La musique instrumentale traditionnelle

La faculté de musique et le département de musique folklorique de la Memorial University of Newfoundland ont inscrit à leur programme des cours d'accordéon et de violon afin de souligner le magnifique patrimoine musical de la province. Le violon est l'un des instruments les plus populaires de Terre-Neuve-et-Labrador. L'industrie du disque et les spécialistes de la musique folk le reconnaissent depuis longtemps et ont mis en valeur des musiciens de grand talent comme Rufus Guinchard (1899-1990) et Émile Benoit (1913-1992).

Rufus Guinchard

Rufus Guinchard est né à Daniels Harbour dans la péninsule Northern à Terre-Neuve. Autodidacte, avec le violon de son père, il apprend les airs anciens des vieux violoneux de sa collectivité. Il commence jeune à faire de la musique dans les maisons (kitchen dances), alternant entre gigues, branles écossais (reels) et danses step. Il apprend aussi à marquer le rythme par des battements de pieds à la manière des violoneux canadiens-français. Cet accompagnement permet de battre la cadence lors des danses carrées, des cotillons et des danses step d'autrefois.

Rufus Guinchard (1899-1990), s.d.
Rufus Guinchard (1899-1990), s.d.
Rufus Guinchard commence à jouer du violon à 11 ans.

Photo de Justin Hall. Reproduite avec la permission de Singsong Inc.

À mesure que les danses passent des lieux privés aux lieux publics, c'est-à-dire des maisons aux écoles, aux salles de fêtes ou aux clubs locaux, Rufus Guinchard s'y produit parfois. De 1972 à 1978, il est membre d'un groupe musical de Terre-Neuve appelé Breakwater Boys, qui donne des spectacles un peu partout au pays tout en faisant aussi la promotion d'une maison d'édition de la province. De nouveau artiste solo, il se produit dans plusieurs grandes villes canadiennes, ainsi qu'en Angleterre, en France et aux États-Unis. En 1975, il prend sous son aile Kelly Russell. Ce dernier est un violoneux débutant en fin d'adolescence qui s'applique à polir son talent en prenant pour exemple d'éminents musiciens comme Rufus Guinchard lui-même.

Kelly Russell fonde ultérieurement une maison de disques, Pigeon Inlet Productions, consacrée principalement au répertoire musical et narratif folk de Terre-Neuve-et-Labrador. Sa compagnie enregistre un disque mettant en vedette Rufus Guinchard. L'album a pour titre Rufus Guinchard: Step Tunes and Doubles. Kelly Russell n'en poursuivra pas moins ses activités musicales en promenant son violon des groupes Figgy Duff et Wonderful Grand Band à ceux de Plankerdown Band et des Irish Descendants. Son parcours l'a aussi amené à se produire avec d'autres musiciens renommés, dont Émile Benoit.

Émile Benoit

Émile Benoit est un autre musicien terre-neuvien qui a amorcé sa carrière de violoneux en jouant dans les maisons avant de fouler diverses scènes nationales et internationales. Il est venu au monde en 1913 à l'Anse-à-Canards (Black Duck Brook), un village francophone situé dans la péninsule de Port-au-Port sur la côte ouest de Terre-Neuve.

Vers l'âge de 8 ans, à l'aide d'un violon jouet fabriqué de bouts de bois et de ficelles, il imite le maniement d'un violon, le battement de pieds et la façon de chanter d'un violoneux. À 12 ans, son oncle lui offre un vrai violon monté à partir de pièces récupérées, de bois de genévrier et de cordes de boyau. Il lui montre également à interpréter ses premières mélodies. Émile Benoit continue de s'améliorer. Il anime avec son violon des soirées dans les maisons, des mariages et des activités sociales organisées dans les paroisses. Il élargit ses connaissances musicales auprès d'autres violoneux et en écoutant la radio et la télévision. Il est également compositeur.

Sa façon de jouer témoigne du métissage des musiques irlandaise, française, écossaise, canadienne et américaine. Selon Colin Quigley, spécialiste du domaine folklorique et grand admirateur de la créativité d'Émile Benoit en musique traditionnelle, celui-ci lui aurait confié que « chaque musicien possède un son qui lui est propre. » (Colin Quigley, p. 214) [traduction libre] Émile Benoit exerce le métier de pêcheur jusqu'à 67 ans. Le réveil culturel qui déferle à Terre-Neuve-et-Labrador vers la fin des années 1960 l'élève au rang des musiciens les plus importants et les plus honorés de sa province.

Émile Benoit (1913-1992) s.d.
Émile Benoit (1913-1992), s.d.
Vers la fin des années 1960, Émile Benoit est l'un des musiciens les plus importants et les plus honorés de la province. Ici, sur scène en compagnie de sa fille Roberta.
Tiré de Music from the Heart: Compositions of a Folk Fiddler, de Colin Quigley, University of Georgia Press, Athens, Ga., ©1995, p. 5.

Un « violoneux »

Dans la tradition musicale de Terre-Neuve, un violoneux est plus qu'un violoneux. C'est parfois aussi un accordéoniste. Le mot violoneux désigne également un musicien capable de jouer des airs de danse sur un accordéon. Les deux instruments reproduisent avec clarté les notes dansantes d'une chanson. Dans les maisons, un violoneux peut interpréter des mélodies autres que dansantes, mais qui plaisent tout autant. Toutefois, dans une activité sociale, on juge souvent un musicien à son brio à faire danser. Au milieu du 20e siècle, le goût pour une musique de danse traditionnelle plus enjouée correspond à la montée en popularité de l'accordéon et sa sonorité pénétrante. L'accordéon à boutons est l'instrument le plus populaire.

Harry Hibbs et Minnie White

Les accordéonistes les plus célèbres de Terre-Neuve-et-Labrador sont Harry Hibbs et Minnie White. Originaire de l'île Bell, Harry Hibbs (1942-1989) s'installe à Toronto en Ontario en 1962. À la suite d'un accident de travail, il commence à jouer de la musique au Caribou Club de Toronto. Son émission de télévision, At the Caribou, y est diffusée jusqu'en 1973. C'est aussi à cet endroit qu'il enregistre son premier disque. Cette émission se transporte ensuite dans la ville de Cambridge et est rebaptisée The Harry Hibbs Show. Présentée chaque semaine, elle reste en ondes jusqu'en 1976. En 1972, il reçoit le prix du meilleur artiste folk, le Maple Award, l'ancêtre des prix Juno. Il poursuit sa carrière d'accordéoniste et de chanteur. Il interprète et enregistre de la musique irlandaise et de Terre-Neuve-et-Labrador jusque dans les années 1980. En 1988, il compte 19 albums à son nom. En février 2001, la East Coast Music Association lui décerne à titre posthume le prix Dr. Helen Creighton, un prix d'excellence pour l'ensemble de sa carrière. Cet artiste a largement contribué à faire connaître la musique de Terre-Neuve-et-Labrador, surtout parmi les Terre-Neuviens éparpillés au Canada. Il a également suscité l'engouement pour les chansons folk de la côte est à l'extérieur de l'île.

Harry Hibbs, 1971
Harry Hibbs, 1971
Cette photo d'Harry Hibbs était à l'époque une photo publicitaire pour la page couverture du numéro de février du magazine Canadian Composer.
Avec la permission de la succession d'Harry Hibbs.

La création du prix Harry Hibbs for Perseverance par les prix Porcupine en 1991 met en lumière l'incroyable apport d'Harry Hibbs à la musique traditionnelle de Terre-Neuve-et-Labrador. En 1994, la lauréate de ce prix est Minnie (née Hoskins) White, une très talentueuse accordéoniste qui voit le jour en 1916 à St. Alban's sur la côte sud-est de Terre-Neuve. Comme tant d'autres musiciens, elle apprend à jouer de son instrument sous la tutelle d'un membre de la famille, son père, Samuel Hoskins, un joueur d'harmonica, de violon et d'accordéon. Elle apprend aussi à maîtriser d'autres instruments. Elle se produit pour la première fois dans une fête privée. Elle a environ 8 ans et fait danser les participants. À 16 ans, elle emménage avec sa famille à Codroy Valley où des violoneux, et elle au piano, égayent les danses sociales.

Dans les années 1960, elle consolide sa réputation de « première dame de l'accordéon ». En 1993, elle reçoit l'Ordre du Canada. Elle est admise au Arts Council Hall of Honour de Terre-Neuve-et-Labrador l'année suivante. Au cours de l'été 1998, la collectivité d'Upper Ferry proclame la journée Minnie White en son honneur. En 1999, on lui remet le prix Dr. Helen Creighton, un prix d'excellence pour l'ensemble de sa carrière.

Autres instruments de musique traditionnelle

La guitare gagne en popularité depuis déjà plusieurs décennies. D'autres instruments de musique ont servi la musique traditionnelle, notamment la guimbarde, le peigne, la scie musicale, les cuillères, les os et l'ugly stick. La guimbarde est faite de deux branches de fer insérées dans la bouche et d'une languette métallique que fait vibrer l'index. Le musicien n'a qu'à modifier la forme de sa bouche pour obtenir différents sons.

Plusieurs instruments de musique sont rudimentaires ou empruntés à la vie quotidienne. Prenons le peigne. Recouvert d'une feuille de papier et placé sur la bouche, le musicien en obtient un vrombissement clair.

La scie musicale est, au départ, une égoïne. En manipulant et en grattant la lame avec un archet, le musicien en tire des sons.

De banales cuillers de métal peuvent très bien rythmer la musique. Un musicien tient une paire de cuillers par leur manche, et de sa main libre frappe l'une contre l'autre les parties convexes de ces ustensiles. Il peut tout aussi bien utiliser sa cuisse ou une autre partie de son corps pour le faire.

Avec deux bons os à viande, un musicien peut marteler d'une extrémité à l'autre le premier avec le deuxième.

L'ugly stick est un bâton d'environ 1 m 22. Des capsules de bouteilles, des boîtes de conserve, des clochettes et autres objets qui font du bruit y sont attachés. Il suffit ensuite d'agiter les objets avec une baguette.

En l'absence d'instruments, la voix prend le relais lorsqu'une personne émet des sons ou des syllabes dépourvus de sens qui se transforment en mélodie rythmée. Communément appelé chin music ou occasionnellement gob music ou mouth music, ce type de de musique avec la bouche exemplifie bien l'ingéniosité d'une population qui aime et apprécie son patrimoine musical.

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