L'architecture de St. John's, 1892–1940
Le grand feu de 1892 a détruit plus de la moitié de la ville de St. John's et environ 11 000 personnes se sont retrouvées sans domicile. Malgré les dommages considérables, la ville s'est attelée rapidement à la reconstruction. Certains bâtiments, ou du moins leur ossature, ont survécu et ont pu être rebâtis, particulièrement ceux qui étaient construits en pierre et en brique. Beaucoup d'immeubles résidentiels en bois ont toutefois été détruits. Ils ont été reconstruits rapidement eux aussi, et le secteur ravagé par le feu a fini par se distinguer par son style architectural particulier.
Le style Second Empire
La plupart de ces bâtiments ont été construits selon une variante du style Second Empire introduite à St. John's au début des années 1880 par John Thomas Southcott. Il était le fils de James Thomas Southcott, arrivé à St. John's à la suite de l'incendie de 1846 avec son frère John. Leur entreprise, la J. & J. T. Southcott, avait construit de nombreux immeubles et maisons à St. John's avant le sinistre.
Mais ce sont les travaux effectués par John Thomas Southcott après l'incendie qui ont eu la plus grande influence sur l'architecture de la ville. Après avoir étudié l'architecture en Angleterre, il a introduit le style Second Empire à St. John's au moment de son retour vers 1877. Après l'incendie de 1892, beaucoup de maisons rebâties par lui ou d'autres entrepreneurs comportaient des éléments architecturaux du Second Empire. Ce style était tellement associé à la firme de Southcott qu'on le désignait sous le nom de « Style Southcott » dans la région. Ses éléments distinctifs sont les lucarnes à fenêtre surmontées d'un larmier, les fenêtres en saillie du rez-de-chaussée et, surtout, les toits mansardés. Le style Southcott a été prédominant à St. John's après le grand feu de 1892. Dans une certaine mesure, en observant les bâtiments qui présentent ce style architectural au centre-ville, il est possible de deviner l'emplacement exact de la zone incendiée.

Les maisons de style Southcott sont nombreuses à St. John's, notamment celle de l'ancien maire Andrew Carnell située au 28 Cochrane Street.

En fait, beaucoup de maisons de ce secteur reconstruites après l'incendie de 1892 (ce qui correspond à presque tout le centre-ville) se sont inspirées de l'architecture du style Southcott. Gower Street et Bond Street, ainsi que la plupart des rues parallèles et perpendiculaires à ces grandes artères, comportent de nombreux éléments paysagers de style Southcott.

Un autre exemple intéressant est le S. O. Steele Building situé au 100 Water Street. Construit en 1894, ses lucarnes à fenêtre surmontées d'un larmier et son toit mansardé sont typiques du style Southcott.

Le style néo-Queen Anne
Tandis que le style Southcott a dominé la période ayant immédiatement suivi l'incendie, le style néo-Queen Anne a aussi fait sa marque au cours des premières décennies du 20e siècle. Ce style, caractérisé par des tourelles, des pignons, de grandes fenêtres en saillie et des éléments décoratifs, donne aux maisons une apparence quelque peu « grandiose ». Les manoirs Waterford, Bartra et Winterholme ont été construits selon ce style.



Même si de nombreuses maisons de St. John's bâties au début des années 1900 sont de style néo-Queen Anne, ce style architectural a été utilisé principalement pour les résidences imposantes et prestigieuses.
Évidemment, de nombreuses maisons de conception plus simple ont aussi été construites au cours des années ayant suivi le grand feu. Leurs toits étaient souvent plats (plus faciles et rapides à construire) et enjolivés d'éléments décoratifs (souvent des consoles, parfois des dentelets). Ce style était assez populaire à St. John's ainsi que dans les villages côtiers et il l'est resté pendant une bonne partie du 20e siècle. De nombreuses maisons (surtout les maisons en rangée ou mitoyennes) avaient un toit plat ou mansardé. Le bungalow, qui a fait son apparition durant les premières décennies 20e siècle, est devenu très en demande à partir des années 1950.

Reconstruction des établissements commerciaux et religieux
La reconstruction des nombreux établissements commerciaux et religieux ravagés lors du grand incendie de 1892 faisait partie des priorités. Certains bâtiments ont été reconstruits sur leurs vieilles fondations tandis que d'autres ont pu être restaurés malgré leur charpente en ruine. Le Baird Building de Water Street est un bel exemple de la reconstruction postérieure à l'incendie. Les murs extérieurs sont restés debout, mais l'intérieur a toutefois dû être refait. L'extérieur a été modifié de façon superficielle en prenant soin de préserver l'ancien style architectural.

Certains immeubles, comme le bureau des douanes et l'édifice Athenæum, n'ont jamais été reconstruits. D'autres étaient de toutes nouvelles constructions. Le Masonic Temple, sur Cathedral Street, a été érigé en 1894 pour remplacer l'ancienne loge en bois de la rue Long's Hill ravagée par le feu. S'inspirant des loges traditionnelles anglaises très populaires à l'époque, la loge maçonnique comportait des éléments architecturaux classiques tels que des piliers et des frontons, contrairement au style gothique alors plus en vogue à St. John's, surtout dans les églises.

Les immeubles faisant partie du secteur commercial du centre-ville, sur Water Street et Duckworth Street, ont été reconstruits assez rapidement. Pour ce faire, on a utilisé de la brique ou de la pierre afin de respecter le code de prévention des incendies adopté à la suite du feu de 1846 et renforcé après celui de 1892 (voir l'article sur la Reconstruction). Tandis que certains immeubles étaient presque totalement rebâtis en pierre ou en brique, d'autres étaient dotées d'une ossature de bois et d'un revêtement extérieur de pierre ou de brique. Beaucoup de façades de pierre ou de brique étaient plutôt simples et souvent dotées d'éléments décoratifs autour des fenêtres ou des corniches.

Même si de nombreux établissements commerciaux et religieux ont été conçus en respectant des critères à la fois esthétiques et fonctionnels, il est important de se rappeler que la plupart des immeubles à usage commercial du centre-ville étaient des espaces de travail dont l'apparence était loin d'être une priorité. Le Crow's Nest Building est un exemple éloquent d'un immeuble commercial dépouillé de toute extravagance. Cette construction de brique rouge dotée de simples fenêtres (et de quelques briques décoratives sur les corniches) était d'abord destinée à servir d'entrepôt lors de son érection peu après 1892. De nos jours, cet édifice abrite des bureaux ainsi que le Crow's Nest Officer's Club.
Des espaces de vie dans les immeubles commerciaux
Au cours de la période ayant immédiatement suivi le grand feu et jusqu'aux premières décennies du 20e siècle, il était relativement fréquent que les magasins et les ateliers utilisent les étages supérieurs ou d'autres locaux comme lieux de vie. Cette pratique a commencé à disparaître à partir de la première moitié du 20e siècle. Avec le temps, les espaces de vie et de travail ont été séparés. Par exemple, les deux étages supérieurs du S. O. Steele Building (mentionné précédemment) ont servi d'espace résidentiel jusqu'en 1935 avant d'être reconvertis en bureaux. Cette transformation a coïncidé avec l'augmentation du nombre d'usines à St. John's, lesquelles, par définition, étaient considérées uniquement comme des lieux de travail. Ce changement a précédé de peu la création des banlieues, lesquelles étaient essentiellement des lieux de vie. Au début du 20e siècle, on pouvait observer une séparation de plus en plus évidente entre la maison et le travail.
Églises
Beaucoup d'églises historiques et typiques de St. John's, dont la basilique catholique (qui était une cathédrale à l'origine et qui a été élevée au rang de basilique mineure en 1955), St. Patrick, l'église unie George Street et l'église St. Thomas ont survécu au grand feu. D'autres ont toutefois été ravagées. La cathédrale anglicane a été détruite par les flammes, mais ses murs de pierre sont restés debout et on l'a reconstruite en respectant au maximum son architecture originale. L'église presbytérienne St. Andrews («the Kirk») a été complètement détruite. On l'a rebâtie sur un nouveau site en s'inspirant du style gothique, lequel était très apprécié pour la construction des églises de Terre-Neuve au cours des décennies ayant précédé l'incendie. Notons que le Kirk et le nouveau Temple maçonnique ont tous deux été construits en brique d'Accrington, un matériau fabriqué à Accrington, en Angleterre, très réputé pour sa résistance et sa magnifique couleur rouge.

L'église unie Gower Street (qui s'appelait alors église méthodiste Gower Street) a également été complètement détruite en 1892. Après avoir surmonté des difficultés financières et réglé des désaccords à propos de son architecture, l'église Gower Street a été reconstruite sur son ancien site dans le style roman, mais sa structure actuelle, construite à la fin des années 1890, n'est plus identique à l'originale, notamment à cause de la démolition du clocher de 40 pieds.

L'essor
Au cours des 50 années qui ont suivi le grand feu de 1892, la ville de St. John's a subi de nombreux changements et développements. La majeure partie du cœur du centre-ville date de cette époque, et son patrimoine architectural constitue une partie importante du caractère et de l'identité uniques de la ville. Cette période a aussi connu de grands changements technologiques tels que l'arrivée des tramways et de l'électrification ainsi que l'achèvement du chemin de fer de Terre-Neuve (Newfoundland Railway), ce qui allait contribuer à transformer le visage de la ville. La Seconde Guerre mondiale et les importants changements technologiques, politiques et économiques qui l'ont accompagnée ont servi de fer de lance pour aménager la ville telle qu'on la connaît aujourd'hui. Mais ce sont les architectes et les bâtisseurs ayant participé à la réédification de la ville après l'incendie de 1892 qui ont véritablement donné vie au cœur du centre-ville.