Reconstruction de St. John's après le grand feu de 1892

Le 8 juillet 1892, une grande partie du centre-ville de St. John's, T.-N.-L., a été détruite par le feu. C'était la troisième fois, au cours du 19e siècle, qu'un incendie ravageait la ville, les autres sinistres ayant eu lieu en 1816-1817 et en 1846. Le grand feu de 1892 a été dévastateur sur les plans économique et social. Deux mille maisons ont été détruites et environ 11 000 des 30 000 résidants se sont retrouvés sans domicile. La valeur totale des propriétés rasées par les flammes était d'au moins 13 000 000 $ et seulement le tiers étaient assurées. St. John's a su se relever rapidement malgré le drame.

St. John's, T.-N.-L., après le grand feu de 1892
St. John's, T.-N.-L., après le grand feu de 1892
Le nettoyage avait déjà commencé au moment où cette photo a été prise puisqu'on peut voir des tas de briques recouvertes, prêtes à être réutilisées.
Photographie publiée avec la permission de la Division des Archives et collections spéciales, (Coll. 137.05.01.008), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of St. John's, T.-N.-L.

L'organisation de la ville en 1892

Comparativement à aujourd'hui, St. John's était une ville très dense en 1892. C'était principalement un port dont l'économie était tributaire des activités portuaires, et la plupart des gens travaillaient dans des bureaux, des entrepôts, des usines ainsi que sur les quais. Ils pouvaient se rendre à pied sur leur lieu de travail et les magasins et services étaient à proximité de leur demeure. Par conséquent, la zone urbaine se limitait essentiellement à la région entourant le port, entre le quartier The Battery à l'est, Riverhead (où la rivière Waterford entre dans le port) à l'ouest et Military Road au nord, mais certaines résidences plus imposantes appartenant à des marchands ont aussi été construites plus au nord, aussi loin que Circular Road. La ville se caractérisait par ses rues étroites, ses maisons en rangée, et aussi ses commerces adjacents installés pour la plupart sur Water Street et Duckworth Street. Les terres avoisinantes, qui constituent aujourd'hui la plus grande partie de la zone urbaine, étaient des terres arables où se trouvaient des résidences d'été et de grands domaines privés. Les commerces se sont installés de chaque côté du port afin de profiter de l'accès à l'eau. Beaucoup de commerces ayant pignon sur rue du côté nord ont été détruits par le feu, qui a complètement ravagé le secteur à partir de Freshwater Road et Cookstown Road (où le feu a commencé), en descendant vers Cookstown Road, Carter's Hill et Beck's Cove vers le port, puis vers l'est le long de la façade portuaire entre Water Street au sud, Harvey et Road et Military Road au nord, et jusqu'à Devon Row à l'est.

L'aide aux victimes

Les besoins les plus urgents à la suite de cet incendie étaient de nourrir et d'offrir un toit à ceux qui étaient désormais sans abri. Un comité d'aide aux victimes a été mis sur pied par le gouvernement colonial (et non pas par le conseil municipal), sous la direction du juge en chef Frederic Carter, qui exerçait le rôle d'administrateur de la colonie en l'absence du gouverneur O'Brien, qui se trouvait alors en Angleterre. Le comité était chargé de recueillir les dons de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada qui ont commencé à affluer rapidement sous forme d'argent comptant (un montant total de 364 000 $ a été amassé), de nourriture, de vêtements et de matériaux de construction. Même si de nombreuses familles ont pu être hébergées chez des parents ou des amis, le comité a fait construire des bâtiments provisoires dans le parc Bannerman, notamment des cuisines de chantier et un hôpital, ainsi que d'autres structures temporaires près du terminus ferroviaire. La Marine royale a fourni 87 tentes qui ont été montées au lac Quidi Vidi, et des familles ont été hébergées dans un entrepôt inoccupé. En tout, environ 1900 personnes ont pu profiter d'un abri temporaire. En décembre 1892, la plupart des familles avaient trouvé un nouveau logement en ville, mais le comité d'aide aux victimes a fait construire 98 habitations temporaires pour ceux qui n'ont pas eu cette chance.

Le fait que la ville ait été en mesure de reloger ses citoyens aussi rapidement était dû en grande partie aux dons reçus, notamment des clous, des bardeaux, du feutre, de la vitre et du bois d'œuvre. Le comité d'aide aux victimes a aussi acheté plus de six millions de pieds de bois d'œuvre, lequel a principalement servi à la construction de maisons neuves. Environ 400 d'entre elles étaient en construction en septembre, et au cours de l'année suivante le comité a fourni des fournitures pour 1037 nouvelles habitations de 1540 immeubles à condition que les propriétaires hébergent des sinistrés pendant un an. Même si on connaissait bien les risques associés aux constructions en bois, le besoin urgent de construire des maisons neuves avant l'hiver a nui à l'adoption de nouveaux règlements de la construction dans les zones résidentielles. L'utilisation de briques et de pierres aurait exigé beaucoup plus de temps et d'argent.

Duckworth Street après le grand feu en 1892
Duckworth Street après le grand feu en 1892
On voit ici quelques abris temporaires en bois. Beaucoup de cheminées étaient consolidées avec du bois de construction en attendant l'érection de nouveaux bâtiments autour d'elles.
Photographie publiée avec la permission de la Division des Archives et collections spéciales (Coll. 137.05.01.010), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of St. John's, T.-N.-L.

La loi sur la reconstruction de 1892

Il n'en était pas ainsi dans les secteurs commerciaux de Water Street et Duckworth Street. La loi adoptée après l'incendie de 1846 exigeait que les bâtiments de Water Street soient construits en pierre ou en brique avec des couvertures en ardoise, et aussi qu'ils soient munis de coupe-feu. Lors d'une session d'urgence tenue immédiatement après l'incendie de 1892, l'assemblée législative a adopté une loi sur la reconstruction. Celle-ci édictait notamment que le côté sud de Duckworth Street et de George Street soit aussi construit en pierre ou en brique. À l'ouest du bout de George Street, tous les bâtiments situés dans un rayon de 61 mètres de Water Street devaient également être construits avec des matériaux ininflammables afin de créer une large rangée de bâtiments en pierre et en brique tout le long du port du côté nord. Des pare-feu ont été installés ou renforcés à King's Bridge Road, Hill O'Chips, King's Beach, Prescott Street, Codner's Cove, McBride's Cove, Beck's Cove, Queen Street, Stuart et Rennie's Cove, Flower Hill, Patrick Street (usines à gaz) et Church Hill.

Le Baird Building
Le Baird Building
Ces deux photos montrent comment le Baird Building de Water Street a été reconstruit après le grand feu de 1892. Sur celle du haut, on peut voir les ruines de l'immeuble juste après l'incendie. Sur celle du bas, on voit l'immeuble tel qu'il a été reconstruit après le feu. Son architecture a été conservée en grande partie, mais la tourelle a été enlevée, la face intérieure du toit a été modifiée, et le toit à double pente, à gauche du bâtiment, a été intégré dans un nouvel élément de toiture de forme rectangulaire. L'ossature de nombreux immeubles commerciaux en pierre et en brique a résisté au feu, ce qui a permis de préserver leurs anciens murs et fondations au moment de la reconstruction.
Photographie publiée avec la permission des Archives de la ville de St. John's (Coll. O'Mara, images 01-41-133 et 01-41-137).

Améliorations structurelles

Même si les travaux ont dû être effectués à la hâte, le tracé des rues a été quelque peu amélioré. Le conseil municipal a redressé Duckworth Street, agrandi Darling Street de façon qu'elle s'étende jusqu'à Bond St., et prolongé George Street pour en faire une rue pare-feu. Des parties de Water Street, qui ne longeaient plus le littoral depuis que le port était bordé de quais et d'entrepôts, ont également été élargies et redressées, faisant en sorte que les ruines du bureau des douanes de King's Beach se trouvent désormais sous le monument commémoratif national de guerre et la partie de Water Street qui se trouve en face.

Le bureau des douanes/King's Beach
Le bureau des douanes/King's Beach
La photographie du haut montre le bureau des douanes de St. John's, à King's Beach, avant qu'il soit ravagé lors du grand feu de 1892. Sur celle du bas, on peut voir le même secteur en 2011. Les ruines du bureau des douanes sont maintenant sous le monument commémoratif national de guerre de Terre-Neuve, partiellement visible à droite, et la partie de Water Street qui se trouve en face.
Photographie du haut publiée avec la permission de la Division des archives et collections spéciales, (Coll. 137.02.04.019), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Photographie du bas: Keith Collier. © 2011, site Web du Patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador

Plusieurs autres rues ont été élargies, redressées ou modifiées, mais le gouvernement a rejeté toute modification de la ville à grande échelle recommandant un plan rectiligne. Le premier ministre du Conseil des ministres (c'est ainsi qu'on appelait le premier ministre à cette époque) William Whiteway affirmait que « les rues parfaitement droites qui sont rectilignes et qui se croisent à angle droit ne sont pas les plus belles » et que les rues tournantes « sont plus sécuritaires pour les piétons les jours de tempête ». Il y avait également un problème avec les propriétaires absents, qui possédaient beaucoup de biens à St. John's mais qui vivaient à l'étranger, généralement en Angleterre. Ils avaient souvent hérité de leurs propriétés sans être jamais allés à Terre-Neuve (ou rarement), ce qui empêchait les transformations majeures.

Le conseil municipal de St. John's a été créé en 1888, mais ses pouvoirs étaient limités. Des frictions sont apparues entre le conseil et le gouvernement peu après l'incendie. Dans les faits, le gouvernement a pris la responsabilité de reconstruire la ville, d'adopter et de faire respecter des règlements relatifs aux incendies, et de régler les problèmes concernant la propriété des terres et les indemnités. Malgré cela, le gouvernement a ajouté à la dette du conseil municipal les 370 000 $ qu'il avait dépensés pour la reconstruction entre 1892 et 1895. Cette dette n'a été effacée qu'en 1937.

Le conseil municipal a assumé la responsabilité pour les parcs de même que pour les services d'eau et d'égout, mais le gouvernement a installé de nouveaux ouvrages de purification de l'eau sans l'approbation du conseil. Peu de temps avant l'incendie, le conseil avait construit un nouvel égout intercepteur sous Water Street afin de remplacer les égouts de décharge (la plupart d'entre eux recouvraient des ruisseaux) qui se déversaient dans le port (des parties de l'égout ovoïde en briques ont été découverts lors de la construction, entre 2006 et 2009, du nouvel égout intercepteur*). La loi sur la reconstruction interdisait la construction de nouvelles maisons en l'absence de raccordements d'égout. Les services d'eau ont été rétablis plutôt rapidement.

La plaque de Flavin's Lane, en 2011
La plaque de Flavin's Lane, en 2011
La Newfoundland Light and Power Company a posé une plaque historique indiquant le site de la première usine génératrice d'électricité ayant fourni un service public d'électricité à St. John's. (Sur Flavin Street près de Rawlins Cross)
Photographie: Keith Collier. © 2011, site Web du Patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador

L'incendie de 1892 a également accéléré le remplacement de l'éclairage au gaz par l'éclairage électrique. La plus grande partie de l'infrastructure de la St. John's Gas Light Company, située dans l'East End, a été démolie. Même si les usines à gaz du West End ont survécu au feu, la destruction de la moitié de la ville a coûté à l'entreprise 60 pour cent de son chiffre d'affaires. La centrale de la St. John's Electric Light Company de Flavin's Lane a été détruite, mais elle a rapidement été reconstruite à l'angle de Bond Street et de Flavin Street, et elle a été opérationnelle dès septembre 1892. Dès novembre, la zone sinistrée a eu accès à l'électricité. Les clients qui utilisaient le gaz ont dû attendre que les rues soient débarrassées des décombres pour que de nouvelles conduites principales de gaz soient installées, une tâche qui a pris près de deux ans dans certains secteurs. Par conséquent, de nombreux clients ont opté pour l'électricité, laquelle est vite devenue la principale source de lumière dans les rues et les immeubles. La compagnie gazière a alors décidé de se consacrer plutôt à la vente d'appareils au gaz et de combustible pour la cuisson, le chauffage et l'industrie, et son exploitation a pris fin dans les années 1960.

Le coin Yellow Belly Corner en 2011
Le coin Yellow Belly Corner en 2011
Construite avant l'incendie de 1892, la brasserie Yellow Belly est typique des constructions en pierre du 19e siècle avec son toit à deux versants et ses cheminées aux extrémités. L'édifice Nonia (à droite de l'edifice Yellow Belly), reconstruit après le grand feu de 1892, a un toit plat caractéristique de la période postérieure au feu.
Photographie: Keith Collier. © 2011, site Web du Patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador

Influences architecturales

L'architecture du cœur du centre-ville date surtout de la période ayant immédiatement succédé à l'incendie. L'influence du style néogothique est évidente dans certains bâtiments reconstruits tels que la cathédrale anglicane et l'église presbytérienne St. Andrew (The Kirk) sur Long's Hill. Le « style Southcott », introduit à Terre-Neuve par la société contractante J. & J. T. Southcott dans les années 1870, a particulièrement marqué les constructions postérieures à l'incendie. Ses principales caractéristiques sont les mansardes, les lucarnes à fenêtre surmontées d'un larmier et les fenêtres en saillie du rez-de-chaussée. Les styles Queen Anne et Second Empire, aussi en vogue dans les maisons de cette période, comportent des éléments architecturaux similaires, mais beaucoup de maisons n'étaient dotées que d'un toit plat et de corniches à consoles.

On peut faire une comparaison intéressante à l'angle de Beck's Cove et de Water Street, où se trouve la délimitation du secteur incendié du côté ouest en 1892. Les édifices à l'ouest de l'intersection ont des toits à pignon (très inclinés) et des murs de pierre dotés de cheminées, des caractéristiques typiques des constructions datant d'avant l'incendie. Les édifices situés à l'est de l'intersection, le long de Water Street, ont généralement des toits plats, car ceux-ci étaient plus faciles à construire, moins coûteux et assez communs dans les bâtiments construits après l'incendie.

La fin de la reconstruction

La reconstruction a pris fin en grande partie en 1895 et la ville a généralement conservé ses méthodes de gestion du territoire en concentrant les immeubles commerciaux autour du port et les secteurs résidentiels à flanc de collines. La reconstruction qui a eu lieu après l'incendie de 1892 a toutefois entraîné certains changements. Le secteur ouest de la ville a survécu, mais la reconstruction du secteur est a permis d'introduire de nouveaux styles architecturaux et d'accélérer l'implantation d'un réseau électrique et d'un réseau d'égouts. On a aussi noté que la concentration des propriétés commerciales et résidentielles a changé au moment où les entreprises, pressées de reprendre leurs activités, ont déménagé dans le West End.

Selon les données de recensement, en 1891, l'East End comptait un peu moins de 50 pour cent des « locaux mercantiles » de la ville, mais en 1901 seulement 20 pour cent des « locaux commerciaux » se trouvaient dans ce secteur. Certaines rues, qui servaient de pare-feu, étaient plus larges et plus droites. On construisait davantage avec de la brique et de la pierre, mais le bois continuait d'être le matériau de construction le plus utilisé. À la fin du 19e siècle, la population de St. John's a augmenté rapidement avec l'arrivée de ceux qui quittaient l'industrie de la pêche pour travailler pour le chemin de fer ou encore dans les bureaux et usines de la ville. La reconstruction rapide de St. John's a confirmé le rôle important de cette ville. On avait d'ailleurs déjà commencé à observer son urbanisation croissante avant que le grand feu rase la moitié de son territoire.

* Une conférence donnée par Gerald Penney et Associés, les responsables de l'interprétation du site archéologique où a été construit le nouvel égout intercepteur, est disponible en ligne sur le site Web de la ville de St. John's. On y trouve notamment des photographies et de l'information sur les découvertes archéologiques qui y ont été faites. Vous trouverez ce site ici:
https://www.stjohns.ca/sites/default/files/files/publication/Under the Streets of St. John's 2010.pdf

English version