La banlieue-jardin de Churchill Park

Au début des années 1940, St. John's connaissait un grave problème du logement. Il y a eu une pénurie de bonnes maisons pendant plusieurs décennies et un grand quartier pauvre a poussé au centre-ville (voir St. John's et la zone de taudis du centre-ville). Délimitée approximativement par Springdale Street à l'ouest, New Gower Street au sud, LeMarchant Road au nord et Carter's Hill à l'est, cette zone de rues escarpées et de ruelles étroites a été épargnée par les incendies de 1846 et 1892. Les maisons étaient décrépites, mal entretenues et bondées. Beaucoup d'entre elles n'avaient pas de service d'eau ni de réseau d'égout, et le manque d'hygiène était nocif pour la santé des résidants. Par exemple, à St. John's, le taux de mortalité infantile était en moyenne de 96 pour 1000 naissances vivantes au début des années 1940, ce qui était beaucoup plus élevé que les taux de mortalité infantile au Canada, en Grande-Bretagne et aux États-Unis où les taux étaient respectivement de 64, 54 et 40.

Zone de taudis, vers 1952
Zone de taudis, vers 1952
Exemples de taudis. La maison sur la photographie du haut est la dernière à avoir été démolie sur Central Street après le début de l'exode. La maison bleue, sur la photo du bas, n'avait pas de plancher – en franchissant la porte, on se retrouvait sur le roc dénudé de la côte.
Photographies: Stanley Pickett. Reproduites avec la permission du Dr Chris Sharpe, Département de géographie, Memorial University of Newfoundland.

Au cours de la première moitié du 20e siècle, de nombreux efforts ont été déployés pour améliorer les conditions de logement à St. John's, mais elles ont connu un succès limité ou, dans certains cas, un échec complet. En mai 1942, face au besoin accru de logements à cause de l'arrivée massive de travailleurs civils et de membres du personnel militaire, et encouragé par l'amélioration de la conjoncture économique, le conseil municipal de St. John's a créé une commission d'enquête sur le logement et l'aménagement urbain. Les travaux de la Commission of Enquiry on Housing and Town Planning (CEHTP), dirigés par le juge (nommé « sir » par la suite) Brian Dunfield, ont mené à la création de la banlieue-jardin de Churchill Park et à une transformation radicale de l'aménagement des espaces urbains à St. John's.

Rapports et recommandations de la CEHTP

Le mandat de la CEHTP consistait à examiner les conditions de logement à St. John's, à étudier le problème des taudis et de la pénurie de logements, et, surtout, à recommander une stratégie pour résoudre ces problèmes. Entre 1942 et 1944, la CEHTP a publié cinq rapports qui examinaient en détail le parc de logements de la ville, exposaient les problèmes afférents à la situation et proposaient une solution. La Commission a relevé que parmi les 4613 maisons examinées, 1750 ne répondaient pas aux normes et devaient être remplacées. Les rapports soulignaient que le manque de planification était en grande partie responsable des conditions de logement dans St. John's, et que la création d'une régie du logement était nécessaire afin de favoriser un développement sain et ordonné de la ville.

Cette régie devait s'assurer de faire l'acquisition de terrains à un prix aussi bas que possible et de les aménager en respectant le plan d'urbanisme. La Commission avait recommandé spécifiquement la création d'une Société d'habitation qui achèterait des terrains dans la vallée nord de la ville et assurerait leur entretien. Cette zone située au nord d'Empire Avenue comptait principalement des terres agricoles et il était évident qu'il s'agissait du meilleur endroit pour le développement urbain. En planifiant minutieusement les rues principales et résidentielles, en désignant les espaces destinés aux commerces et services, et en organisant un service de transport en commun, la Société d'habitation serait en mesure de superviser l'aménagement d'une banlieue-jardin offrant des logements à prix modique. L'enquête menée par Dunfield a révélé que certains résidants du quartier des taudis auraient les moyens d'investir dans une maison plus convenable si on construisait ce type d'habitations. Les résidants du quartier pauvre du centre-ville commenceraient à déménager et cette zone finirait par se vider peu à peu.

C'est Ebenezer Howard, un réformateur et planificateur social, qui a inventé le concept de banlieues-jardins au tournant du 20e siècle. Il s'agissait de communautés organisées et autonomes qui offraient aux résidants les avantages de la ville et de la campagne en leur fournissant des commerces et services dans des banlieues attrayantes dotées de vastes espaces verts : parterres gazonnés, arbres, parcs et ceintures de verdure. De telles communautés avaient vraiment autre chose à offrir que l'entassement et le surpeuplement qui caractérisaient le cœur de plusieurs villes, y compris St. John's.

Après avoir accepté la principale recommandation de la CEHTP, la Commission de gouvernement a mis sur pied la St. John's Housing Corporation (SJHC) en 1944, et Brian Dunfield a hérité une fois encore du rôle de président. Fondée à la fois par la ville et la Commission de gouvernement, elle avait le mandat de construire à St John's des maisons de banlieue-jardin en visant une évacuation progressive du quartier pauvre du centre-ville.

L'acquisition de terrains

La première tâche de la SJHC était de faire l'acquisition des terrains nécessaires au projet, ce qu'elle a fait en ayant recours à un système d'expropriation qui avait déjà été évalué en Angleterre par une commission sur l'utilisation des terres mais qui n'avait toutefois jamais été utilisé dans ce pays. Le SJHC Lands Act (Lois sur les terres) de 1944 a été adoptée par la Commission de gouvernement, mais il ne l'aurait probablement pas été si un gouvernement élu avait été au pouvoir. Cette loi donnait à la Société d'habitation le pouvoir d'indemniser les propriétaires selon la valeur marchande actuelle plutôt que selon la valeur que leur propriété pourrait avoir dans le futur. Cela a permis de gagner beaucoup de temps et d'économiser beaucoup d'argent. Environ 800 acres ont été expropriés dans une zone délimitée approximativement par les rues connues aujourd'hui sous les noms d'Empire Avenue, Prince Philip Drive, Freshwater Road et Torbay Road. Le centre commercial Avalon et la plus grande partie du campus de la Memorial University ont été construits sur un terrain appartenant jadis à la Société d'habitation.

Carte de Churchill Park
Carte de Churchill Park
Les terrains situés dans la zone délimitée en rouge ont été expropriés par la Société d'habitation de St. John's..
Carte reproduite avec la permission du Dr Chris Sharpe, Département de géographie, Memorial University of Newfoundland et Paul Meschino. Zone délimitée de Churchill Park par Charles Conway, cartographe, Département de géographie, Memorial University of Newfoundland.

La construction du quartier de Churchill Park

La construction de la banlieue-jardin de Churchill Park a commencé une fois l'expropriation terminée. Brian Dunfield et Eric Cook, maire suppléant de St. John's, ont procédé à la première pelletée de terre en octobre 1944, près de l'ancien orphelinat de Mount Cashel (aujourd'hui à l'intersection de Torbay Road et Elizabeth Avenue). La construction de routes et de maisons ainsi que la création de services ont commencé peu après. On a installé un énorme égout principal qui traversait la vallée du nord et on a construit les canalisations d'eau essentielles ainsi que les rues principales (notamment Elizabeth Avenue, qui portait le nom d'Elizabeth Street à l'origine). Toutes les conduites d'eau et d'égout en béton ont été fabriquées par la Société d'habitation dans sa propre usine.

Dunfield avait lu les travaux de nombreux urbanistes contemporains et il s'est inspiré de leurs idées pour élaborer le plan d'ensemble de Churchill Park, une banlieue-jardin qui se voulait des plus modernes. Le plan original prévoyait la création de trois « villages » (A, B et C) bénéficiant d'une ligne de tramways jusqu'au centre-ville. Ces villages devaient être situés sur de larges rues bordées d'arbres et offrir de nombreux espaces verts. Des culs-de-sac et des passages pour piétons avaient été prévus pour séparer les piétons et les véhicules.

Maisons de Churchill Park
Maisons de Churchill Park
Ces habitations sont typiques des maisons de style Cape Cod construites dans le quartier de Churchill Park à la fin des années 1940.
Photographie reproduite avec la permission du Dr Chris Sharpe, Département de géographie, Memorial University of Newfoundland.

Seules les maisons du village B ont été construites par la SJHC. Dans cette zone (qui entoure Churchill Square aujourd'hui), la Société d'habitation a construit 233 maisons simples ou jumelées ainsi que 92 appartements. Ces maisons bâties dans de vastes espaces paysagers n'étaient pas très grandes, mais elles étaient dotées d'installations sanitaires et de chauffage les plus modernes ainsi qu'une cuisine et une salle de bains contemporaines. Elles avaient aussi en commun de nombreux éléments architecturaux distinctifs tels que des fenêtres d'angle. Les maisons et les appartements construits par la Société d'habitation ont tous été conçus par Paul Meschino, un architecte à l'emploi de la SJHC. Diplômé de l'Université de Toronto, il avait travaillé précédemment avec la Wartime Housing Limited, une entreprise qui construisait à travers le Canada des maisons à l'usage des militaires et des civils pendant la Seconde Guerre mondiale. La plupart de ses créations étaient inspirées des maisons de style Cape Cod, un design très apprécié pour les petites maisons à l'époque. Presque toutes les maisons étaient simples ou jumelées, et elles étaient dotées de particularités typiques du quartier de Churchill Park tel qu'aménagé par la SJHC, notamment un chemin d'accès privé, un parterre gazonné à l'avant et une cour à l'arrière. Ce sont là des normes typiques du développement résidentiel suburbain à St. John's.

Publicité pour les maisons de Churchill Park, 1946
Publicité pour les maisons de Churchill Park, 1946
Publicité publiée dans le quotidien The Evening Telegram le 5 juin 1946.
Photographie reproduite avec la permission du Dr Chris Sharpe, Département de géographie, Memorial University of Newfoundland.

Churchill Park après l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération

La Société d'habitation a mis fin à la construction de maisons après l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération alors que le nouveau gouvernement provincial a jugé bon de se consacrer davantage à l'aménagement du territoire et de confier les travaux de construction à des entrepreneurs privés. L'une des raisons ayant motivé cette décision était que la construction des maisons était devenue beaucoup plus coûteuse que ce qui avait été prévu au début du projet à cause de la pénurie de matériaux et l'augmentation des coûts de la main-d'œuvre. Le quartier gagnait en popularité auprès des citoyens de la classe moyenne et les familles moins bien nanties vivant dans la partie pauvre du centre-ville n'avaient pas les moyens de déménager. Par conséquent, la zone où se trouvaient les taudis n'a jamais été véritablement dégagée avant 1949.

La situation a commencé à changer peu après l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération. Grâce au soutien de la Société centrale (ce mot a été changé ultérieurement par « canadienne ») d'hypothèques et de logement (SCHL), la province a commencé à offrir du financement pour la construction de logements sociaux à loyer modique à St. John's. La plupart de ces logements ont été bâtis à l'intérieur des limites du quartier de Churchill Park puisqu'on pouvait encore y trouver des terrains libres et dégagés bénéficiant déjà des services publics. Dans les années 1950, des complexes domiciliaires ont été construits le long d'Empire Avenue, d'Anderson Avenue et d'Elizabeth Avenue, ce qui a permis, dès 1956, de créer plusieurs centaines d'unités de logements pour les familles à faible revenu. C'est grâce à ces développements si les derniers résidants du quartier pauvre du centre-ville ont enfin pu quitter les lieux.

La disponibilité de terrains à coût modique a également attiré les coopératives d'habitation, qui ont fait une demande de financement à la SCHL. Elles ont construit elles-mêmes les maisons afin que les coûts de construction soient raisonnables, et leurs apports en main-d'œuvre ont été considérés comme une mise de fonds en remplacement d'une somme d'argent. Ces coopératives ont construit environ 250 des maisons qui se trouvent actuellement dans la région de Churchill Park, et plusieurs îlots de maisons comportent des éléments architecturaux identiques. On peut voir quelques exemples le long d'Elizabeth Avenue, Empire Avenue et Newtown Road.

Churchill Park a été l'une des premières et des plus vastes banlieues-jardins au Canada et, malgré les modifications dont les maisons ont fait l'objet au fil des années, il s'agit d'un des quartiers les plus beaux et les plus recherchés de St. John's. Les conduites principales d'eau, les canalisations d'égout et les rues principales construites par la Société d'habitation ont favorisé l'ouverture de larges bandes de terre pour le développement, permettant ainsi à la ville de s'étendre pour la première fois au nord d'Empire Avenue. La population n'est plus concentrée dans le centre-ville et le quartier pauvre a été remplacé par l'hôtel Delta, Cabot Place, le Mary Brown's Centre et l'hôtel de ville. La ville de St. John's a connu une importante expansion au cours des dernières décennies, soit depuis l'aménagement de Churchill Park, et des quartiers tels que Cowan Heights et Wedgewood Park. La banlieue est devenue la principale attraction résidentielle de St. John's. Les banlieues périphériques telles que Torbay et Paradise sont aussi des zones résidentielles populaires et elles fonctionnent dans une large mesure comme des cités-dortoirs. Cette prolifération des banlieues augmente le coût des services tels que le déneigement et la collecte des ordures en plus de rendre le transport public et privé plus difficile et plus coûteux. Malgré ces inconvénients, l'attrait pour l'urbanisation des banlieues à St. John's et dans les zones adjacentes, laquelle a commencé à Churchill Park, n'a montré aucun signe de ralentissement.

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