La colonisation anglaise

L'implantation d'une population d'origine britannique à Terre-Neuve et au Labrador remonte à l'établissement de colonies anglaises au début du 17e siècle. En 1610, la société London and Bristol fonde une colonie à Cupers Cove (maintenant Cupids, baie de la Conception). Une deuxième voit le jour dans le sud de la péninsule d'Avalon. Tout au long du 17e siècle, les colonies connaissent une poussée démographique. En effet, des pêcheurs et leurs familles, engagés dans la pêche migratoire (saisonnière), décident de demeurer sur l'île de Terre-Neuve au moins quelques années plutôt que de revenir en Angleterre à la fin de la saison de pêche. Ces nouveaux pécheurs indépendants deviennent donc des colons propriétaires (appelés aussi habitants-pêcheurs). Certains passent l'hiver sur l'île avec pour mandat de protéger les approvisionnements et les biens des marchands du sud-ouest de l'Angleterre et des armateurs de bateaux de pêche. D'autres se consacrent à des activités plus hivernales tels la chasse, le trappage, la coupe du bois et la construction de bateaux. La plupart de ces familles rêvent sans doute de revoir leur pays, et la majorité qui tient le coup et survit y parvient.

Cupids, T.-N.-L., s.d.
Cupids, T.-N.-L., s.d.
La société London and Bristol fonde Cupids, ou Cupers Cove, en 1610.
Dessin de J. W. Nichols. Tiré de A History of Newfoundland from the English, Colonial and Foreign Records, de D. W. Prowse, Macmillan, London, 1895, p. 97.

Un peuplement permanent

Il est plutôt rare que les colonies servent de refuge chaque hiver aux mêmes personnes plus d'une année. Pourtant, des familles persévèrent. En réalité, la présence de femmes, si peu nombreuses soient-elles, et de familles suffit à l'avènement d'une population native et la permanence du peuplement. Dans les années 1670, au moins une famille prend maison dans chacune des 30 colonies bordant la côte orientale de l'île de Terre-Neuve, entre Trepassey au sud et Salvage au nord. St. John's compte 30 familles et Bonavista, la deuxième colonie en importance, en abrite 15. La vie s'y révèle pénible, précaire et instable. L'absence d'institutions ou d'un gouvernement civil ne fait qu'ajouter aux difficultés. Les seules personnes susceptibles d'exercer une autorité juridique, ou du moins ce qui en tient lieu, sont les amiraux de la pêche (les capitaines de bateaux qui arrivent bons premiers aux ports).

Les colons propriétaires (habitants-pêcheurs)

À Terre-Neuve et au Labrador, les pêcheurs indépendants, c'est à dire les colons propriétaires, résident dans les installations de pêche et possèdent des bateaux de pêche. Des membres de leur famille et des pêcheurs sous contrat participent à la bonne marche de l'entreprise. En fait, la plupart des colons propriétaires ne disposent que d'un seul bateau et recrutent en moyenne cinq travailleurs pour la saison de pêche. Les flottes d'au moins cinq bateaux appartiennent aux plus grands propriétaires. Ceux-ci embauchent, logent et nourrissent au minimum 25 travailleurs. Une très grande partie des colons propriétaires cultivent des légumes et élèvent du bétail, surtout des cochons. Ces derniers s'ajoutent au menu composé de poisson, d'oiseaux de mer, de phoques, de fruits sauvages et de gibier qui complètent les denrées importées.

Les veuves de propriétaires, par exemple lady Sara Kirke et lady Hopkins à Ferryland, de même que Margaret Taverner à Bay de Verde, confient leur flottille de pêche à des proches, ou à des mariniers et des pêcheurs recrutés pour la pêche côtière. Au 17e siècle, il y a bien quelques colons propriétaires comme Jeremy Fortune d'Harbour Main et Andrew Mahone de Petty Harbour qui sont d'origine irlandaise, mais les 150 à 200 colons propriétaires éparpillés sur la côte orientale de l'île sont tous Anglais (dans les années 1670).

Les bateaux de pêche et les navires marchands constituent une précieuse source de ravitaillement pour les colons propriétaires, notamment pour l'obtention de denrées de base, de vêtements et de matériel de pêche. Ils sont également inestimables pour l'écoulement de leurs produits sur le marché, dont la morue et l'huile de morue. Au 17e siècle, le salut des colons propriétaires se trouve dans les bateaux de pêche provenant du sud-ouest de l'Angleterre, les navires marchands anglais et les commerçants de la Nouvelle-Angleterre. La cargaison des navires anglais destinée aux colons propriétaires contient, entre autres, du pain, de la farine, des produits manufacturés, du matériel de pêche et de l'Irlande, du beurre, du bœuf et du porc salés, ainsi que des tissus pour la confection de vêtements. Les bateaux de la Nouvelle-Angleterre leur apportent du bétail, du pain et de la farine, mais surtout du tabac et d'importantes quantités de rhum antillais et de mélasse.

Des établissements commerciaux permanents

Au début du 18e siècle, des marchands anglais et quelques commerçants de la Nouvelle-Angleterre construisent dans les principaux ports des établissements commerciaux en activité toute l'année. La superficie de certains d'entre eux surpasse celle des premières colonies dans les années 1760. La main-d'œuvre se chiffre par centaines. Ces centres d'activités commerciales assurent la subsistance de nombreuses familles locales, dont celles des agents de commerce, des comptables, des commis et des gens de métiers (menuisiers, forgerons, voiliers et autres). Ils dynamisent la croissance démographique des régions où ils sont implantés. Les plus importantes colonies axées sur le commerce sont St. John's, Carbonear, Harbour Grace, Brigus, Bay Roberts, Trinity, Greenspond, Fogo, Twillingate, Ferryland, Trepassey, St. Mary's, Placentia, Burin, St. Lawrence, Harbour Breton, Sandy Point, baie Bonne, Forteau et Battle Harbour.

Trinity, T.-N.-L., vers 1840
Trinity, T.-N.-L., vers 1840
Trinity est une collectivité commerçante du 18e siècle.
Artiste inconnu. Tiré de Wandering Thoughts, de Philip Tocque, Thomas Richardson, London, 1846, p. 365.

Le peuplement

Les nouveaux venus suivent l'un ou l'autre des parcours suivants : domestiques embauchés, avec à la clé la liberté retrouvée à l'expiration du contrat, ou apprentis en attente de la fin de l'apprentissage. Ces deux groupes sont concentrés dans le secteur de la pêche ou un secteur connexe. Puis vient le mariage et l'installation permanente, à titre de petit propriétaire local d'un bateau ou comme travailleur à quote-part avec un colon propriétaire ou un employeur. En 1791, le juge John Reeves explique que ces petits propriétaires se sont extraits d'une classe sociale dont les membres ne possédaient pratiquement rien. Ce n'était au préalable que de simples pêcheurs. Pourtant, des marchands les appuient, car ils ont accumulé un modeste capital et manifestent l'ambition de devenir colons propriétaires. Les marchands constatent effectivement une double occasion de réaliser des profits. D'abord, par le ravitaillement des nouveaux colons propriétaires et la vente de leurs produits sur le marché. George Garland, un marchand de Poole, remarque que ces petits colons propriétaires étaient autrefois des engagés ou des marins qui ont décidé de prendre racine à Terre-Neuve et au Labrador à la fin de leur contrat. Un autre moyen d'accéder à ce statut est le mariage. C'est le trait distinctif des futurs colons propriétaires qui se marient sur l'île. Parfois, ils amènent avec eux leur femme venue d'Angleterre ou d'Irlande.

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