La réaction du gouvernement à la Grande Crise

Le déclenchement de la Grande Crise à l'automne 1929 provoque de graves difficultés économiques à Terre-Neuve et au Labrador. Les recettes du pays baissent brusquement à la suite de l'affaissement du commerce international. Le gouvernement ne peut se soustraire pour autant à ses obligations de rembourser l'intérêt sur sa lourde dette publique et de fournir à la population des services de base. Le chômage qui se généralise dans les années 1930 aggrave une situation déjà passablement difficile. Le gouvernement est en effet contraint d'investir des millions de dollars dans des programmes d'aide. La plupart d'entre eux s'avèrent inadéquats, dont ceux des rations, minables et durement contrôlées, et de la colonisation rurale qui déçoit.

Si, d'un côté, le gouvernement hausse ses dépenses en matière d'aide, de l'autre, il participe à l'escalade de la crise avec le licenciement de fonctionnaires et des compressions dans les programmes sociaux, notamment ceux en santé et en éducation. En 1932, les accusations de corruption lancées contre d'éminents hommes politiques exacerbent le mécontentement populaire contre les partis politiques et mène, en 1934, à la mise en place de la Commission de gouvernement. En gros, cette dernière se révèle tout aussi impuissante à atténuer les effets dévastateurs de la Grande Crise sur la classe ouvrière et l'ensemble du territoire. C'est à la Seconde Guerre mondiale et les nombreux emplois qu'elle crée que la colonie doit son rétablissement économique.

Crise financière

Les conséquences de la Grande Crise sur une économie d'exportation sont catastrophiques. Les recettes tirées des exportations de poisson, de minéraux et de pâtes et papiers s'effondrent avec le commerce international. Elles passent de 40 millions de dollars en 1930 à seulement 23,2 millions de dollars en 1933. La dette publique poursuit son ascension. À la fin de 1933, elle se chiffre à 100 millions de dollars. Le Royaume-Uni et les États-Unis sont les principaux créanciers. Les paiements d'intérêt dévorent à eux seuls 63,2 p. 100 des recettes.

Le gouvernement réagit à la Grande Crise de 1929 en contractant d'autres emprunts à l'étranger, mais l'aggravation de la crise réduit le nombre de créanciers. La Grande-Bretagne et le Canada s'inquiètent de l'image négative que le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador donnerait de l'Empire s'il manquait à ses obligations de remboursement. Ils lui consentent donc des prêts en échange d'un certain nombre de concessions, notamment la nomination d'un conseiller financier chargé de la restructuration des finances publiques. Le président du Conseil d'administration du revenu de l'intérieur, sir Percy Thompson, est nommé à ce poste en août 1931. À la même époque, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador choisit l'homme d'affaires montréalais Robert J. Magor pour passer en revue le fonctionnement des ministères et en comprimer les dépenses, si possible.

Ce sont, malheureusement, les plus démunis qui sont touchés par ces compressions. Le gouvernement licencie un tiers de ses fonctionnaires et impose des baisses salariales aux autres. Il instaure de nouvelles taxes qui font bondir le coût de la vie d'environ 30 p. 100. Il réduit radicalement ses dépenses en santé et en éducation, mais en 1932 il double le nombre de policiers pour garantir le maintien de l'ordre public face à la grogne populaire. Les efforts déployés par Robert J. Magor pour diminuer les rations exaspèrent au plus haut point les chômeurs.

La Force constabulaire, le 2 mai 1937
La Force constabulaire, le 2 mai 1937
Le gouvernement double le nombre de policiers en 1932.
Photographe inconnu. Photo reproduite avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 04.04.009), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. Johns, T.-N.-L.

L'aide gouvernementale

Les rations ne sont qu'une petite partie de l'aide que fournit le gouvernement aux pauvres et aux chômeurs. Une ration habituelle comprend de la farine, du porc, des pois cassés, de la semoule de maïs, de la mélasse et du cacao. Elle ne satisfait que la moitié des besoins nutritionnels d'une personne. Le gouvernement n'a guère les moyens de se montrer généreux pendant la Grande Crise. En 1933, il investit déjà plus d'un million de dollars par année dans les rations.

Le gouvernement redoute également que les bénéficiaires ne cherchent pas de travail s'il leur donne de meilleures rations. Il veut également éviter que la valeur des rations soit supérieure au revenu que touchent les pêcheurs, une population déjà appauvrie. Le commissaire Thomas Lodge écrit en 1939 que le drame de Terre-Neuve n'est pas que l'aide ne répond pas aux besoins, mais qu'elle se rapproche trop du niveau de vie des travailleurs qui parviennent à s'en passer.

Des responsables gouvernementaux s'inquiètent que les programmes d'aide constituent un fardeau fiscal dans le budget. Ils entendent resserrer les coûts et surveillent donc de près les bénéficiaires afin de ne distribuer les rations qu'aux plus désespérés. Dans ce but, le gouvernement embauche un petit nombre d'agents-inspecteurs. Le bassin de population ayant droit aux rations rétrécit. Ces agents ont tout pouvoir pour mener des enquêtes et décider de l'importance de l'aide à apporter.

Ces mesures renforcent les difficultés socio-économiques que vivent les pauvres et la classe ouvrière pendant la Grande Crise. Si une personne complète ses maigres rations avec les produits de la chasse ou de l'agriculture, elle risque de voir l'aide gouvernementale réduite. Robert J. Magor recommande que non seulement le gouvernement exclue les tricheurs, mais aussi ceux qui ne les dénoncent pas. Cette politique nourrit la suspicion, le mécontentement et un sentiment d'oppression parmi les gens au cours des années 1930.

La Commission de gouvernement

Lorsqu'elle entre en fonction en 1934, la Commission de gouvernement améliore peu la situation. Elle distribue gratuitement du lait et de l'huile de foie de morue aux enfants. Elle augmente l'enveloppe budgétaire du ministère de la Santé et bonifie un peu la composition des rations. La misère, elle, est tenace et la surveillance toujours présente. Les gens sont affamés et souffrent de malnutrition. Le programme d'aide empêche les bénéficiaires d'acheter leurs denrées. La substitution de la farine blanche pour de la farine de blé entier déplaît beaucoup, car elle se prépare mal selon ses utilisateurs.

L'inauguration de la Commission de gouvernement, le 16 février 1934
L'inauguration de la Commission de gouvernement, le 16 février 1934
La Commission de gouvernement est incapable d'atténuer les effets de la Grande Crise.
Avec la permission des archives (B4-137), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

La Commission élabore aussi un programme de colonisation rurale qui démarre bien, mais finit par échouer. Le gouvernement tente d'implanter dans des régions inhabitées des exploitations agricoles où des familles élèveront du bétail et bâtiront des collectivités. Il vise leur autosuffisance éventuelle et le remboursement des montants qu'il a investis. Le premier et plus important projet du genre s'amorce en mai 1934 à Markland. D'autres voient ensuite le jour, notamment à Brown's Arm, Lourdes et Midland.

Ce ne sont pas les habitants de ces collectivités qui les gèrent, mais des administrateurs. Les habitants ont l'impression que leur propre vie leur échappe. Ainsi, en 1936, le gouvernement expulse une famille de Markland qui refuse d'envoyer ses enfants à l'école locale. Les sept hommes qui protestent contre cette mesure subissent le même sort. En 1937, le gouvernement juge que les familles ne pourront pas rembourser les sommes investies dans le programme. Il limite la portée du programme et celui-ci est finalement aboli en 1941.

Toutefois, la prospérité est dorénavant au rendez-vous avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Pour la première fois depuis des années, la colonie affiche un excédent et le taux de chômage est pratiquement nul. À la fin de la guerre, le remplacement de la Commission par un nouveau gouvernement s'impose. Le filet de sécurité sociale persuade de nombreux électeurs de choisir l'entrée dans la Confédération canadienne. C'est une option attrayante pour ceux qui ont souffert de privations dans les années 1930.

English version

Vidéo: La grande dépression à Terre-Neuve-et-Labrador (en anglais seulement)