La culture des Béothuks

La culture matérielle des Béothuks comprend les objets physiques qu'ils ont laissés derrière eux, ce qui inclut leurs outils, leurs armes et leurs vestiges (les artefacts d'une culture qui ne peuvent être déplacés, comme les ruines des habitations, les fosses, les âtres et tout ce qui s'y apparente).

Un wigwam béothuk
Un wigwam béothuk
Illustration par David Preston Smith. Avec la permission du ministère du Tourisme, de la Culture et des Loisirs du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador.

L'utilisation du fer

La culture matérielle des Béothuks s'est développée à partir du précédent Little Passage Complex; les débuts de la culture béothuque consistent tout simplement en l'ajout des matériaux européens à la culture amérindienne de Little Passage. L'ajout de ces nouveaux matériaux a considérablement modifié la culture béothuque au fil du temps. Par exemple, lorsque les Européens mirent le pied pour la première fois dans cette région du globe, les Béothuks façonnaient des pointes en pierre pour leurs flèches, leurs lances et leurs harpons ainsi que des couteaux et des grattoirs à peaux. Graduellement, toutefois, les Béothuks ont remplacé ces outils et ces armes en pierre par des objets en fer.

Il est facile de comprendre pourquoi les Béothuks ont fait ce choix. Le métal forgé relativement mou du début de l'ère moderne pouvait être travaillé à froid sans recourir à une forge. De plus, même si les outils en pierre peuvent être très affûtés, ils sont plus difficiles à réaffûter que les objets en fer. Par ailleurs, la pierre a tendance à voler en éclats lorsqu'elle frappe une surface dure, tandis que le fer ne se déforme que légèrement; il est alors facile de lui redonner sa forme initiale. Les Béothuks trouvaient leur fer, spécialement pendant le 16e et le 17e siècle, dans les postes de pêche abandonnés par les Européens durant la saison morte. Lorsque les pêcheurs migrants provenant de l'Espagne, du Portugal, de la France et de l'Angleterre retournaient à la maison à l'automne, ils laissaient derrière eux des quais, des vigneaux, des chafauds et des débris provenant des grandes activités de pêche à la morue. Les clous étaient utilisés pour construire bon nombre de structures pour la pêche et ils étaient idéaux pour fabriquer des pointes de projectiles. Les sites béothuks comme Boyd's Cove à Baie Notre Dame, contenaient des centaines de clous, et bon nombre d'entre eux ont été convertis en pointes de flèches, en pointes de lances et en grattoirs pour les peaux. Les Béothuks récupéraient également les hameçons perdus pour en faire des alènes, de même que des bouts de lame de couteau, des scies, des limes et d'autres objets qui, bien qu'endommagés, pouvaient s'avérer encore fort utiles.

À la fin du 17e siècle, les groupes de Béothuks qui avaient accès aux bâtiments abandonnés des Européens sur le littoral avaient pratiquement remplacé toute leur technologie de la pierre, à l'exception de ce qui semble être des pointes de flèche pour enfants. Sur le site de Boyd's Cove, on a retrouvé des dizaines de pointes de flèche très petites (10 à 20 millimètres) qui étaient très certainement destinées à l'usage des enfants. De toute évidence, les minuscules pointes n'auraient pas pu être emmanchées sur les hampes des flèches d'un mètre de longueur utilisées par les adultes béothuks.

Un canot béothuk en écorce de bouleau
Un canot béothuk en écorce de bouleau
Les flancs, la poupe et la proue surélevés de l'embarcation lui permettaient probablement de demeurer stable dans les eaux agitées.
Illustration par David Preston Smith. Avec la permission du ministère du Tourisme, de la Culture et des Loisirs du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador.

La technologie supérieure des Béothuks

Les Béothuks ont certainement conservé de nombreux éléments de leur culture matérielle traditionnelle, dont une grande partie était supérieure aux éléments technologiques européens similaires. À titre d'exemple, les Béothuks construisaient de superbes canots d'écorce de bouleau, légers, faciles à réparer. Certains d'entre eux étaient même aptes à effectuer de longs voyages en mer. Les Béothuks ont également continué de fabriquer des contenants légers et robustes en écorce de bouleau pour la nourriture et l'eau.

Un contenant béothuk en écorce de bouleau recouvert d'ocre rouge
Un contenant béothuk en écorce de bouleau recouvert d'ocre rouge
Avec la permission du Mary March Museum, Grand Falls, T.-N.-L.

En ce qui concerne les vêtements, les Béothuks utilisaient des peaux de caribous qui étaient très chaudes sans être lourdes. Les tendons, provenant de l'épine dorsale du caribou, étaient utilisés pour faire du fil qui donnait un matériel aussi solide que de la ligne à pêche.

Les habitations des Béothuks

Un wigwam conique des Béothuks
Un wigwam conique des Béothuks
Après avoir creusé une cavité peu profonde dans le sol, une structure de perches était érigée avant d'être recouverte d'écorce de bouleau. Des branches d'épinette pouvaient être disposées sur le pourtour du wigwam pour parfaire l'isolation. La terre excavée pouvait alors être amoncelée à l'extérieur sur le pourtour du wigwam.
Illustration par David Preston Smith. Avec la permission du ministère du Tourisme, de la Culture et des Loisirs du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador.

Certains autres types d'habitation béothuque, par ailleurs, semblent avoir considérablement évolué au fil du temps. Les vestiges, plutôt rares, d'habitations de la culture Little Passage Complex suggèrent que les Béothuks construisaient des structures coniques temporaires en plaçant de l'écorce ou des peaux sur une armature constituée de petites perches, un peu comme une petite version du tipi des Amérindiens des plaines. Toutefois, aux alentours du 17e siècle, des groupes de Béothuks se sont mis à construire des structures de plus grande envergure. Bon nombre de sites béothuks comprennent une variété de ces habitations plus grandes qui démontre peut-être que les Béothuks pouvaient se permettre de rester à un même endroit plus longtemps que durant la période préhistorique. (Les armes en fer augmentaient peut-être l'efficacité des activités de chasse, ce qui permettait de mettre en réserve plus de nourriture.)

Un wigwam béothuk
Un wigwam béothuk
Voici une reconstitution possible, fondée sur des découvertes archéologiques, représentant la construction d'un wigwam béothuk.
Illustration par David Preston Smith. Avec la permission du ministère du Tourisme, de la Culture et des Loisirs du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador.

Les habitations de plus grande envergure avaient communément plusieurs côtés, ou étaient de forme subcirculaire, et avaient un diamètre d'environ 6 à 7 mètres. Les habitations de ce genre étaient construites d'abord en creusant un trou peu profond dans le sol. Ensuite, de courtes perches, d'environ un mètre, étaient plantées dans le sol. D'autres perches, parfois appelées « longerons », étaient ensuite liées à la cime, et à partir de celles-ci, des chevrons se prolongeant vers l'intérieur formaient le soutien pour le toit. De l'écorce de bouleau était utilisée pour faire le toit et le revêtement pour les murs. Ensuite, la terre excavée était amoncelée sur le périmètre de la structure. Un autre type d'habitation consistait simplement en un wigwam conique, similaire au tipi, que l'on érigeait dans une fosse en amoncelant de la terre sur le pourtour des murs. Au cours de la période historique, ce type de wigwam était parfois recouvert d'une voile européenne au lieu d'utiliser de l'écorce ou des peaux.

Les Béothuks construisaient également une sorte d'habitation comparable à la shaputuan construite par les Innus du Labrador. Ces habitations étaient de forme ovale; celles retrouvées à Boyd's Cove étaient de 9 à 10 mètres de long sur 4 à 5 mètres de large. L'une des habitations excavées de Boyd's Cove comprenait un âtre assez long qui parcourait le centre de la structure. Cet âtre contenait de minuscules particules d'os brûlés, ce qui suggère que cette habitation a été le théâtre de festins répétés, probablement apparentés aux festins de mokoshan toujours pratiqués par les Innus aujourd'hui. Le mokoshan consiste en des os de pattes de caribou moulus pour faire une purée d'os qui est ensuite bouillie. Lorsque la moelle osseuse et le collagène (une protéine) montent à la surface de l'eau, le tout est écumé puis pressé et formé en gâteaux avant d'être consommé. De grands soins étaient apportés afin d'éviter de renverser quoi que ce soit sur le sol. Ce festin était tenu en l'honneur du maître des caribous, cet esprit qui dirigeait le mouvement des hordes de caribous pour que les hommes puissent les capturer. Ces âtres, remplies de purée d'os, ont été retrouvées dans un grand nombre de sites béothuks et dans les sites associés à la culture Little Passage Complex, et ils nous offrent un petit aperçu de la vie spirituelle des Béothuks.

Ressources marines et terrestres

Le caribou, dont l'esprit était honoré par le mokoshan, était l'un des animaux les plus significatifs chassés par les Béothuks. Il était plus facile de le tuer durant sa migration automnale lorsqu'il quittait ses territoires estivaux pour gagner les terres où il pouvait se nourrir en hiver. Nous savons que certains groupes de Béothuks érigeaient des clôtures à cervidés; il s'agissait de longues rangées de perches auxquelles étaient attachés des morceaux de peau ou de vêtement qui voletaient au vent. Ils érigeaient ainsi des couloirs qui contraignaient les animaux à gagner l'eau, endroit où ils sont plus vulnérables. Le caribou était de loin l'animal terrestre le plus important pour les Béothuks, mais nous savons, grâce à l'analyse des os d'animaux retrouvés sur les sites béothuks, qu'ils chassaient également le castor de même que des animaux tels que la martre et la loutre pour leur fourrure.

Les ressources marines, de même que terrestres, étaient essentielles aux Béothuks. Le phoque du Groenland et le phoque commun étaient régulièrement chassés, de même qu'une grande variété d'oiseaux marins. Les eaux du littoral fournissaient également des palourdes, des moules, des homards et un large éventail de poissons côtiers. La plupart de ces espèces, ainsi que les animaux terrestres, n'étaient pas présents à l'année. Les Béothuks devaient donc synchroniser leurs déplacements avec ceux des animaux pour pouvoir pêcher et chasser. On croit parfois à tort que les chasseurs-cueilleurs erraient dans le paysage à la recherche de nourriture. Rien n'est moins vrai. Les chasseurs-cueilleurs de Terre-Neuve devaient se trouver précisément sur certaines îles isolées ou sur certains caps à la fin de l'hiver ou au début du printemps pour chasser le phoque du Groenland, par exemple, ou même aller aux abords d'un certain courant marin pendant deux semaines en mai pour y pêcher l'éperlan, ou se poster aux abords d'une importante rivière à saumons pour intercepter leurs flux migratoires, et ainsi de suite. Ils devaient également planifier leurs visites dans les carrières pour se procurer les pierres nécessaires à la confection d'outils.

Société, politique et religion

Dans toutes les sociétés, les décisions concernant les déplacements lors du cycle saisonnier étaient prises selon un certain type d'organisation sociale et politique. Pour les Béothuks, leur vie sociale et politique était façonnée du fait qu'ils vivaient en bandes. Les bandes de chasseurs-cueilleurs subarctiques comme celles des Béothuks comprenaient généralement de 35 à 50 personnes, soit sept à dix familles. Même si de telles bandes avaient des chefs, souvent des chasseurs chevronnés ou des personnes reconnues pour leur sagesse, les décisions portant sur certains enjeux étaient habituellement le fruit d'un consensus. Les sociétés constituées en bandes se révèlent égalitaires, ce qui signifie que le statut ou le respect se mérite et qu'il n'est pas hérité.

Nous ne savons que très peu de choses sur les croyances religieuses des Béothuks. Les comptes-rendus de la religion béothuque qui date du 19e siècle sont suspects puisqu'ils semblent souvent inclure des éléments manifestement chrétiens ou d'origine européenne. Le festin de mokoshan, précédemment mentionné, est typique des chasseurs subarctiques de l'est du Canada, comme les Innus, et il est fort probable que les Béothuks avaient d'autres éléments en commun avec les Innus concernant leur vision du monde. Par exemple, il est presque certain que les Béothuks ne faisaient pas de distinction, comme nous le faisons, entre la vie religieuse et la vie en général. Alors qu'aujourd'hui en Occident nous reléguons la religion à de petits moments passés à l'église, pour les Béothuks, la chasse était probablement une activité spirituelle en soi, effectuée d'une manière qui respectait l'esprit de l'animal.

Au 19e siècle, des fouilles ont été effectuées dans quelques tombes béothuques par des gens des environs et d'ailleurs. Ces fouilles ont permis d'apprendre qu'il était commun de mettre dans les tombes béothuques différents objets comme des arcs, des flèches, des couteaux, etc. Ce qui suggère que la religion béothuque comportait peut-être une croyance voulant que le défunt ait besoin de ses outils et de ses armes dans la vie après la mort.

La religion béothuque, comme cela a été indiquée, partage certains éléments avec celle des Innus. Par ailleurs, la langue pourrait également lier ces deux peuples. Le professeur John Hewson de Memorial University a analysé les fragments de vocabulaire béothuk recueillis au 18e et au 19e siècle par des observateurs, et il a découvert que la langue des Béothuks appartenait à la famille algonquienne des langues amérindiennes de l'Amérique du Nord. Les Mi'kmaq parlent une langue empruntée aux Algonquiens de l'est, alors que les Cris et les Innus parlent des langues issues de celle des Algonquiens du centre du continent. Le professeur Hewson suppose que la langue béothuque est une variante de la langue des Algonquiens du centre du continent, une autre indication appuyant l'hypothèse qu'il existe un lien entre les Innus et les Béothuks.

Ce n'est qu'un aperçu de la culture béothuque. Il faut insister sur le fait qu'il est faux de croire que les Béothuks ont conservé le même mode de vie pendant des siècles comme on l'entend souvent dans les médias populaires. Aucune culture amérindienne n'est restée la même pendant des siècles – il s'agit d'une vision statique et raciste de la culture amérindienne. L'archéologie nous a démontré que toutes les cultures amérindiennes ont innové et se sont adaptées de diverses manières. L'arrivée de nouveaux peuples, le changement du climat et l'arrivée de nouvelles idées ont exigé des innovations et des réponses de la part des Autochtones, et à cet égard, il est clair qu'ils partagent une caractéristique commune à toute l'humanité.

English version