en 1900. Ses adversaires, groupés en un Parti de l'opposition en désarroi, sont quelques députés restants du Parti conservateur, certains autres politiciens qui n'ont plus confiance en Bond, notamment son ancien mentor, Sir William Whiteway, et les premiers ministres sortants Goodridge et Winter. Donald Morison démissionne de son poste à la Cour suprême pour se présenter contre Bond dans le comté de Twillingate. Même si les Conservateurs réussissent à conserver les quatre sièges remportés en 1900 et à en gagner deux autres, l'électorat donne une nouvelle fois à Bond et à ses Libéraux un vote de confiance retentissant, soit 30 des 36 sièges.
Le deuxième mandat de Bond débutera de façon aussi positive que son premier avait pris fin. En 1905, le gouvernement conclut une entente avec le groupe de presse Harmsworth, de Grande-Bretagne, et les travaux de construction d'une énorme papeterie sont amorcés sans délai à Grand Falls.
La version modifiée de la Convention Bond-Hay que le Sénat américain avait adoptée en 1905 est rejetée par la législature de Terre-Neuve. Comme mesure de rétorsion, Bond tente de modifier la Loi sur les bateaux de pêche étrangers pour interdire aux Américains de se procurer des appâts et d'autres agrès à Terre-Neuve. Devant les protestations des États-Unis, le gouvernement britannique, peu désireux d'indisposer les Américains, rejette la modification et leur garantit le droit d'obtenir des appâts à Terre-Neuve.
Au nom de divers intérêts locaux, Bond conteste la légalité des règlements imposés par la Grande-Bretagne devant les tribunaux de Terre-Neuve. Ceux-ci vont statuer en faveur de Terre-Neuve, une décision qui causera presque un incident diplomatique majeur entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. L'affaire finit par être soumise au tribunal international de La Haye, aux Pays-Bas.
L'incapacité de parvenir à une réciprocité avec les États-Unis contribuera à la chute du Parti libéral. Alors que la plupart des députés du parti étaient personnellement loyaux envers Bond, le premier signe de sa perte de contrôle survient en 1905 quand Michael Cashin, député de Ferryland, remet sa démission, désertant son parti pour siéger avec l'opposition comme indépendant. Cashin s'objectait aux tactiques utilisées par Bond pour modifier la Loi sur les bateaux de pêche étrangers; le premier ministre avait en effet déposé les modifications devant la Chambre d'assemblée sans en avoir débattu au préalable avec le caucus.
Avec son refus de laisser mourir l'affaire et son insistance à contester les règlements britanniques devant les tribunaux, Bond s'est fait des ennemis en Grande-Bretagne comme au Canada. Nombre de politiciens britanniques espéraient encore voir Terre-Neuve s'unir au Canada, rejoints en cela par de puissants alliés au Canada, notamment le gouverneur général, Lord Grey. À Terre-Neuve, les Reid étaient de fervents promoteurs de la Confédération, et ne portaient pas Bond dans leur cœur, surtout après qu'il eût modifié leur contrat ferroviaire. Le gouverneur de Terre-Neuve, Sir William MacGregor, était aussi partisan de la Confédération.
Aucun de ces politiciens n'osait se prononcer publiquement sur la question et risquer d'être accusé de se mêler des affaires internes de Terre-Neuve. La Confédération n'était pas un thème populaire sur lequel bâtir un parti politique, la plupart des Terre-Neuviens semblant opposés à ce concept. Les partisans de l'union, tant à Terre-Neuve qu'à l'étranger, croyaient qu'ils arriveraient à convaincre les Terre-Neuviens des bienfaits de la Confédération s'ils pouvaient se débarrasser de Bond et le remplacer par un leader populiste favorable à leur cause. Ils ont cru trouver cet homme en Edward Patrick Morris.
Après que Sir Ambrose Shea eût quitté la politique terre-neuvienne en 1887 pour devenir gouverneur des Bermudes, le leadership du Parti libéral catholique, vainqueur de l'élection de 1885, avait échu à Morris. Ce jeune homme, élu pour la première fois à la Chambre d'assemblée en 1885, avait beaucoup impressionné et s'était fait des amis dans la classe politique de St. John's. Peut-être comprenant qu'un gouvernement dirigé par un parti exclusivement catholique ne pourrait jamais connaître la victoire, il s'est associé au nouveau Parti libéral de Whiteway en 1889, s'est fait réélire dans le comté de St. John's West et a été promu ministre sans portefeuille dans le cabinet Whiteway. Réélu en 1893, il a fait partie du groupe de Libéraux déboulonnés et disqualifiés à la suite des pétitions électorales de 1894. Réélu à la Chambre à la faveur d'une élection partielle en 1895, il a été réadmis dans le cabinet.
À l'élection générale de 1897, qui a conduit à l'accession de Bond au leadership du parti, Morris a été élu dans l'opposition avec les Libéraux. Morris soutenait le contrat de Reid et était le chef de file d'une faction qui avait brisé les rangs du parti et voté en sa faveur. En 1900, il avait réglé son différend avec Bond et retrouvé la confiance des Libéraux. En mars 1900, il se joint au premier cabinet de Bond comme ministre sans portefeuille et est réélu dans le comté de St. John's West à l'élection générale tenue plus tard cette année-là. Il reste ministre sans portefeuille jusqu'en 1902, année où il succède a Sir William Horwood comme ministre de la Justice et procureur général. Il est reconnu comme le second de Bond.
Le 20 juillet 1907, Morris démissionne du cabinet et quitte le Parti libéral, pour siéger à la Chambre d'assemblée comme indépendant. Il expliquera ce geste par une mésentente avec George Gushue, ministre des Travaux publics, mais on croit que la véritable raison est un arrangement entre lui-même, les intérêts de Reid et des politiciens britanniques et canadiens, qui sont prêts à le soutenir financièrement s'il parvient à détrôner Bond à l'élection imminente. En retour, après son élection, Morris mènerait Terre-Neuve dans la Confédération. Morris ne tarde pas à être reconnu comme chef de l'opposition à la Chambre d'assemblée et, en février 1908, lui et Cashin sont rejoints par un autre transfuge libéral, John R. Bennett, un collègue du comté de St. John's West (qui désignait trois députés). Le 5 mars 1908, Morris annonce la formation d'un nouveau parti politique, le Parti du peuple. Outre Cashin et Bennett, quatre des six députés conservateurs à la Chambre se joignent au nouveau parti, tandis que les deux autres ne se représentent pas à l'élection suivante, dont Bond annonce la tenue pour le 2 novembre 1908.
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