Structure de l'appareil gouvernemental 1832-1855

Le gouvernement représentatif de Terre-Neuve et du Labrador était un système bicaméral, appelé aussi bicaméralisme, c'est-à-dire fondé sur deux chambres, le conseil législatif, dont les membres étaient nommés par le gouverneur, et la Chambre d'assemblée composée de représentants élus. Dans ce système, les deux chambres relèvent du gouverneur, le représentant de la Couronne nommé à ce poste par le gouvernement britannique. Le gouverneur choisit les membres du conseil, et les citoyens élisent les 15 députés de la Chambre d'assemblée.

Le Colonial Building, St. John's, 1851
Le Colonial Building, St. John's, 1851
Le Colonial Building héberge les deux chambres du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador après son ouverture en 1850.
Tiré de Newfoundland: a Pictorial Record, de Charles de Volpi. Longman Canada Limited, Sherbrooke, Québec, © 1972, p. 72. Tirage.

Le gouverneur nomme également les membres d'un conseil exécutif chargé de le conseiller. D'ailleurs, les mêmes personnes font souvent partie du conseil législatif et du conseil exécutif. Entre1842 et 1848, la fusion de la Chambre d'assemblée et du conseil législatif change la donne. Le conseil législatif est responsable de l'adoption de lois et le conseil exécutif, des politiques gouvernementales.

La Chambre d'assemblée présente des projets de loi au conseil législatif dont la tâche consiste à les approuver, à les refuser ou à les modifier. Après amendement, les projets de loi sont renvoyés à la Chambre d'assemblée pour approbation. Les deux chambres doivent collaborer pour remplir efficacement leurs fonctions, mais des tensions sectaires surgissent et ralentissent parfois le processus. Les membres du conseil législatif sont principalement des Anglais protestants, d'allégeance conservatrice. La Chambre d'assemblée est formée en majorité d'Irlandais catholiques de tendance libérale.

Le gouverneur exerce énormément de pouvoir dans un gouvernement représentatif. Il peut nommer les membres des conseils législatif et exécutif et proroger la session de la Chambre d'assemblée. Il peut également torpiller un projet de loi, mais aussi peut faire débattre à la Chambre d'assemblée des projets de loi qu'il aura présentés. Le gouverneur se rapporte directement à l'office des colonies qui supervise tous les aspects de l'empire colonial. Le gouverneur exerce ainsi une forte influence sur le régime administratif de la colonie.

La Chambre d'assemblée

La Chambre d'assemblée est constituée des 15 députés des neuf circonscriptions de l'île de Terre-Neuve soit celles de la baie de la Conception, St. John's, la baie de Bonavista, la baie Trinity, Ferryland, Twillingate-Fogo, Burin, baie Fortune et Placentia-St. Mary's. Chaque circonscription compte un élu, sauf les plus densément peuplées comme la baie de la Conception, St. John's et Placentia-St. Mary's avec quatre, trois et deux représentants respectivement.

Pour se présenter aux élections, le candidat doit être mâle et âgé d'au moins 21 ans. En plus, celui-ci doit être d'origine britannique et habiter la colonie, à titre de propriétaire ou de locataire, depuis deux ans sans interruption avant la tenue de l'élection. Les électeurs doivent répondre aux mêmes critères sauf pour la durée de résidence qui se limite à un an. La race, la religion, le statut social ou la fortune ne représentent pas d'obstacles au droit de vote dans la colonie. C'est le droit de vote le plus étendu de tout l'Empire britannique à cette époque. Par contre, les femmes n'ont pas le droit de voter ni de briguer les suffrages, et ce, jusqu'en 1925. La Grande-Bretagne modifie les conditions d'éligibilité des candidats en 1842 lors de l'adoption d'un projet de loi précisant que toute personne se présentant comme candidat doit toucher un salaire annuel de £100 ou posséder une propriété d'une valeur d'au moins £500. La durée de résidence des électeurs passe aussi d'un an à deux ans.

John Kent (1805-1872), s.d.
John Kent (1805-1872), s.d.
John Kent est l'un des 15 représentants élus à la Chambre d'assemblée au cours de la première élection qui se tient dans la colonie en novembre 1832.
Artiste inconnu. Tiré de Centenary volume, Benevolent Irish Society of St. John's, Newfoundland, 1806-1906, Benevolent Irish Society (St. John's, T.-N.-L.), Guy & Co., Cork, Irlande, 1906, p. 124. Tirage.

À l'époque du gouvernement représentatif, cinq élections générales ont eu lieu dans la colonie (1832, 1837, 1842, 1848 et 1852), ainsi que six élections partielles afin de pourvoir un siège laissé vacant souvent en raison d'un décès ou d'une nomination au conseil législatif. Le juge en chef Henry Boulton déclare nulle l'élection générale de 1836 à la suite d'une formalité juridique. En effet, le grand sceau de l'île de Terre-Neuve n'avait pas été apposé sur le bref ordonnant la tenue d'une élection. Une nouvelle élection est donc déclenchée en 1837. Les candidats libéraux récoltent la majorité des votes à chaque élection générale, sauf lors de la première. Ils remportent 14 sièges en 1837 et 9 en 1842, 1848 et 1852.

Le conseil législatif

Le gouverneur désigne les membres du conseil législatif dont la nomination est ensuite confirmée par la Couronne. Si la Chambre d'assemblée représente les électeurs, le conseil rend plutôt des comptes au gouvernement britannique. En 1832, le conseil législatif est composé de 7 membres qui augmentent à 9 en 1833 et à 10 en 1834. Au fil des ans, ce nombre varie au gré des nominations et des démissions. Les conseillers appartiennent à l'élite sociale. Ce sont surtout des juges en chef, des marchands et des officiers militaires. La plupart sont d'origine anglaise, de confession anglicane et d'allégeance conservatrice.

James Simms, s.d.
James Simms, s.d.
Le juge James Simms est l'un des sept membres nommés au conseil législatif de la colonie en 1832.
Tiré de A History of Newfoundland from the English, Colonial, and Foreign Records, de D.W. Prowse. Eyre and Spottiswoode, Londres, 1re édition, 1895, p. 430. Tirage.

Des tensions surgissent parfois entre les élus libéraux majoritaires à la Chambre d'assemblée et les membres conservateurs du conseil législatif. Les élus cherchent à élargir leur pouvoir politique et la plupart des membres du conseil tentent de leur barrer la route. Ainsi, en 1833, le conseil écarte un projet de loi proposé par l'assemblée portant sur l'imposition de taxes d'importation sur le vin, les spiritueux et d'autres biens de luxe. Selon le conseil législatif, le gouvernement britannique taxe déjà ces articles. La démarche de la colonie est donc malvenue.

Finalement, le gouverneur Cochrane et le gouvernement britannique expriment leur soutien à ce projet de loi et au droit de taxation de la colonie. L'île a désespérément besoin de consolider ses assises financières, et les droits perçus constitueraient des recettes supplémentaires indispensables. La Chambre d'assemblée présente de nouveau le projet de loi en juillet et le conseil l'approuve. Toutefois, le juge en chef R. A. Tucker démissionne du conseil en raison de son désaccord.

Les tiraillements entre la Chambre d'assemblée et le conseil législatif se poursuivent. Pourtant, le gouvernement parvient, dans les années qui suivent, à promulguer des lois utiles, entre autres en matière d'éducation et de construction routière, sur l'implantation d'une caisse d'épargne à St. John's et la protection des enfants illégitimes. Néanmoins, de nombreux autres projets de loi importants échouent faute d'appuis suffisants.

La fusion des deux chambres

L'animosité qui règne entre les députés de la Chambre d'assemblée et les membres du conseil nuisent aux travaux gouvernementaux. Face à cette situation, le gouverneur sir John Harvey et l'office des colonies décident de fusionner provisoirement la Chambre d'assemblée et le conseil en 1842. Cette mesure transitoire dure six ans.

Cette nouvelle chambre compte 25 membres dont 15 sont élus et 10 nommés par le gouverneur. Il y a aussi un conseil exécutif dont le rôle s'apparente à celui du cabinet du gouvernement canadien. Il comprend des membres, élus et non élus, provenant de la chambre née de cette fusion, ainsi que d'éminents citoyens, notamment les marchands Walter Grieve et Robert Job. Tous sont choisis par le gouverneur. En 1842, le conseil exécutif comporte 7 membres qui s'élève à 11 l'année suivante.

Lors de l'élection générale de 1842, les citoyens élisent huit candidats libéraux et sept candidats conservateurs. Le gouverneur Harvey choisit les 10 autres membres. Un bon nombre provenait du conseil législatif précédent. Sept d'entre eux sont des conservateurs et trois, des libéraux. Les candidats d'allégeance conservatrice détiennent ainsi une majorité de trois sièges. Le gouverneur recommande aux membres de cette assemblée fusionnée et au conseil exécutif de collaborer dans l'intérêt supérieur de la population en évitant toute partisanerie. Ses efforts se révèlent fructueux, car ce gouvernement parvient à diriger la colonie dans une relative bonne entente pendant six ans.

À la dissolution de l'assemblée en 1848, le gouvernement britannique revient au système bicaméral c'est-à-dire une Chambre d'assemblée de 15 députés et un conseil législatif. Les élections générales de 1848 et 1852 font élire neuf députés libéraux et six députés conservateurs. À cette époque, les députés libéraux concentrent leurs efforts sur l'instauration d'un gouvernement responsable. Le conseil législatif répondrait donc de ses décisions devant la Chambre d'assemblée plutôt que la Couronne. En 1854, la Grande-Bretagne y consent enfin. Un gouvernement responsable entre en vigueur en 1855 et met un terme à l'existence d'un gouvernement représentatif qui aura duré 23 ans.

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