Les éléments déclencheurs de la Grande Crise

À l'automne 1929, une crise économique secoue la planète, la Grande Crise. Elle ne prend fin dans de nombreux endroits qu'au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. L'effondrement brutal de la Bourse américaine le 29 octobre constitue le principal élément déclencheur de cette crise, appelée aussi le mardi noir. Divers facteurs concourent aux difficultés financières que traverse le dominion de Terre-Neuve et du Labrador. Les dépenses liées à la Première Guerre mondiale ont gonflé la dette publique, de même que les coûts d'exploitation du chemin de fer. Le gouvernement a également contracté d'importants emprunts dans les années 1920 pour couvrir ses dépenses. Le marasme économique d'après-guerre qui nuit au commerce international aggrave aussi la situation. La conjoncture s'envenime avec la Grande Crise. En 1931, le remboursement de la dette publique est compromis. Le dominion vient près de faire faux bond à ses engagements et doit donc finalement renoncer à l'autonomie gouvernementale en 1934.

Les années 1920

Dans les années 1920, le dominion vit une époque de grande instabilité politique et économique. La Première Guerre mondiale fait grossir la dette publique à 35 millions de dollars. Ce problème hante les gouvernements en fonction entre les deux guerres. La décision du gouvernement de lever, d'équiper et d'entraîner son propre corps expéditionnaire est à l'origine de la majeure partie des coûts. Sur le plan politique, la conscription devient un enjeu de taille durant les dernières années de la guerre. Les partis politiques débattent vivement leur opposition ou leur adhésion à la conscription. La dissolution du parti au pouvoir en 1919 bouleverse le paysage politique. Ses répercussions se manifestent pendant les 15 années suivantes. Les scandales se succèdent à la Chambre d'assemblée. Les gouvernements ne parviennent pas à dompter les problèmes financiers qui surgissent dans les années 1920 et 1930.

La Newfoundland Railway Company contribue à l'alourdissement de la dette publique. En 1920, ses dirigeants constatent qu'ils ne sont plus en mesure d'exploiter le chemin de fer de manière rentable et demandent l'aide du gouvernement. Cette année-là, le déficit de l'entreprise atteint 1,7 million de dollars. Le gouvernement adopte une loi en 1923, la Railway Settlement Act (Loi sur l'accord de vente du chemin de fer), qui lui en confère l'exploitation. La rentabilité n'est toujours pas au rendez-vous au cours des années 1920 et 1930. Le déficit annuel s'élève parfois à 3 millions de dollars. Alors que frappe la Grande Crise en 1929, environ les deux tiers de la dette publique, qui se situe à 80 millions de dollars, sont associés aux coûts d'exploitation du chemin de fer et aux dépenses liées à la Première Guerre mondiale.

La locomotive no 191, dans les années 1920
La locomotive no 191, dans les années 1920
Les coûts d'exploitation du chemin de fer pèsent lourd dans la hausse de la dette publique. Le service ferroviaire reste déficitaire dans les années 1920 et 1930. Les déficits annuels peuvent atteindre jusqu'à 3 millions de dollars.
Photographe inconnu. Photo reproduite avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 24.01.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Perpétuellement déficitaire, le gouvernement effectue d'importants emprunts dans les années 1920 pour assurer ses activités. Une partie d'entre eux est consacrée à une diversification économique orientée vers des secteurs autres que celui de la pêche. Ainsi, le financement obtenu au Royaume-Uni facilite la construction d'une grande usine de papier journal à Corner Brook. Celui accordé par des investisseurs américains et britanniques subventionne l'exploitation d'une nouvelle mine de plomb et de zinc à Buchans. Ce développement industriel exige du gouvernement l'amélioration du réseau routier actuel ou la construction de nouvelles routes, et la mise en place de services publics dans ces deux localités. La réalisation de ces travaux est pourtant impossible sans des emprunts supplémentaires et donc l'aggravation de la dette.

Au début des années 1920, le gouvernement déclare une dette publique de 43 millions de dollars. En 1929, elle atteint presque le double. Les paiements d'intérêt sur la dette rongent les recettes du gouvernement. Il ne peut même pas offrir à la population les services de base sans d'autres emprunts. Au cours de l'exercice financier de 1927-1928, plus de 40 p. 100 des recettes sont absorbées par les paiements de la dette publique. Disposant d'un très maigre budget pour ses autres sphères d'activité, le gouvernement ne peut pas faire face à la Grande Crise de 1929.

Commerce international

La récession planétaire qui suit la Première Guerre mondiale ne fait qu'empirer la situation. L'effondrement du commerce international qui en résulte dévaste l'économie du dominion de Terre-Neuve et du Labrador qui est axée sur les exportations. L'affaissement du marché de la morue salée à l'échelle mondiale lui cause un énorme préjudice, car les recettes du gouvernement proviennent surtout de ce marché. La surpêche de la morue auxquels se sont livrés des pays étrangers avant la guerre resserre encore le marché en décroissance du dominion. Ainsi, l'Islande triple presque ses quotas de pêche d'avant-guerre. Les progrès techniques dans les domaines de la réfrigération et de la mise en conserve diminuent aussi la demande pour le poisson séché.

Quelques zones de prospérité viennent au secours de son économie. Dans les années 1920, la mine de fer de l'île Bell exporte de substantielles quantités de minerai vers l'Allemagne. Une nouvelle mine de zinc et de plomb voit le jour à Buchans en 1928. Les usines de papier de Corner Brook et de Grand Falls exportent sans problèmes leur production. Pendant l'exercice financier de 1926-1927, les recettes des exportations se rapprochent de celles d'avant-guerre grâce principalement aux secteurs minier et forestier. En 1927, le Comité judiciaire du Conseil privé règle le différend relatif à la frontière du Labrador et attribue la portion septentrionale du territoire à Terre-Neuve. Ses ressources naturelles inexploitées laissent présager un avenir prospère.

Le chargement de minerai de fer à l'île Bell, vers 1930
Le chargement de minerai de fer à l'île Bell, vers 1930
Un navire non identifié amarré au quai Scotia charge du minerai de fer de la mine de l'île Bell.
Photographe inconnu. Photo reproduite avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 10.13.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Même l'augmentation des recettes que procurent les exportations minières et forestières, sans parler de la possibilité d'exploiter les richesses du Labrador, ne parvient pas à surmonter à court terme l'alourdissement de la dette publique. L'économie de l'île reste terriblement chancelante après la guerre, car elle repose sur les exportations de poisson, de minéraux et d'autres ressources naturelles. L'écroulement de la demande ou des prix porterait aussi un dur coup à l'économie. L'écrasante dette publique que traîne le dominion, et les paiements d'intérêt qui s'y rattachent, le fragilisent. La moindre baisse des profits se révèle menaçante.

La Grande Crise

Suite au Krach boursier de 1929, le marché international des produits d'exportation du dominion rétrécit considérablement. En 1930, les recettes des exportations se chiffrent à 40 millions de dollars. Ce montant fléchit à 23,3 millions en 1933. Le secteur de la pêche souffre énormément lorsque le prix de la morue séchée, qui se vend 8,90 $ le quintal en 1929, est réduit de moitié en 1932.

La pesée de la morue séchée dans le port de St. John's, s.d.
La pesée de la morue séchée dans le port de St. John's, s.d.
Le Krach boursier de 1929 entraîne la chute du marché international pour le poisson salé de Terre-Neuve et du Labrador. Le prix de la morue séchée qui atteint 8,90 $ le quintal en 1929 est réduit de moitié en 1932.
Photographe inconnu. Photo reproduite avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 03.02.002), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le chômage bondit lorsque les entreprises n'ont d'autre choix que de mettre à pied des travailleurs en raison d'une faible rentabilité. Le gouvernement, pour sa part, se retrouve dans l'incapacité financière de fournir des services sociaux ou d'autres programmes d'aide qui permettraient à sa population d'affronter la crise. Pendant les années 1930, son pouvoir d'emprunt se détériore. Il ne peut rembourser les intérêts sans l'appui de la Grande-Bretagne. En 1933, la dette s'élève à près de 100 millions de dollars. Le dominion est au bord de la faillite. La Grande-Bretagne craint que si un des membres du Commonwealth manque à ses engagements financiers, ce soit tout le Commonwealth qui en paie le prix. Elle consent donc à le soutenir financièrement. Elle entend toutefois obtenir un droit de regard élargi sur sa gestion afin de protéger son investissement. Le 16 février 1934, le dominion de Terre-Neuve et du Labrador abandonne donc son autonomie. La Commission de gouvernement de Terre-Neuve est assermentée et reste au pouvoir jusqu'à l'entrée de la province dans la Confédération canadienne.

English version

Vidéo: La grande dépression à Terre-Neuve-et-Labrador (en anglais seulement)