Les gens de Stephenville

L'influence américaine

... Une histoire personnelle

Cet article a été écrit dans le cadre d'un projet collaboratif sur le Patrimoine. Il a été rédigé en 1998 par les élèves de l'école secondaire intégrée de Stephenville, sous la direction de leurs enseignants et enseignantes. L'article n'a pas été vérifié par l'éditeur académique du site Web du Patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador.

Lorsque les Américains sont arrivés à Stephenville, ils ont créé de nombreux emplois pour les civils de Terre-Neuve-et-Labrador et leur ont fait découvrir un tout nouveau mode de vie. Grâce à leurs interactions dans le monde du travail et en société, Américains et Terre-Neuviens ont appris à mieux se connaître. La présence de l'armée de la Force aérienne des États-Unis a transformé considérablement Stephenville, et tout particulièrement les habitants de la ville. Lorsque les Américains ont quitté en 1966, les gens savaient que les choses ne reviendraient jamais comme avant.

Travailler pour l'armée américaine

En 1941, l'ouverture de la base aérienne Harmon a favorisé la création de nombreux emplois. L'aménagement de la base n'a jamais été complètement terminé puisque de nouveaux projets de construction étaient toujours en cours. Pendant la phase initiale de construction, des milliers de gens ont été employés comme menuisiers, tuyauteurs, électriciens, soudeurs, mécaniciens et contremaîtres. Ces emplois étaient offerts à tous les civils de Terre-Neuve-et-Labrador ayant les qualifications requises. Après la phase initiale de construction, le nombre de travailleurs a diminué à environ 1600 personnes. Ces employés qualifiés étaient toujours indispensables pour faire des réparations ou collaborer aux nouveaux projets de construction. En plus de ces travailleurs, on avait également besoin d'employés de soutien, notamment des serveurs et serveuses ainsi que des personnes affectées au service de nettoyage et d'entretien.

La rémunération offerte pour ces emplois était équitable. Les salaires respectaient les normes provinciales en vigueur à l'époque. Beaucoup de gens l'ignorent, mais les Américains auraient accepté de verser de meilleurs salaires n'eût été l'opposition du gouvernement provincial. Ce dernier craignait que l'ordre établi dans la société soit perturbé si les Terre-Neuviens et Labradoriens travaillant pour les Américains étaient mieux rémunérés que ceux qui œuvraient pour le gouvernement de Terre-Neuve.

Les supérieurs des employés de Terre-Neuve-et-Labrador étaient des civils et des militaires. Les supérieurs étaient toujours très corrects envers les employés de la base. Les Américains savaient reconnaître les mérites de chacun. Si on faisait du bon travail et qu'on s'entendait bien avec ses collègues, ils prenaient le temps de le souligner. Mon père a travaillé à la base pendant 12 ans et il a souvent été récompensé. Par exemple, lui et un de ses collègues ont obtenu une distinction pour leur dossier de sécurité en tant que conducteurs d'équipement lourd.

Une certaine formation était nécessaire pour décrocher un emploi sur la base et, la plupart du temps, les meilleurs emplois étaient réservés à ceux qui avaient fait les meilleures études. Des cours par correspondance étaient offerts gratuitement et en tout temps aux civils soucieux de parfaire leur formation.

En franchissant les barrières de la base militaire, on avait l'impression d'entrer dans un autre univers. Les lois et les règles n'étaient plus les mêmes, la sécurité était renforcée, les biens personnels étaient différents, et même les routes et les bords de routes étaient aménagés de façon particulière. Des contrôles militaires étaient effectués à l'entrée de la base et parfois à la sortie. Au milieu des années 1950, un paquet de cigarettes coûtait 9 cents sur la base et l'alcool était aussi bon marché. Les civils n'étaient pas autorisés à en acheter pour consommation à l'extérieur de la base. Toutefois, si on avait un ami américain, on pouvait lui demander de nous en procurer sans que personne ne le sache.

Laissez-passer requis sur la base militaire (recto)
Laissez-passer requis sur la base militaire (recto)
Un laissez-passer émis par la base militaire était requis pour avoir accès à la base aérienne Harmon.
Laissez-passer requis sur la base militaire (verso)
Laissez-passer requis sur la base militaire (verso)

La sécurité était très stricte sur la base. Il fallait avoir son laissez-passer sur soi en tous lieux, et un laissez-passer spécial était exigé pour avoir accès à certains endroits. Un jour, mon père a oublié le sien à la maison par inadvertance et il s'est retrouvé en prison où on lui a fait subir un interrogatoire plutôt intense. Certaines personnes ont eu du mal à s'habituer au code de justice militaire. En ville, on pouvait aller n'importe où. Sur la base, l'accès à certaines zones était interdit. Les limites de vitesse étaient beaucoup moins élevées qu'en ville. La limite était de 15 mi/h (24 km/h) dans les zones résidentielles et elle était surveillée rigoureusement. Les pelouses et le devant des maisons étaient entretenus méticuleusement et il n'était pas permis d'y marcher. On pouvait être réprimandé si on dérogeait trop souvent à cette règle. Toutes les routes de la base étaient pavées et maintenues en parfait état.

Les relations entre Terre-Neuviens et Américains

Les interactions entre les travailleurs de la base ont abouti à de nombreux mariages et à des amitiés de longue durée. Au moment de son ouverture, la perspective de nombreux emplois a attiré des groupes d'hommes venus par train de toutes les régions de Terre-Neuve. Ils n'étaient pas inscrits comme travailleurs et étaient confiants de trouver un emploi. Ceux qui partageaient un même dortoir devenaient amis aussitôt puisqu'ils étaient obligés de vivre tous ensemble. Ces hommes ont aussi eu l'occasion de rencontrer des femmes de Terre-Neuve et de se marier avec elles. Ce fut notamment le cas pour mes parents. Ma mère venait d'une collectivité pas très éloigné de Stephenville tandis que mon père habitait à environ 140 km de là.

Évidemment, de nombreux soldats américains ont aussi marié des femmes de Terre-Neuve. En 1958, dans l'ensemble de l'île, environ 30 000 d'entre elles avaient épousé un Américain. Des Américaines venues travailler à la base ont aussi marié des Terre-Neuviens, mais on a moins d'informations à ce sujet. Les Américains ont fait venir des infirmiers et des professeurs de leurs pays, et la plupart étaient des femmes. Les officiers qui étaient mariés vivaient sur la base avec leur famille. Quant aux officiers plus âgés, ils avaient souvent des adolescentes âgées d'environ 17 à 19 ans et certaines d'entre elles ont épousé des hommes de Terre-Neuve. Ces couples pouvaient se rencontrer à plusieurs endroits. Ils allaient parfois voir une pièce de théâtre, mais la salle de cinéma était un de leurs endroits préférés. Ils se rendaient aussi fréquemment dans les boîtes de nuit situés sur la base et à l'extérieur, ainsi que dans les restaurants, qui étaient aussi des lieux de sortie très populaires. Au moment de l'ouverture de la base, les militaires étaient soumis à de nombreux règlements qui définissaient où ils avaient le droit d'aller et qui ils pouvaient voir à l'extérieur de la base. Beaucoup d'hommes choisissaient d'ignorer complètement ces contraintes comme on a pu le constater lors d'un banquet de retrouvailles tenu en 1986 en l'honneur de la base aérienne Harmon au cours duquel plusieurs jeunes gens ont annoncé qu'ils étaient à la recherche de leur père, qui avait travaillé pour la Force aérienne de l'armée américaine.

La Force aérienne des États-Unis a transformé Stephenville à jamais. Les gens qui restent encore ici n'oublieront jamais les Américains et leur immense gentillesse en période de difficulté. Mon père se souvient d'un événement en particulier. La vie d'une petite fille malade était en danger, car elle avait besoin d'un certain médicament susceptible de lui sauver la vie qui n'était pas disponible ici. Les Américains ont envoyé aux États-Unis un de leurs avions à réaction qui était en plein exercice d'entraînement afin d'aller chercher ce médicament. La vie de la petite fille a été sauvée grâce à cet acte de bonté. Ils prenaient soin de toutes les urgences médicales à leur hôpital chaque fois que nécessaire. Mon père a eu la vie sauve grâce aux soins qu'il a reçus à cet hôpital et nous ne l'oublierons jamais.

Les impacts de la base

La base aérienne Harmon a laissé une marque indélébile sur Stephenville. L'arrivée des Américains a permis aux Terre-Neuviens et aux Labradoriens de découvrir un nouveau mode de vie qu'ils n'auraient jamais pu imaginer. Mon père, comme beaucoup d'autres Terre-Neuviens et Labradoriens venus travailler sur la base, a vécu un véritable choc culturel. Les nombreux emplois qui ont été créés ont été bénéfiques pour l'économie Terre-Neuve-et-Labrador malgré les temps difficiles, et le travail leur a donné l'occasion de s'adapter à ce nouveau mode de vie. Beaucoup d'amitiés et de mariages ont vu le jour grâce au mélange des cultures et au travail effectué en commun. Stephenville conservera à jamais ses liens avec la base militaire. Au moment de sa fermeture, certaines personnes croyaient que Stephenville allait devenir une ville fantôme et les événements ont semblé leur donner raison pendant quelques années. La plupart des maisons de la base ont été fermées, beaucoup de magasins et d'entreprises ont mis fin à leurs activités, et beaucoup de gens ont déménagé. L'usine de carton doublure a ouvert ses portes environ six ans plus tard et, avec l'aéroport à la fine pointe de la technologie laissé derrière par les Américains, Stephenville a su se relever pour devenir une communauté forte et dynamique.

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Table des matières du projet collaboratif