Les peuples autochtones de la période récente de l'île de Terre-Neuve

Les ancêtres directs des Béothuks ont laissé, entre autres empreintes de leur passage, des outils auxquels les archéologues ont donné le nom de Little Passage Complex d'après le premier site officiellement classé archéologique situé sur la côte sud de Terre-Neuve. (Les archéologues désignent par le mot complex [complexe] des outils d'une certaine facture dispersés dans l'ensemble d'une région et correspondant à une période donnée. Ce mot est très pertinent lorsqu'on dispose de peu d'information sur le peuple qui les a fabriqués.) Parmi ces outils caractéristiques, on note des pointes de flèches très différentes de celles déjà découvertes dans l'île de Terre-Neuve.

Pointes de projectiles, Little Passage Complex
Pointes de projectiles, Little Passage Complex
Île Inspector, baie Notre Dame.
Avec la permission de Ralph Pastore, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les outils du Little Passage Complex

Ces pointes de flèches de couleur verdâtre, souvent en chert (de la même famille que le silex), sont magnifiquement façonnées. Ce minéral très dur se fracture de façon prévisible lorsqu'on le taille. On en tirait divers outils comme des couteaux, des aiguilles et des grattoirs. Les bords du chert, tout comme ceux du silex, sont très acérés. Fraîchement taillés, ils sont aussi coupants que ceux d'une lame de rasoir.

Morceau de chert, Little Passage Complex
Morceau de chert, Little Passage Complex
Île Inspector, baie Notre Dame.
Avec la permission de Ralph Pastore, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.
Éclats laminaires, Little Passage Complex
Éclats laminaires, Little Passage Complex
Île Inspector, baie Notre Dame.
Avec la permission de Ralph Pastore, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Pour les travaux de coupe plus importants, les Autochtones du Little Passage Complex façonnaient aussi un outil plus robuste appelé biface. Les deux faces de l'outil étaient taillées d'où le nom biface, « bi » signifiant deux. Plusieurs de ces objets mesuraient environ 10 cm sur 6 ou 7 cm. Ils servaient, pense-t-on, à abattre de gros animaux et à couper du bois. C'était une sorte d'instrument à tout faire pour les durs travaux.

Bifaces, Little Passage Complex
Bifaces, Little Passage Complex
Île Inspector, baie Notre Dame.
Avec la permission de Ralph Pastore, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le mode de vie

Aucun vestige ne fournit d'indices sur le type d'habitation des Autochtones du Little Passage Complex. Selon les archéologues, ils bâtissaient des abris temporaires, peut-être semblables aux tipis des Autochtones des Plaines, mais plus petits et recouverts d'écorce ou même de peaux. Ils cuisinaient et se réchauffaient au moyen de feux de bois construits sur des pierres de la grosseur d'un poing.

Il serait très intéressant d'en connaître un peu plus sur ce peuple, mais le sol acide de Terre-Neuve a dissous tous les matériaux organiques tels que les os, le bois et la peau. Les sites archéologiques du Little Passage Complex n'offrent que quelques outils en pierre et les vestiges de feux de camp depuis longtemps éteints. Il faut donc se résoudre à deviner le type de vêtements et d'embarcations, et de grands pans de leur mode de vie.

Un petit nombre de sites archéologiques recèlent pourtant des spécimens d'os d'animaux. Cette situation résulte généralement d'une diminution de l'acidité du sol grâce à la présence de calcaire ou de coquilles. L'étude des os d'animaux (vestiges de la faune) enrichit les connaissances des archéologues sur le mode de vie des peuples anciens. Par exemple, de tels vestiges indiquent que les chasseurs d'ici devaient se déplacer en fonction du cycle de vie des animaux pour trouver l'indispensable gibier. Ainsi, le capelan était sans doute une source de ravitaillement très appréciée, mais le temps de frai était très bref chaque année et n'avait lieu que près de plages spécifiques. Le saumon remontait certaines rivières à des moments précis de l'année pour y frayer. La chasse aux œufs d'oiseaux était courte et n'était possible que sur les sites de nidification. La découverte d'os de caribou sur un site archéologique permet aux archéologues de déterminer après examen s'ils sont ceux d'un jeune animal. Si oui, ils savent que l'animal a été abattu et consommé au printemps. Le campement était donc habité à cette période de l'année.

Le régime alimentaire

D'après les indices recueillis, les Autochtones du Little Passage Complex comptaient principalement pour se nourrir sur le caribou et le phoque, et à un moindre degré sur le poisson, le castor, le canard et les oiseaux de mer. Rien d'étonnant ici. Les peuples autochtones de Terre-Neuve chassaient assurément le caribou et le phoque, et complétaient leur régime alimentaire avec des espèces moins importantes. Les conditions climatiques et le sol de l'île ne permettaient pas la culture du maïs, des haricots et des courges, des plantes vitales aux peuples agricoles comme les Hurons de l'Ontario.

Grattoirs, Little Passage Complex
Grattoirs, Little Passage Complex
Île Inspector, baie Notre Dame. Les petits grattoirs servaient à retirer la graisse de la peau.
Avec la permission de Ralph Pastore, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Il est à peu près certain que les Autochtones du Little Passage Complex s'approvisionnaient à la même source de nourriture que leurs descendants, les Béothuks. Des emplacements béothuks, situés au fond de baies et autres emplacements protégés, contiennent souvent des vestiges archéologiques de ce peuple du Little Passage Complex. Au cours de fouilles, des archéologues y ont déterré, sous des clous en fer, des outils en pierre associés au peuple de Little Passage. Les Béothuks récupéraient ces clous dans les installations de pêche abandonnées par les Européens et les transformaient en pointes de flèches ou de lances. C'est l'utilisation du fer qui les distingue de leurs ancêtres du Little Passage Complex. C'est la raison pour laquelle ces vestiges nous amènent à affirmer que ces Autochtones sont devenus les Béothuks. En fait, c'est le même peuple. Lorsqu'ils ont acquis des biens des Européens, on leur a donné le nom de Béothuks. (De la même façon que les historiens appellent les anciens habitants de l'Italie des Romains, alors que leurs descendants se nomment maintenant Italiens. Il s'agit du même peuple, mais à des époques différentes.)

La majorité des sites archéologiques du Little Passage Complex qui ont été découverts datent de 700 ans à 1000 ans avant le présent. (ou BP : Before Present ; c'est ainsi que les archéologues précisent les années précédant le jour présent.) Les plus anciens remontent à 1000 ans. Ce qui différencie les Béothuks des Autochtones du Little Passage Complex sont les outils propres à chacun d'eux. Il en va ainsi des artefacts des ancêtres immédiats des Autochtones du Little Passage Complex qui étaient légèrement différents de ceux de leurs descendants.

Le Beaches Complex

Les archéologues désignent ces descendants par le nom de titulaires du Beaches Complex ainsi nommé d'après le site archéologique situé dans la baie de Bonavista. L'information qui les concerne est encore plus rare que celle relative aux Autochtones du Little Passage Complex. Les archéologues parviennent à distinguer les sites par les matières premières que ces deux groupes exploitent pour la fabrication d'outils en pierre. Les premiers préféraient le chert à grain fin bleu verdâtre alors que le peuple du Beaches Complex choisissait plutôt le chert à grain plus grossier noire et brune, ainsi que la rhyolite, une pierre assez commune, à gros grain, plus difficile à travailler.

Les pointes de flèches du Beaches Complex sont de plus grande taille et sommairement façonnées. Ces pointes de projectiles étaient probablement destinées à des dards ou à des lances plutôt qu'à des flèches. Des archéologues soupçonnent même que les Autochtones du Beaches Complex ne connaissaient pas l'utilisation de l'arc, contrairement aux Autochtones du Little Passage Complex. Par contre, les outils de ces derniers semblent bien dérivés de ceux de leurs ancêtres. Il est donc raisonnablement certain qu'il s'agit du même peuple à deux époques distinctes.

Pointes de projectiles, Beaches Complex
Pointes de projectiles, Beaches Complex
Boyd's Cove, baie Notre Dame.

Avec la permission de Ralph Pastore, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La pénurie de vestiges archéologiques du Beaches Complex sur l'île de Terre-Neuve reste importante. On en connaît moins sur ces Autochtones que sur ceux du Little Passage Complex, déjà fort mal connus. Les quelques éléments du Beaches Complex de l'île qui ont été retrouvés et datés semblent un peu plus anciens que ceux du Little Passage Complex. On ignore pourtant l'époque ou l'emplacement de l'émergence du Beaches Complex.

L'étude d'une culture encore obscure, le Cow Head Complex, en révélera peut-être les origines. Le nom de cette culture est tiré du site archéologique de Cow Head situé sur la côte ouest de l'île. On a découvert des outils associés à cette culture à L'Anse aux Meadows et dans la baie de Bonavista. Ces sites datent de 2000 ans à 1600 ans, ou plus récemment. Certains de ces outils ressemblent à ceux des Autochtones de l'Archaïque maritime, qui ont habité l'île il y a plus de 3000 ans. Des archéologues avancent la possibilité d'un lien entre la tradition de l'Archaïque maritime et ces peuples plus récents. Toutefois, ils n'ont trouvé aucun site archéologique à Terre-Neuve des premiers peuples se situant entre 3200 ans et 2000 ans avant le présent.

Outils, Cow Head Complex
Outils, Cow Head Complex
Cow Head, péninsule Great Northern.

Avec la permission de James A. Tuck, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

En résumé, le Little Passage Complex, le Beaches Complex et le Cow Head Complex nous informent sur les ancêtres des Béothuks de l'île de Terre-Neuve en nous faisant traverser 2000 ans d'histoire. Cependant, les tentatives de remonter plus loin dans le temps pour en apprendre davantage sur ces peuples de la période récente mettent en relief les maigres connaissances acquises. La découverte de plusieurs autres sites archéologiques sur ces peuples offrirait une riche source d'information sur leur mode de vie et leur origine.

Culture archéologique
Culture archéologique
Illustration de Duleepa Wijayawardhana d'après les données de Ralph Pastore, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

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