Mesures adoptées à la suite du désastre de l'Ocean Ranger
Le désastre de l'Ocean Ranger, survenu en 1982, a mis en évidence de graves lacunes dans la manière dont les gouvernements et l'industrie réglementaient l'exploitation du pétrole au large du Canada. Formation inadéquate en mesures d'urgence, défauts de conception de la plate-forme de forage et règlements de sécurité mal appliqués ont tous joué un rôle crucial dans la perte de 84 vies et de l'installation. La situation a été aggravée par un conflit de juridiction entre le Canada et la province sur les gisements pétrolifères extracôtiers, qui a amené les autorités à négliger la mise en place d'un cadre réglementaire rigoureux. À la place, l'industrie était gérée à la fois par des organismes fédéraux et provinciaux distincts, ainsi que par la Garde côtière américaine, créant ainsi une structure bureaucratique inefficace et inutilement complexe.
Ce désastre a contraint le gouvernement à une rapide réorganisation et à un renforcement considérable de l'importance de la sécurité des travailleurs. Le 17 mars 1982, Ottawa et la province de Terre-Neuve chargeaient une commission conjointe d'établir les causes du naufrage de la plate-forme et de recommander des façons d'éviter de tels désastres dans l'avenir. Dans la foulée du rapport de cette commission, la formation en matière de sécurité est devenue obligatoire, l'équipement de recherche-sauvetage a été modernisé et la conception des plates-formes a été améliorée. Au nombre des autres améliorations, les pouvoirs de réglementation ont été fusionnés sous une seule entité, l'Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers (aujourd'hui appelé Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers).
Commission royale sur le désastre marin de l'Ocean Ranger
Un mois après le naufrage de la plate-forme, survenu le 15 février 1982, les gouvernements fédéral et provincial ont institué ensemble la Commission royale d'enquête sur le désastre marin de l'Ocean Ranger. Présidée par le juge en chef T. Alex Hickman, cette commission avait pour mandat de répondre à trois questions : pourquoi l'Ocean Ranger a-t-il coulé? pourquoi son équipage entier a-t-il péri? et comment éviter de tels désastres dans l'avenir?
Durant les deux années suivantes, cette commission a interrogé des témoins, récupéré et examiné des composantes de la plate-forme et mené diverses recherches connexes, publiant ses deux rapports en août 1984 et en juin 1985. Le premier contient 66 recommandations en réponse aux deux premières questions. Le second présente 70 recommandations additionnelles sur la façon d'améliorer la sécurité des travailleurs en haute mer; si ces rapports s'attardent surtout aux forages d'exploration, ils couvrent également les étapes de mise en valeur et de production des puits de pétrole.
La Commission a attribué le désastre à plusieurs facteurs, soit les conditions météorologiques particulièrement mauvaises, des défauts de conception de la plate-forme et la négligence de l'industrie en matière de formation et de sécurité des travailleurs. Construite dans le golfe du Mexique, la plate-forme n'avait pas été testée pour les eaux beaucoup plus tumultueuses de l'Atlantique nord. Le système de ballasts (qui contrôlait le tirant d'eau et l'assiette de la plate-forme) était inutilement complexe et logé trop près de la ligne de flottaison. Le verre trop mince des hublots n'avait pas résisté à la violence des vagues; quant aux puits aux chaînes, situés près de l'avant de la plate-forme, ils n'étaient pas étanches et donc vulnérables à l'envahissement d'eau.
La nuit du désastre, une forte tempête a assailli la plate-forme de vents extrêmes et de vagues de 15 mètres. L'eau de mer a fracassé un hublot de la salle de contrôle et endommagé l'équipement. La plate-forme s'est alors inclinée et l'eau a envahi les puits à chaînes de l'avant; elle s'est renversée le 15 février 1982, à l'aube.
Ces défauts structurels ont été aggravés par des lacunes en formation des travailleurs. « Ainsi, » relève la Commission, « aucun règlement ne prévoyait que les opérateurs du système de contrôle des ballasts, vital pour la stabilité de la plate-forme semi-submersible, reçoivent une formation pertinente. » (Rapport 2, p. 71). Aucune norme nationale ne gouvernait la formation en matière de sécurité et le gouvernement n'exigeait pas de l'industrie qu'elle prouve que ses employés étaient qualifiés pour travailler en haute mer. De nombreux travailleurs apprenaient en cours d'emploi.
La Commission a conclu qu'un équipage mieux qualifié aurait su prévenir le désastre. « De fait, si l'équipage avait seulement fermé les contre-hublots, coupé l'alimentation en électricité et en air du panneau de contrôle, et épongé l'eau et nettoyé le verre brisé avant d'aller se coucher, l'Ocean Ranger et son équipage auraient survécu à cette tempête. » (Rapport I, p. 139).
En outre, elle a constaté que les engins de sauvetage étaient inadéquats et que l'équipage n'avait pas été suffisamment formé à leur utilisation. Il n'y avait pas de combinaisons de survie à bord et les embarcations de sauvetage ne pouvaient pas résister à une mer démontée. Le navire de soutien de la plate-forme, le Seaforth Highlander, n'était tenu ni par le gouvernement ni par l'industrie de demeurer à une distance minimale du Ranger. La nuit du drame, il se trouvait à huit milles de la plate-forme, et celle-ci avait été évacuée avant son arrivée. Si son équipage a lutté avec courage pour chercher des survivants, il n'avait pas été entraîné en procédures de sauvetage et n'avait pas accès à de l'équipement essentiel, comme des cordes de sauvetage.
La Commission a critiqué l'intervention de recherche-sauvetage du gouvernement fédéral, qui se fiait à des hélicoptères vieux de 20 ans et mal équipés pour les opérations en haute mer. Au moment du désastre, ces appareils étaient stationnés à Gander. La Commission a recommandé que le gouvernement ou l'industrie stationne un hélicoptère à long rayon d'action à l'aéroport le plus près des opérations de forage (à St. John's, dans le cas de l'Ocean Ranger).
Lacunes réglementaires
Plusieurs problèmes ont été attribués au cadre de réglementation qui gouvernait l'industrie pétrolière en haute mer au Canada, inutilement complexe et inapte à faire appliquer les directives en vigueur. Trois organismes géraient l'industrie : le gouvernement fédéral, par le biais de l'Administration du pétrole et du gaz des terres du Canada (APGTC), le gouvernement provincial, par le biais du Newfoundland-Labrador Petroleum Directorate (NLPD), et la Garde côtière américaine. Les États-Unis étaient engagés parce que l'Ocean Ranger appartenait à Ocean Drilling and Exploration Company (ODECO), une société américaine qui effectuait les forages au champ Hibernia en sous-traitance pour Mobil Oil.
L'APGTC et le NLPD supposaient tous deux, sans l'avoir confirmé, que l'ODECO respecterait les règlements de la Garde côtière américaine en matière de sécurité en mer, notamment qu'elle veillait à la présence de personnel qualifié et d'équipement de sauvetage à bord de la plate-forme, et qu'elle avait vu à ce que celle-ci soit conçue pour être utilisée en mer. Or, la Garde côtière n'a pas vérifié adéquatement le respect des règlements à la plate-forme. Dans son deuxième rapport, la Commission a recommandé qu'un seul organisme canadien réglemente l'industrie, y compris les opérations de forage et de production du pétrole et du gaz naturel, les navires de soutien, les hélicoptères et les autres embarcations de sauvetage.
À cause d'une querelle de longue date entre le Canada et Terre-Neuve sur la propriété des ressources en haute mer, les deux gouvernements n'ont pas été en mesure d'imposer un système de gestion unique et efficace. Tandis que le Canada tentait d'assurer l'autosuffisance du pays en production pétrolière et que Terre-Neuve mettait l'accent sur la création d'emplois pour ses citoyens, la formation et la sécurité des travailleurs ont été reléguées au second plan.
Réaction du gouvernement
Réagissant sans retard aux rapports de la Commission, le gouvernement fédéral avait appliqué 90 de ses 136 recommandations en juillet 1985. Ottawa a renforcé le système de recherche-sauvetage de la province en y stationnant trois avions et trois hélicoptères, deux de plus que ce qui avait été recommandé. Les hélicoptères existants ont aussi été dotés de réservoirs long rayon d'action. De nouveaux règlements de l'APGTC ont amené l'amélioration de l'équipement de sauvetage. Ainsi, chaque plate-forme de forage a été contrainte de porter assez d'embarcations de sauvetage et de combinaisons de survie pour accommoder le double de l'équipage.
Les normes de conception des plates-formes ont été améliorées et adaptées à l'Atlantique nord. Ainsi, en application des règlements de l'APTGC, la salle de contrôle des ballasts a été placée beaucoup plus haut au-dessus de la ligne de flottaison, les systèmes de ballast ont été simplifiés, les mécanismes de sécurité ont été améliorés et tous les travailleurs recevaient dorénavant une formation accréditée.
La formation aux tâches professionnelles et à la sécurité a été strictement réglementée. L'industrie a coopéré avec les gouvernements provincial et fédéral à l'établissement de standards de compétence et de formation à la sécurité pour tous les travailleurs en haute mer. Mis à jour régulièrement, ces standards visent tant les équipages des navires de soutien que ceux des tours de forage et des installations de production.
La création, en 1985, de l'Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers représente un autre changement majeur (rebaptisé par la suite Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers - OCTNLHE). Remplaçant l'APGTC, le NLPD et la Garde côtière américaine, l'Office est désormais la seule agence responsable de réglementer l'industrie pétrolière en haute mer. Cet organisme a été créé en application de l'Accord Atlantique, dont la conclusion entre le Canada et Terre-Neuve a réglé une dispute de longue date sur la propriété et la gestion du pétrole et du gaz naturel en haute mer. Bien que la création de l'Office ne soit pas une conséquence directe des rapports de la Commission, la tragédie a exercé une pression considérable sur Ottawa et la province pour qu'ils règlent leur différend sans délai.
Critiques
Bien que le désastre de l'Ocean Ranger ait conduit à de nombreuses améliorations, le gouvernement et l'industrie ont aussi été critiqués pour ne pas en avoir fait assez. Rapides dans les quelques premières années après le désastre, les changements ont ensuite ralenti. Un rapport commandé en 2006 par Transport Canada a conclu que la recherche en matière d'évacuation et de sauvetage avait décru durant les années 1990, et que les règlements ne suivaient pas le rythme des progrès technologiques. « Il est malheureusement établi que l'élaboration de règlements et la recherche en technologies d'évacuation et de sauvetage progressent souvent au gré des plus récents désastres. Les strictes exigences réglementaires mises en place pour répondre aux besoins spécifiques, si elles sont appropriées au moment de leur adoption, sont rapidement dépassées par les progrès technologiques. » (Leafloor, p. 29) [Traduction libre]
D'autres critiques blâment la lenteur mise par le gouvernement à inscrire ces règlements dans la loi, ou son échec à appliquer la totalité des recommandations de la Commission. Ainsi, ce n'est qu'en 1992 que la Chambre des Communes a adopté la Loi sur les opérations pétrolières au Canada. Des représentants de l'OCTNLHE et de l'industrie affirment que tous les règlements sont observés et ont force de loi.
Le suivi des rapports de la Commission par le gouvernement a été remis en question après l'écrasement d'un hélicoptère Cougar dans l'Atlantique le 12 mars 2009, alors qu'il transportait des travailleurs aux champs pétroliers White Rose et Hibernia. Dix-sept personnes y ont trouvé la mort. Bien que la Commission ait recommandé qu'un hélicoptère de recherche-sauvetage soit stationné à l'aéroport le plus près des opérations de forage, toute la flottille d'hélicoptères prenait part à des exercices en Nouvelle-Écosse au moment de la tragédie. Encore une fois, la nature dangereuse de l'industrie pétrolière en haute mer et l'importance du travail de la Commission instaurée dans la foulée du désastre de l'Ocean Ranger ont été confirmées.