La participation des Écossais dans l'industrie de la pêche

Au cours du 19e siècle, les Écossais ont participé à l'industrie locale (insulaire) de la pêche à Terre-Neuve et au Labrador, plutôt à titre de marchands que comme pêcheurs. Leur implication était différente de celle des colons anglais et irlandais, lesquels étaient beaucoup plus nombreux à travailler comme pêcheurs que comme marchands. Même si les entreprises marchandes écossaises étaient moins nombreuses que les entreprises anglaises, elles figuraient parmi les plus riches et les plus prospères de l'île et elles exportaient souvent plus de poisson outre-mer que les entreprises concurrentes.

La société Baine Johnston and Company à St. John's, s.d.
La société Baine Johnston and Company à St. John's, s.d.
La société Baine Johnston and Company était l'une des nombreuses entreprises marchandes écossaises actives à Terre-Neuve et au Labrador au 19e siècle.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 03.04.011), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Presque tous les Écossais qui participaient à l'industrie de la pêche étaient des Lowlanders (habitants des Basses Terres d'Écosse) vivant à St. John's et dans d'autres centres stratégiques du commerce de la péninsule d'Avalon et de la baie de Bonavista. La plupart venaient des villes portuaires de Greenock et de Glasgow, lesquelles avaient établi des liens commerciaux avec Terre-Neuve et le Labrador au cours du 18e siècle. Alors que l'industrie de la pêche migratoire se transformait de plus en plus en industrie locale (insulaire) au début du 19e siècle, il est devenu avantageux pour les marchands écossais de construire des immeubles commerciaux sur l'île.

Premiers liens avec l'industrie de la pêche de Terre-Neuve et du Labrador

La participation des Écossais dans l'industrie de la pêche de Terre-Neuve et du Labrador était pratiquement inexistante avant 1707, l'année où les parlements de l'Écosse et de l'Angleterre se sont unis pour former le Royaume-Uni de Grande-Bretagne. Après cette année charnière, il a été plus facile pour les marchands écossais de créer des liens commerciaux avec les colonies anglaises d'outre-mer, notamment avec Terre-Neuve et le Labrador.

Les navires marchands écossais ont toutefois mis du temps à s'impliquer dans le commerce de Terre-Neuve et du Labrador, lequel était assuré principalement par les navires du sud-ouest de l'Angleterre (le West Country) pendant la plus grande partie du 18e siècle. Quelques bateaux appartenant à des Lowlanders ont commencé à arriver à St. John's et dans d'autres ports de l'île dans les années 1720, mais leurs visites étaient sporadiques et ne s'inscrivaient pas dans le cadre de pratiques commerciales régulières. Au 18e siècle, il s'agissait habituellement de bateaux marchands réservés au transport des cargaisons (les sack ships) qui importaient des denrées et du matériel pour les marchands de l'île en échange de poisson qu'ils revendaient ensuite à l'étranger, principalement à des acheteurs des villes portuaires du sud de l'Europe.

Les marchands écossais ont considérablement augmenté leur participation dans le commerce de Terre-Neuve et du Labrador pendant la guerre d'indépendance des États-Unis (1775-1783). Les hostilités ont non seulement forcé l'interruption du commerce entre les marchands écossais et les colonies américaines, mais il est devenu plus compliqué pour Terre-Neuve et le Labrador d'importer des aliments et du matériel des ports américains. Cela s'est toutefois avéré une bonne occasion d'affaires pour les marchands écossais qui en ont profité pour expédier des denrées vers l'île de Terre-Neuve.

Entre 1764 et 1771, les exportations de l'Écosse vers Terre-Neuve et le Labrador étaient évaluées à environ 985 £ par année; leur valeur a ensuite augmenté à plus de 17 000 £ en 1776 (la deuxième année des hostilités) pour atteindre une moyenne de plus de 10 000 £ par année entre 1776 à 1785. Les aliments, boissons et produits manufacturés constituaient la grande partie des exportations écossaises vers la colonie. La plupart des entreprises marchandes qui faisaient affaire avec Terre-Neuve et le Labrador étaient situées à Greenock, et quelques-unes étaient établies à Glasgow, à Édimbourg et dans d'autres villes portuaires des Lowlands.

Certains marchands écossais ont bâti des immeubles commerciaux sur l'île de Terre-Neuve avant la fin du siècle. Une entreprise, la Lang, Baine and Company, a ouvert un magasin de fournitures et de commerce de pêche à Port de Grave en 1780 pour ensuite déménager à St. John's en 1801. Au 18e siècle, la plupart des marchands engagés dans le commerce à Terre-Neuve et au Labrador négociaient toutefois à partir des Lowlands écossais.

La pêche locale (insulaire)

La situation a changé au début du 19e siècle alors que les Guerres napoléoniennes (1803-1815) ont permis à la colonie d'accaparer le quasi-monopole du commerce international du poisson. Des immigrants sont arrivés d'outre-mer pour profiter de cette lucrative industrie de pêche migratoire, laquelle s'est vite transformée en industrie de pêche locale. La croissance économique et démographique de la colonie a créé de nouvelles occasions d'affaires dans le domaine du commerce et des échanges pour les marchands résidants. Plusieurs sont d'ailleurs arrivés du Royaume-Uni au cours des premières décennies du 19e siècle. La plupart émigraient d'Angleterre, d'autres des Lowlands écossais.

Les marchands écossais s'établissaient presque toujours dans les centres stratégiques de commerce de la côte est de l'île de Terre-Neuve (ou près de ceux-ci); la plupart s'étaient installés à St. John's, le centre principal du commerce et des échanges de l'île. Parmi les entreprises écossaises réputées de St. Johns au 19e siècle, mentionnons la Baine, Johnston and Company; la Rennie, Stuart, and Company; la Cunningham and Company; et la Crawford and Company. D'autres marchands des Lowlands ont créé des entreprises ailleurs sur la côte est, particulièrement dans la baie de la Conception et la péninsule de Bonavista. Citons notamment la John Munn and Company à Harbour Grace, Archibald Graham à Trinity et John Thomson à Catalina.

John Munn, s.d.
John Munn, s.d.
Le marchand écossais John Munn a cofondé l'entreprise Punton and Munn (devenue plus tard la John Munn and Company) à Harbour Grace dans les années 1830.
Image tirée de Colonial Commerce, vol. 26, no 6, 31 mai 1917, p. 12.

Bien que largement surpassés en nombre par leurs concurrents anglais, les marchands écossais étaient parmi les plus riches et les plus prospères de l'île. En 1809, 10 des 68 quais marchands de St. John's appartenaient à des Écossais. La plupart de ces quais étaient mieux assurés que ceux des entreprises anglaises et irlandaises, ce qui indique que les entreprises écossaises menaient les affaires les plus lucratives. Même si certaines entreprises ont éprouvé des difficultés financières et ont été forcées de fermer leurs portes (la John Munn and Company, par exemple, a déclaré faillite lors de la faillite bancaire de 1894), d'autres ont continué de prospérer. Ce fut le cas de la société Baine, Johnston and Company, qui est toujours en activité aujourd'hui dans les commerces de gros et de détail ainsi que dans les domaines de l'immobilier et de l'assurance.

Le succès des entreprises des Basses Terres d'Écosse était peut-être dû au fait que les marchands écossais s'abstenaient de s'impliquer de trop près dans l'industrie de la pêche. Contrairement aux marchands anglais, plusieurs Écossais ne faisaient pas affaire directement avec les pêcheurs. Ils agissaient plutôt comme grossistes, en fournissant aux marchands des ports secondaires des provisions et du matériel (importés majoritairement d'Écosse) en échange de poisson et de produits de la pêche qu'ils revendaient ensuite à des acheteurs d'Europe, d'Amérique du Sud et des Caraïbes.

Cette situation a ainsi permis aux marchands d'éviter plusieurs risques associés à l'industrie de la pêche. Le succès des marchands écossais ne reposait donc pas sur les performances de douzaines de pêcheurs affairés à pêcher et à saler la morue. Ils n'avaient pas non plus le fardeau de décider s'ils devaient prolonger ou limiter le crédit à ces mêmes pêcheurs lors des périodes plus difficiles. Certaines entreprises, comme la Lang, Baine and Company, exportait le poisson sur commande au lieu d'acheter des stocks entiers pour les vendre outre-mer. Dans le cas où la volatilité du marché international entraînait une baisse des prix, les exportateurs continuaient de toucher leur commission. De plus, les biens manufacturés importés des Lowlands écossais étaient souvent vendus moins cher que des articles fabriqués à la main provenant du sud-ouest de l'Angleterre, ce qui avantageait d'autant plus les marchands écossais par rapport à leurs concurrents anglais.

La chasse au phoque et la chasse commerciale à la baleine

Au cours du 19e siècle, les marchands écossais ont aussi participé à l'industrie de la chasse au phoque à Terre-Neuve et au Labrador en offrant des provisions en échange de peaux et d'huile de phoque qu'ils exportaient ensuite à l'étranger. Deux entreprises écossaises, la Walter Grieve and Company et la Baine, Johnston and Company, ont été parmi les premières de l'île à utiliser des bateaux à vapeur pour la chasse grâce à l'acquisition de deux bateaux de fabrication écossaise : le SS Wolf et le SS Bloodhound.

Parallèlement aux entreprises résidantes, des marchands des collectivités écossaises de Dundee et de Peterhead spécialisés dans le commerce de phoques et de baleines se sont aussi engagés dans la chasse au phoque au cours des dernières décennies du 19e siècle alors que les stocks étaient à la baisse dans le détroit de Davis. Ces marchands envoyaient des bateaux à vapeur dans les eaux de Terre-Neuve et du Labrador et employaient souvent des capitaines et des phoquiers locaux. Certains ont aussi acheté des installations à St. John's ainsi que le matériel requis pour faire bouillir la graisse de phoque et de baleine. Les stocks de phoque ont toutefois diminué dans les années 1880, ce qui a incité les marchands de Dundee et de Peterhead à diminuer progressivement leur participation dans ces activités de chasse, jusqu'à ce qu'ils se retirent complètement en 1901.

Certaines entreprises écossaises investies dans la chasse au phoque étaient aussi actives dans la chasse à la baleine. C'était le cas notamment des entreprises baleinières Alexander Stephen and Sons et Dundee Seal and Whale Fishing Company, de Dundee. De 1867 à 1900, ces deux entreprises se sont installées sur place, à St. John's, et elles employaient des travailleurs de Terre-Neuve et du Labrador pour les expéditions de chasse au phoque et à la baleine. Habituellement, les bateaux partaient d'abord pour la chasse au phoque, puis ils se dirigeaient ensuite vers le nord pour chasser la baleine boréale dans la baie de Baffin et le détroit de Davis. Ces entreprises traitaient aussi des carcasses de baleine dans leurs usines de St. John's avant qu'elles ne quittent l'île pour de bon en 1900.]

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