Les journaux de 1806 à 1879

Le 22 septembre 1806, le gouverneur de Terre-Neuve, Sir Erasmus Gower, a octroyé à l'imprimeur John Ryan un permis l'autorisant à publier le tout premier journal de la colonie. À l'époque, aucune publication ne pouvait être mise en circulation sans l'approbation du gouvernement. Il s'agissait d'un progrès important, mais The Royal Gazette and Newfoundland Advertiser était (et demeurait) un organe gouvernemental réservé aux proclamations, aux avis publics et aux annonces. À partir de 1814, les presses et journaux indépendants ont obtenu le droit de publier. La presse écrite était en plein essor et environ 21 journaux étaient publiés au milieu du siècle.

La plupart des journaux du 19e siècle étaient ouvertement partisans et avaient un caractère confessionnel. Ils étaient généralement publiés sur une base hebdomadaire et satisfaisaient aux attentes de l'élite marchande et politique concentrée à St. John's et dans la baie de la Conception. Les choses ont commencé à changer après 1879 lorsque les changements technologiques, la croissance démographique et l'amélioration des taux d'alphabétisme ont favorisé l'émergence d'une presse hebdomadaire dans les petits villages éloignés et d'une presse quotidienne à St. John's.

The Royal Gazette
The Royal Gazette
Avec la permission de la bibliothèque provinciale de références et de ressources, Arts and Culture Centre, St. John's, T.-N.-L.

Une société en évolution

L'économie de Terre-Neuve était florissante au début du 19e siècle. La guerre qui se déroulait en Europe a permis à la colonie d'obtenir le quasi-monopole sur le commerce international du poisson, ce qui en faisait une destination attirante pour les migrants anglais et irlandais. Prospère et densément peuplée, Terre-Neuve s'est dotée de nouvelles institutions et de nouveaux services afin de répondre aux besoins de la société en pleine évolution. Les services médicaux et pédagogiques étaient plus accessibles, les églises exerçaient une influence de plus en plus grande, et un service postal a été mis sur pied en 1805.

En 1806, un groupe de marchands de St. John's a suggéré au gouverneur Gower de fonder un journal pour encourager le commerce et promouvoir le développement social de la ville. Gower a donc autorisé John Ryan à fonder une imprimerie et un journal. Né aux États-Unis, ce loyaliste de l'Empire-Uni s'était établi récemment à St. John's. Il arrivait du Nouveau-Brunswick où il avait dirigé deux journaux.

La publication de l'hebdomadaire The Royal Gazette a débuté le 27 août 1807. Ses quatre pages contenaient des avis administratifs, des annonces concernant le transport des marchandises ainsi que quelques nouvelles locales et étrangères. Des poèmes et de courts essais étaient parfois publiés sur la dernière page. Les armoiries royales et la devise Fear God: Honor the King (« Craignez Dieu; honorez le roi ») figuraient dans le générique du journal. Le permis octroyé à Ryan stipulait qu'il pouvait publier uniquement du contenu approuvé par le bureau du gouverneur.

Ryan a pu conserver le monopole pendant sept ans grâce aux différents gouverneurs qui se sont succédé et qui étaient tous ardemment opposés à la création de nouveaux journaux. En 1810, le fils de Ryan, Michael, qui souhaitait fonder un second journal, n'a pas obtenu la permission du gouverneur de l'île, Sir John Duckworth. Trois ans plus tard, le gouverneur Sir Richard Keats a refusé des projets similaires proposés par Alexander Haire et Robert Lee, des imprimeurs de la région spécialisés dans l'impression de documents d'expédition et de prospectus.

L'émergence d'une presse libre

La situation a changé en 1814 lorsque les procureurs de la Couronne ont déterminé que le gouverneur n'avait pas le pouvoir d'empêcher la fondation de journaux locaux et l'utilisation de presses à imprimer. Haire et Lee ont fondé le Newfoundland Mercantile Journal en 1814 ou 1815 (les premiers numéros n'ont pas survécu), marquant ainsi la naissance d'une presse libre dans la colonie. D'autres journaux ont été fondés par la suite: le Newfoundland Sentinel and General Commercial Register en 1818, dirigé par le fils de John Ryan, Lewis; le Public Ledger and Newfoundland General Advertiser en 1820, dirigé par Henry Winton; et le Newfoundlander en 1827, dirigé par John Shea. Deux journaux ont aussi vu le jour à l'extérieur de St. John's: le Harbor Grace and Carbonear Weekly Journal de Thomas W. Ball en 1828 et le Conception Bay Mercury de W.S. Comer en 1829.

The Public Ledger
The Public Ledger
Avec la permission de la bibliothèque provinciale de références et de ressources, Arts and Culture Centre, St. John's, T.-N.-L.

Jusqu'à la fin du 19e siècle, les activités de la presse se déroulaient principalement à St. John's et dans la baie de la Conception. Ces régions densément peuplées étaient en mesure de soutenir l'industrie de la presse, car c'est là que se déroulaient principalement les activités gouvernementales, commerciales et militaires. En revanche, les régions rurales étaient peu peuplées et les taux d'analphabétisme y étaient élevés. Il a toutefois fallu attendre les années 1880 pour que les améliorations apportées dans les domaines de l'éducation, du transport et de la technologie permettent la fondation de journaux dans les régions éloignées. Jusque-là, le lectorat était surtout composé de l'élite urbaine fortunée et instruite.

Malgré leur public restreint, les premiers journaux ont favorisé la tenue de débats publics comme Terre-Neuve n'en avait encore jamais connu auparavant. Ils ont incité la population à faire preuve d'une plus grande vigilance sur le plan politique, et les administrateurs gouvernementaux étaient désormais plus imputables qu'ils ne l'avaient jamais été. Les rédacteurs en chef débattaient entre eux et publiaient les lettres des lecteurs. L'émergence d'une presse libre suscitait toutefois la nervosité des autorités gouvernementales qui s'acharnaient à faire appliquer rigoureusement les lois britanniques sur la diffamation qui concernaient notamment le blasphème, la calomnie, l'obscénité et tout ce qui était susceptible de perturber l'ordre social. En 1821, par exemple, Lewis Ryan a fermé le Newfoundland Sentinel et s'est enfui de la colonie à la suite des accusations de diffamation portées contre lui.

Reportages sur la réforme

Au cours de cette même décennie, le mouvement de réforme a donné lieu aux premiers enjeux journalistiques à Terre-Neuve. Les journaux ont joué un rôle actif dans le débat entourant l'établissement d'un gouvernement représentatif dans la colonie. Le Sentinel (jusqu'à sa disparition), le Public Ledger et le Newfoundlander ont appuyé ce mouvement tandis que la Royal Gazette a décidé de renoncer à son impartialité habituelle pour exprimer son opposition. Les lecteurs envoyaient de nombreuses lettres aux journaux en réaction aux éditoriaux percutants qui prenaient parti pour un camp ou l'autre. En 1832, lorsque le gouvernement britannique a accordé un gouvernement représentatif à Terre-Neuve, la presse a continué à encourager les débats publics animés en les centrant cette fois sur la première élection générale de l'histoire de la colonie qui devait avoir lieu en novembre de la même année.

Newfoundlander
Newfoundlander
Avec la permission de la bibliothèque provinciale de références et de ressources, Arts and Culture Centre, St. John's, T.-N.-L.

Pendant la campagne électorale, une lutte pour le pouvoir politique s'est amorcée rapidement à St. John's entre les protestants anglais, qui gouvernaient traditionnellement la colonie, et les catholiques irlandais, qui représentaient un peu plus de la moitié de la population de l'île. Des problèmes d'ordre religieux et politique ont surgi sur la place publique alors que les candidats et les membres du clergé tentaient d'influencer les électeurs. La presse a également pris parti, contribuant ainsi à façonner la nature de la couverture journalistique au cours des décennies suivantes. Tous les journaux avaient une ligne éditoriale confessionnelle et politique et étaient catalogués selon les orientations religieuses et politiques de leurs éditeurs et rédacteurs en chef. Winton, par exemple, a été fréquemment accusé d'utiliser les pages du Public Ledger pour promouvoir un sentiment anticatholique et aider l'élite protestante en place à conserver le pouvoir politique.

À l'issue de l'élection générale de 1832, la presse faisait partie intégrante de la société terre-neuvienne. Elle avait acquis la fidélité d'un lectorat engagé et pouvait désormais miser sur la législature locale pour alimenter quotidiennement son fil de nouvelles. D'autres journaux ont aussi vu le jour. Il s'agissait pour la plupart d'hebdomadaires destinés à la population de St. John's et de la baie de la Conception.

Contenu et présentation visuelle des journaux

Les journaux de la colonie ressemblaient beaucoup à ceux de la Grande-Bretagne. Ils étaient généralement imprimés sur une feuille de 33 cm x 43 cm, une fois pliée, donnait quatre pages. Selon l'historienne Maudie Whelan: « La plupart publiaient – souvent sur la page couverture et la page arrière – des extraits de journaux britanniques et américains, des bulletins parlementaires et d'autres reportages sur les débats de l'heure et les conflits internationaux. Les pages 2 et 3 contenaient des nouvelles locales, des éditoriaux non signés et des lettres des lecteurs presque toujours signées d'un pseudonyme. Les pages intérieures présentaient également des rapports législatifs locaux, de brefs comptes rendus ponctuels sur la pêche, des reportages sur les navires, des nouvelles paroissiales et des reportages sur les écoles. La poésie et les romans-feuilletons avaient aussi leur place, et quelques colonnes étaient réservées aux avis de naissances, de décès et de mariages. » (The Newspaper Press, p. 46-47).

La politique et la religion constituaient l'essentiel des articles publiés dans les journaux de Terre-Neuve, mais d'autres sujets, comme la tempérance et la pauvreté, ont commencé à prendre de l'importance après les années 1830. La campagne visant à établir un gouvernement responsable a suscité de l'intérêt au début des années 1850, mais beaucoup moins que les débats vigoureux des années 1860 au sujet de la confédération. Les journaux de toutes allégeances ont publié beaucoup de propagande. Certains journaux ont été créés essentiellement pour promouvoir la confédération ou s'y opposer. Mentionnons entre autres le journal anti-confédération Morning Chronicle, fondé en 1862 par Charles Fox Bennett, un marchand de St. John's, et le Comet, un journal pro-confédération fondé en 1869 par John Thomas Burton, député de Bonavista à la Chambre d'assemblée.

Le débat qui a précédé l'élection de 1869 sur la question de la confédération a incité certains journaux à se transformer en quotidien. Les lecteurs étaient avides d'informations et les chefs des deux camps politiques étaient d'avis qu'une presse quotidienne serait un outil des plus efficaces pour influencer l'opinion publique. Le premier a été le St. John's Daily News and Newfoundland Journal of Commerce, un journal en faveur de la confédération qui a été publié de 1860 à 1869 et qui a été fondé par les fils de Henry Winton, Robert et Francis. Le Public Ledger a été publié quotidiennement pendant quelques mois en 1868, tandis que le Morning Chronicle a paru chaque jour jusqu'à ce qu'il cesse ses activités en 1873. À ce moment-là, tous les quotidiens avaient mis fin à leur publication ou étaient devenus des hebdomadaires, notamment à cause des contraintes technologiques qui coûtaient très cher en temps et en argent aux propriétaires de quotidiens.

Les journaux des années 1860 ont toutefois été les précurseurs d'une presse quotidienne qui allait dorénavant être permanente à St. John's en 1879 et refaçonner l'industrie des journaux. À ce moment-là, des presses d'imprimerie plus performantes, un lectorat plus vaste et une augmentation des revenus générée par les annonceurs ont permis aux journaux de faire face aux dépenses accrues et au besoin de main-d'œuvre liés à une publication quotidienne. Dans les années 1880, cette même conjoncture a permis la parution de journaux hebdomadaires dans les petits villages de pêche isolés.

English version


Vidéo: Premiers journaux à Terre-Neuve