Langues
Terre-Neuve-et-Labrador est aujourd'hui la province la plus linguistiquement homogène du Canada. La majorité de ses habitants, soit 98 %, parlent exclusivement l'anglais. La province n'en a pas moins un riche passé linguistique. Les langues autochtones, dont certaines se sont éteintes, font partie de la famille des langues algonquiennes (béothuque, mi'kmaq et innue) et esquimau-aléoute (inuktitut). En 1000 ans, un grand nombre d'Européens ont foulé les rives de Terre-Neuve et du Labrador, car ces territoires ont été parmi les premiers du Nouveau Monde à être explorés. Ces Européens parlaient notamment le scandinave, le basque, l'espagnol, le portugais, l'allemand, le français, le gaélique irlandais et le gaélique écossais. Toutes ces langues, sauf le français et le gaélique écossais, ont disparu. Elles ont cependant légué à la province des noms de lieux pittoresques et quelques mots de vocabulaire.
L'anglais
L'anglais parlé à Terre-Neuve-et-Labrador comporte bon nombre de particularités linguistiques touchant la prononciation, la grammaire, le vocabulaire, la sémantique et les expressions familières. Certaines de ces particularités représentent des variantes régionales ou sociales issues principalement des régions du sud-ouest de l'Angleterre et du sud-est de l'Irlande. D'autres reflètent une langue anglaise d'une époque lointaine ou découlent d'innovations langagières propres à la province.
L'utilisation très répandue de l'anglais n'étonne pas. En effet, la longue isolation de Terre-Neuve et du Labrador au cours de l'histoire a laissé cette région à l'écart des bouleversements socioéconomiques et politiques survenus en Amérique du Nord. En 1949, lors de l'union avec le Canada, les dialectes régionaux d'origine anglaise les plus anciens avaient évolué pendant 300 ans sans apport marquant de l'anglais courant. Ainsi, plusieurs sous-systèmes linguistiques locaux ont pu s'enraciner, surtout ceux associés à la grammaire et la prononciation des mots.
Les variations phonétiques notables concernent trois façons différentes de prononcer le I, la suppression ou l'ajout de la lettre h au début d'un mot, la transformation du phonème th en t ou d, et l'omission du r. Des phrases telles que Give 'in to I au lieu de Give it to me expriment bien une utilisation non conventionnelle des pronoms.
Les variations lexicales portent sur plusieurs formes et significations atypiques de mots. Ainsi, des mots d'origine gaélique irlandaise se sont parfois disséminés dans le vocabulaire des colons anglais lorsque ces derniers les ont anglicisés en s'appuyant sur l'étymologie populaire (ex. hangashore au lieu de aindeiseoir, « un misérable »). Deux variations caractéristiques de l'orthographe d'un mot résultent de l'inversion de deux lettres contigües (ex. haps au lieu de hasp) et l'ajout ou la suppression de syllabes (ex. kellup au lieu de kelp ou quite au lieu de quiet). L'utilisation du mot rig (gréement) au lieu de « clothing » (vêtement) et celui de stern/starn (poupe) au lieu de « buttocks » (fesses) renvoie au passé maritime des habitants.
Plusieurs études portant sur des formes dialectales anciennes révèlent de nombreuses variantes régionales. Par ailleurs, des études sociolinguistiques dévoilent que des facteurs sociaux tels le sexe, l'âge et la strate sociale influent sur ces variations. Enfin, des études ayant pour sujet les diverses attitudes qu'entretiennent les gens envers les variantes non conventionnelles de la langue parlée dans la province semblent signaler une certaine ambivalence. En effet, étonnamment, les citadins manifestent une attitude positive envers les locuteurs de dialectes non conventionnels.
Le français
Un seul groupe de francophones s'est véritablement installé dans la province et a participé à sa colonisation. À la fin du 18e siècle, des Acadiens surtout, originaires du Cap-Breton et des îles de la Madeleine, colonisent la péninsule de Port-au-Port et la baie Saint-Georges. En 1850, 80 % de la population de la région est francophone.
Tiré de The Illustrated London News, vol. 114, 14 janvier 1899, p. 40-41.
Au cours du 20e siècle et avant les années 1970, l'absence d'un réseau scolaire francophone a précipité une assimilation culturelle et linguistique à grande échelle. Même si les habitants de Stephenville parlent rarement français, les résidants de la péninsule de Port-au-Port ont désormais accès à un enseignement en français, ainsi qu'à un certain nombre de services en français, y compris des médias de langue française.
Le gaélique irlandais
Dans la première moitié du 19e siècle, les colons irlandais arrivent en majorité du sud-est de l'Irlande. Leur langue maternelle est le gaélique et peu d'entre eux parlent anglais. Pourtant, peu de documents attestent de l'utilisation du gaélique à Terre-Neuve ou de la transmission de la langue aux membres des générations suivantes. Dès le début du 20e siècle, le gaélique n'est plus parlé, mais il a laissé quelques vestiges langagiers chez les habitants de l'île. Des mots de vocabulaire comme scrob « scratch » (égratignure), sleveen « rascal » (canaille) et streel « slovenly person» (personne débraillée), et des structures grammaticales telles que l'immédiat perfectif, par exemple dans cette phrase « she's already after leavin' », et la prononciation de certains sons dans les mots « hill » (colline) ou « pole » (poteau).
Le gaélique écossais
À partir du milieu du 19e siècle, quelques familles écossaises quittent le Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, à la recherche de terres agricoles. Elles s'établissent dans le sud-ouest de Terre-Neuve, au sud de la baie Saint-Georges. Elles parlent le gaélique écossais. Près de 150 ans plus tard, malgré l'absence de gens qui la parlent couramment, cette langue ne s'est pas complètement évanouie. Elle a laissé derrière elle des chansons et des récits traditionnels.
Le béothuk
Les Béothuks habitent l'île bien avant la venue des premiers Européens. Les rencontres entre cette petite population autochtone et les colons européens sont parsemées de conflits qui la rendent vulnérable à la maladie et à la faim. La dernière personne connue parlant le béothuk s'éteint en 1829. De nos jours, cette langue ne survit que par l'entremise de trois courtes listes de mots rédigées séparément. Les auteurs, des anglophones sans connaissances linguistiques particulières, s'appuyaient sur trois jeunes filles béothuques dans leur démarche. Ces documents sont truffés d'erreurs à la suite de plusieurs transcriptions.
Avec la permission de John Howley, St. John's, T.-N.-L. Tiré de documents non publiés appartenant à John Howley.
Selon des linguistes, ces mots suggèrent des liens de parenté entre la langue béothuque et la famille des langues algonquiennes, mais il est fort probable qu'il n'y en aura jamais confirmation.
Le mi'kmaq
Les Mi'kmaq de Terre-Neuve vivaient sur la côte ouest, le centre de l'île et à Conne River dans la baie d'Espoir (l'emplacement de la bande de Miawpukek). Le 20e siècle a accéléré l'assimilation des Mi'kmaq. La disparition de la chasse et de la pêche traditionnelles, et l'augmentation des mariages mixtes avec des non-Autochtones ont sonné le glas de la langue mi'kmaq. La dernière personne pouvant s'exprimer couramment dans cette langue est décédée à Conne River en 1979. Aujourd'hui, personne ne parle couramment le mi'kmaq dans la province. Par contre, elle est la langue maternelle de certains citoyens des Maritimes. Des groupes de Mi'kmaq locaux, de concert avec des enseignants de cette région, s'efforcent de redonner un souffle nouveau à la langue.
L'innu-aimun (montagnais-naskapi)
L'innu-aimun, avec plus ou moins 1600 locuteurs, constitue la langue la plus parlée après l'anglais et le français. La plupart des familles innues de Sheshatshit et de Natuashish la parlent à la maison. C'est la langue maternelle des jeunes même s'ils maîtrisent moins le vocabulaire et la grammaire que leurs parents et grands-parents. Dans les établissements d'enseignement locaux, les apprentissages se font de plus en plus dans cette langue. Toutefois, l'anglais est également enseigné à l'école et reste la langue de communication privilégiée à l'extérieur de la collectivité.
L'inuktitut (inuttut) du Labrador
Les Inuit sont surtout regroupés dans trois collectivités réparties sur la côte du Labrador soit Nain, Hopedale et Makkovik. L'utilisation de la langue inuttut décline dans ses trois localités. Seules un peu moins de 500 personnes sur environ 2000 de descendance inuit affirment qu'elle est exclusivement leur langue maternelle. Presque 300 d'entre elles habitent Nain et représentent une tranche d'âge plus avancée. Même à Nain, les enfants inuit parlent très peu l'inuttut au quotidien; l'anglais s'impose de plus en plus à la maison. La principale raison de cette perte au 20e siècle est la scolarisation en anglais, de même que le prestige dont jouissent la culture et la société anglophones.