St. John's et la zone de taudis du centre-ville

En 2011, la ville de St. John's a connu une croissance rapide caractérisée par une augmentation de la valeur des propriétés et la construction de nombreux logements et commerces. Les conditions de logement, les prix et l'accessibilité n'étaient toutefois pas identiques sur l'ensemble du territoire de la ville, et l'augmentation rapide des prix d'achat et de location exerçait une pression accrue sur les groupes à faible revenu. Bien que certains quartiers étaient connus (à tort ou à raison) pour leurs logements insalubres, aucune zone spécifique de la ville ne soulevait l'indignation générale à cause de l'état des lieux ou n'était désignée expressément comme une zone de « taudis ».

Mais ce ne fut pas toujours le cas. Pendant une période d'au moins 70 ans, il y a bel et bien eu un quartier de taudis au cœur même de St. John's. Délimitée approximativement par Springdale Street à l'ouest, New Gower Street au sud, Carter's Hill à l'est et LeMarchant Road au nord, cette zone était occupée principalement par de vieilles maisons délabrées dépourvues de services d'hygiène essentiels. L'eau provenait de robinets communautaires et les collecteurs d'égouts étaient communs. Il y avait plus de 1000 maisons dans ce quartier et la plupart avaient besoin d'être remplacées. Le surpeuplement était aussi un problème majeur. Une enquête menée en 1942 a révélé qu'il y avait à St. John's 750 maisons requérant une démolition rapide et immédiate. La plupart était situées dans le quartier défavorisé du centre-ville. Environ 6200 personnes y vivaient et il y avait environ 2,5 personnes par chambre à coucher. À titre de comparaison, le Conseil du comté de Londres (responsable de fournir des logements sociaux à Londres, en Angleterre, à la même époque) recommandait une densité maximale de 1,25 personne par chambre à coucher.

Taudis, vers 1952
Taudis, vers 1952
Voici quelques exemples des maisons qu'on trouvait dans la zone des taudis en 1952-1953, juste avant le début de la suppression des habitats insalubres. On peut constater l'état lamentable du revêtement extérieur et des fenêtres ainsi que le piètre état de la cheminée sur la photographie du haut. Ces maisons n'étaient probablement pas étanches à l'eau. La ville était devenue propriétaire de la maison qu'on voit sur la photographie du bas à cause d'impôts impayés. On rapporte que les membres du conseil municipal ont été stupéfaits en voyant cette photographie.
Photographies: Stanley Pickett. Avec la permission du Dr Chris Sharpe, Département de géographie, Memorial University of Newfoundland.

Les origines du quartier des taudis

Même s'il était situé principalement en dehors de la zone incendiée, le quartier des taudis a commencé à se développer après le grand feu de 1846. Face à l'urgence de reconstruire, on a bâti rapidement de nombreuses maisons délabrées qui ne répondaient pas aux normes de construction. La situation s'est aggravée à la suite de l'incendie de 1892. Cette zone ayant échappé une fois de plus à la destruction, les vieilles maisons sont restées debout et n'ont pas été incluses dans le programme de reconstruction. Les personnes qui se sont retrouvées sans logis à cause du feu ont déménagé dans cette zone, ce qui a aggravé le surpeuplement et multiplié les facteurs d'insalubrité qui ont transformé cette partie de la ville en véritable zone de taudis au tournant du 20e siècle. Même si la population manifestait de plus en plus son indignation face à cette promiscuité et au manque d'hygiène, aucune mesure n'a été prise à court terme pour remédier à la situation.

Taudis, vers 1952
Taudis, vers 1952
Voici d'autres exemples de taudis. La maison sur la photo du haut a été la toute dernière à être démolie sur Central Street après le début de la suppression des taudis. La maison bleue, sur la photo du bas, n'avait pas de plancher – en franchissant la porte, on se retrouvait sur le roc dénudé de la côte.
Photographies: Stanley Pickett. Avec la permission du Dr Chris Sharpe, Département de géographie, Memorial University of Newfoundland.

Les premières tentatives d'amélioration de l'habitat

En 1910, un rapport du gouvernement a révélé que la ville comptait « un très grand nombre d'immeubles [qui] sont totalement inadéquats pour loger des êtres humains. Ils sont en si mauvaise condition qu'ils ne peuvent que contribuer à rabaisser physiquement, mentalement et moralement ceux qui y vivent ». Ce rapport faisait spécifiquement référence au district du centre-ville occupé par des taudis, une « horreur » où les conditions de logement épouvantables étaient néfastes pour la santé et le bien-être des résidants, entraînant ainsi une hausse des taux de décès, de tuberculose et d'autres maladies. On jugeait également que vivre dans de telles conditions était mauvais pour le moral, spécialement dans le cas des enfants, et que cette situation risquait de se transformer en terreau fertile pour la criminalité et les comportements déviants. Des rapports ultérieurs se sont attardés aux conséquences de l'absence d'espaces privés, surtout dans le cas des jeunes garçons et des jeunes filles forcés de toujours vivre et dormir ensemble.

Même si les autorités étaient conscientes du problème, elles ont consacré peu d'efforts à l'amélioration des conditions de logement à St. John's. Les tentatives d'élimination des taudis dans cette zone défavorisée étaient laborieuses et largement inefficaces. La plupart des gens vivant dans un logement inadéquat ne pouvaient pas payer les prix de location plus élevés exigés dans les zones plus salubres, et il était insensé de croire qu'ils arriveraient un jour à économiser suffisamment d'argent pour acheter ou construire leur propre maison. Même les résidants les plus à l'aise du quartier des taudis avaient peu de choix à cause de l'absence de terrains disponibles pour la construction et un manque évident de maisons plus appropriées à prix abordable. Certains résidants ont déménagé à l'extérieur des limites de la ville et construit des maisons à des endroits tels que Blackhead Road, Southside Road et Mundy Pond. Des personnes s'étaient déjà établies dans ces lieux au début du 20e siècle, mais la population locale a augmenté considérablement pendant la Grande Dépression lorsque des gens de différentes régions de Terre-Neuve ont déménagé en ville pour chercher du travail. Ces lieux ont connu une forte expansion dans les années 1940 et 1950 à cause de l'augmentation rapide de la population urbaine et de l'espace disponible. Ces banlieues périphériques n'ont pas vraiment réglé le problème de logement, mais ces milieux de vie étaient tout de même un peu plus convenables que les taudis.

L'aide et les investissements provenant de l'extérieur étaient évidemment nécessaires. Mais le gouvernement colonial et le gouvernement municipal, de même que les groupes religieux et sociaux, n'étaient pas très enthousiastes à l'idée de s'impliquer dans des projets de logements publics coûteux. Ils étaient d'avis qu'on devait plutôt enseigner aux groupes à faible revenu à prendre soin d'eux-mêmes au lieu de dépendre d'une aide financière quelconque. Néanmoins, plusieurs ensembles de logements ont été construits. En 1918, la ville, dirigée par le maire William Gosling, a bâti 22 logements à prix modique le long de Quidi Vidi Road. C'était la seule fois où la ville s'était impliquée directement dans la création de logements abordables. Ces maisons ont coûté plus cher que prévu et elles étaient trop chères pour les familles de la classe ouvrière. En 1920, la Dominion Co-operative Building Association, un projet d'habitation dirigé conjointement par l'homme d'affaires John Anderson, l'ancien maire Michael Gibbs et le président de la Longshoremen's Protective Union (LSPU) Jim McGrath, a permis la construction de quelques maisons sur Merrymeeting Road, mais les mêmes problèmes ont refait surface. La Railway Employees Welfare Association (REWA) a eu plus de succès, d'abord en accordant des prêts à faible taux d'intérêt et en proposant des plans de location-acquisition, puis en construisant des maisons le long de Craigmillar Avenue. En 1935, elle en avait bâti 123 au total. Les projets de la REWA étaient surtout couronnés de succès parce que ses membres étaient des employés de chemin de fer qui avaient des emplois plutôt stables et bien payés. Aucun de ces projets ne venait réellement en aide aux personnes vivant dans les quartiers de taudis.

La ville a fini par reconnaître qu'il était impossible de résoudre le problème de logement en comptant uniquement sur des initiatives du marché privé ou d'autres projets à petite échelle. En 1926, elle a donc commandé un rapport à l'urbaniste canadien Arthur Dalzell et, en 1930, elle en a réclamé un autre à l'architecte paysagiste Frederick Todd (qui a participé à l'aménagement du parc Bowring). Ces rapports ont été mis de côté avec l'arrivée de la Grande Dépression et toute mesure constructive a dû être reportée à cause de cette crise qui n'a fait qu'aggraver les problèmes de pauvreté et de logement.

La Confédération et l'élimination des taudis

Au début des années 1940, la prospérité locale due à la Seconde Guerre mondiale a enfin facilité la concrétisation de certains projets d'habitation. En mai 1942, la ville a créé la Housing and Town Planning (CEHTP), une commission d'enquête sur le logement. Les rapports et recommandations de la Commission ont donné lieu au développement de Churchill Park (voir l'article sur Churchill Park), le premier projet d'importance visant à améliorer les conditions de logement dans la ville. Même si l'aménagement du développement suburbain de Churchill Park a été un succès, cela n'a pas réglé le problème des taudis pour autant. Le quartier pauvre du centre-ville a donc survécu parce que les maisons de cette banlieue-jardin étaient trop chères pour les personnes à faible revenu.

Wickford Street, vers 1952
Wickford Street, vers 1952
Cette photographie, qui a probablement été prise sur Wickford Street en direction est, nous donne une idée de ce qu'était la zone des taudis en 1952-1953.
Photographie: Stanley Pickett. Avec la permission du Dr Chris Sharpe, Département de géographie, Memorial University of Newfoundland.

En 1949, l'entrée de Terre-Neuve et du Labrador dans la Confédération a été un véritable catalyseur pour les projets susceptibles de favoriser la création de logements à coût modique et la suppression des taudis. Cette année-là, le gouvernement fédéral a annoncé des changements majeurs dans sa politique de financement relative au logement social. La ville a ainsi pu compter sur le soutien financier considérable des gouvernements fédéral et provincial.

Les partenariats fédéraux-provinciaux ont permis la construction de centaines de logements sociaux subventionnés sur Cashin Avenue, Empire Avenue, Anderson Avenue et ailleurs. Plusieurs de ces appartements (dont les projets d'Empire Avenue et d'Anderson Avenue) ont été construits sur des terrains qui, à l'origine, devaient faire partie de l'aménagement de Churchill Park, et la plupart sont toujours là encore aujourd'hui. Les résidants du quartier des taudis ont été déplacés peu à peu vers ces nouveaux projets d'habitation et, à la fin des années 1960, la zone défavorisée du centre-ville a finalement été évacuée et les vieilles maisons ont été démolies en prévision de la rénovation urbaine.

Suite à l'élimination des taudis

Autrefois considérée comme une « verrue urbaine », cette partie du centre-ville a vite été revitalisée. Un nouvel hôtel de ville a été inauguré en 1970. L'hôtel Delta, la tour de bureaux Cabot Building et le complexe domiciliaire Sebastian Court ont aussi été construits. New Gower Street a été élargie pour permettre la construction des premiers jalons de la route Transcanadienne et le Mile One Stadium, inauguré en 2001 et rebaptisé le Mary Brown's Centre en 2021, a été le tout dernier projet d'envergure à transformer ce quartier. Jadis considéré comme embarrassant, l'ancien quartier des taudis est devenu un haut lieu du centre-ville.

L'ancien quartier des taudis, vers les années 1980
L'ancien quartier des taudis, vers les années 1980
Cette vue aérienne montre l'ancien quartier défavorisé après l'élimination des taudis alors que la rénovation urbaine battait son plein. Six mille personnes ont déjà vécu dans cette zone qui a subi une transformation spectaculaire par la suite.
Photographie publiée avec la permission des Archives de la ville de St. John's (image 11-06-793).

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