Histoire du droit de vote

De nos jours, en vertu de ce qu'on appelle le suffrage universel, tout citoyen canadien de 18 ans et plus peut voter aux élections fédérales, provinciales et municipales. Dans le passé, le droit de vote était beaucoup plus limité, nombre de citoyens en étant privés à cause de leur sexe, de leur lieu d'habitation et de leur situation économique. Ainsi, les Terre-Neuviennes n'ont obtenu le droit de vote qu'en 1925, tandis que le Labrador n'a tenu sa première élection qu'en 1946.

Formes passées de gouvernement non élu

Ce n'est qu'en 1855 que l'île de Terre-Neuve est gouvernée par des gens élus. Même si les peuples d'Europe s'intéressaient à l'île depuis le 16e siècle, c'était surtout à titre de poste de pêche saisonnière plutôt que de lieu de résidence permanente. Durant les deux premiers siècles de pêche migratoire, la colonie s'est développée à pas de tortue, si bien qu'un gouvernement local était inutile.

Trinity, T.-N.-L., 18e  siècle
Trinity, T.-N.-L., 18e siècle
Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-327.1152), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Au départ, les citoyens britanniques à Terre-Neuve et au Labrador étaient sous l'autorité des amiraux de pêche; cependant, avec la croissance de la population permanente de l'île, une forme de gouvernement plus officielle s'est révélée nécessaire. À compter de 1729, la Grande-Bretagne a désigné des gouverneurs pour gérer les affaires politiques, juridiques et militaires de Terre-Neuve. Ces gouverneurs ne passaient que quelques mois dans l'île, d'ordinaire de juillet à novembre, lorsque la saison de pêche battait son plein. Le gouvernement britannique n'en a fait un poste à l'année longue qu'en 1817.

À ce moment, la population permanente de Terre-Neuve s'était fortement accrue et certains se sont mis à contester la nature désuète de leur système politique. Un mouvement de réforme a revendiqué la création d'une législature locale élue par les citoyens, comme dans d'autres colonies de peuplement comme la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard.

Tous les administrateurs du gouvernement de Terre-Neuve avaient jusque-là été désignés par la Couronne et rendaient donc des comptes à Londres plutôt qu'aux habitants de l'île. Le mouvement réformiste a obtenu une victoire partielle en 1832, lorsque la Grande-Bretagne a accordé à la colonie un gouvernement représentatif. En vertu de ce système, les électeurs admissibles pouvaient choisir des mandataires à l'Assemblée législative; ceci dit, le Conseil législatif et le Conseil exécutif restaient désignés par la Couronne.

Instauration du processus électoral

Le droit de vote avait été promulgué à Terre-Neuve, mais pas pour tous. L'île a été divisée en neuf comtés : St. John's, baie de la Conception, baies Placentia et St. Mary's, baie de Bonavista, baie Trinity, Ferryland, Twillingate-Fogo, Burin, et baie Fortune. Chacun était représenté à l'Assemblée législative par un député élu, sauf celui de la baie de la Conception, qui en avait quatre, de St. John's, qui en avait trois, et des baies Placentia et St. Mary's, qui en avaient deux. La côte sud à l'ouest de la baie de Fortune, le French Shore (la côte française) et le Labrador n'étaient pas représentés.

Pointe nord-ouest de Trinity, T.-N.-L., 1846
Pointe nord-ouest de Trinity, T.-N.-L., 1846
Le district électoral de la baie Trinity s'étendait du promontoire de Bay de Verde jusqu'au cap Bonavista.
Tiré de Newfoundland: a Pictorial Record, de Charles Volpi, Longman, Canada Limited, Sherbrooke, Québec, 1972, p. 27. Gravure.

Pour être autorisés à voter, les habitants devaient être des sujets britanniques de sexe masculin âgés de 21 ans ou plus et avoir vécu dans l'île, à titre de locataires ou de propriétaires, au moins une année avant la date de l'élection. Pour être candidat, les exigences étaient les mêmes, sauf qu'il fallait avoir vécu à Terre-Neuve pendant les deux années précédant l'élection.

La première élection générale a eu lieu à l'automne 1832. Le vote n'était pas secret, les électeurs devant le déclarer en public au bureau de scrutin. On conçoit qu'une telle pratique aura exposé les électeurs à l'intimidation et à la corruption. Les marchands de poisson et le clergé, notamment, pouvaient aisément faire jouer leur influence pour influencer le résultat des élections.

Les bureaux de scrutin, peu nombreux, étaient souvent éloignés les uns des autres. Certains électeurs devaient franchir des distances considérables pour s'y rendre, ce qui avait un impact sur les taux de participation. Aussi, l'élection ne se tenait pas partout le même jour : en 1832 par exemple, le scrutin a duré du 31 octobre au 3 novembre dans la baie de la Conception, mais n'a débuté que le 5 novembre à St. John's.

John Kent (1805-1872), s.d.
John Kent (1805-1872), s.d.
Kent était au nombre des candidats à la première Assemblée législative de Terre-Neuve à l'élection générale de 1832.
Artiste inconnu. Tiré de Benevolent Irish Society of St. John's, NL, 1806-1906, Guy & Co., 1906, p. 124.

Après que le déroulement de l'élection dans certains comtés ait été ponctué d'irrégularités, le gouvernement britannique a modifié le système en resserrant ses critères. Pour voter, les habitants devaient avoir vécu dans leur comté depuis au moins deux ans, et être propriétaires ou locataires d'habitations évaluées à 500 livres sterling dans les villes et à 40 shillings dans les villages côtiers. Les vrais détenteurs de l'autorité dans la colonie demeuraient cependant les membres désignés du Conseil exécutif.

Élargissement du droit de vote

La situation a changé en 1855, lorsque le gouvernement britannique a accordé à Terre-Neuve un gouvernement responsable, ce qui signifie que le Conseil exécutif, présidé par le premier ministre, devait être appuyé par une majorité des députés élus à l'Assemblée législative, comme c'est le cas aujourd'hui. Pour une première fois de son histoire, Terre-Neuve avait un gouvernement élu par une partie de sa population.

Colonial Building, St. John's, 1851
Colonial Building, St. John's, 1851
C'est dans cet édifice inauguré en 1850 qu'ont siégé les deux organes de l'Assemblée législative de Terre-Neuve.
Tiré de Newfoundland: a Pictorial Record, de Charles Volpi, Longman, Canada Limited, Sherbrooke, Québec, 1972, p. 72. Gravure.

Le nombre de sièges à l'Assemblée législative a été doublé de 15 à 30. St. John's a reçu six députes, répartis également entre les comtés de l'est et de l'ouest de la ville. La représentation de la baie de la Conception a été accrue à sept sièges, répartis entre cinq comtés : Harbour Grace (2), Harbour Main (2), Carbonear (1), Bay de Verde (1) et Port de Grave (1). Les baies de Bonavista, de Trinity et de Placentia-St. Mary's enverraient trois députés chacune à l'Assemblée, tandis que les comtés de Burin, de Ferryland et de Twillingate-Fogo en éliraient deux chacun. La baie Fortune conservait son député et un siège était ouvert dans la nouvelle circonscription de Burgeo-LaPoile, sur la côte sud-ouest. Le French Shore et le Labrador demeuraient sans représentants.

Au fil des années, le nombre et la distribution des sièges se sont élargis. Un autre député a été accordé à Twillingate-Fogo en 1873, et deux sièges ont été créés en 1882 pour les nouveaux comtés de St. George's et de St. Barbe, sur le French Shore. Le total des sièges a été haussé à 36 en 1886 par l'ajout d'un député chacun à Harbour Grace et Bay de Verde, et d'un autre au nouveau comté de Fogo.

Dans la foulée du Canada et du Royaume-Uni, Terre-Neuve a adopté le scrutin secret en 1887, pour l'appliquer une première fois à l'élection partielle de 1888, puis à l'élection générale de 1889. La 1888 Elections Act (Loi sur les élections de 1888) a changé les critères d'admissibilité, tant pour les électeurs que pour les candidats. Ces derniers devaient être des sujets britanniques de sexe masculin d'au moins 21 ans, avoir vécu dans la colonie durant au moins deux ans et déclarer un revenu annuel d'au moins 480 $, ou posséder des propriétés d'une valeur de 2 400 $ au minimum. Les électeurs devaient aussi être sujets britanniques de sexe mâle et avoir au moins 21 ans. Cependant, la durée minimale de leur résidence dans l'île était d'un an et les critères de revenu et de propriété furent supprimés. Il s'agissait là d'une forte expansion de l'électorat, tous les hommes adultes étant désormais admissibles.

Assemblée législative, vers 1914
Assemblée législative, vers 1914
Avec la permission de la Division des archives provinciales (C 1-207), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

En 1925, l'électorat a presque doublé lorsque les femmes ont obtenu le droit de voter et de se présenter aux élections. Celles qu'on appelait les « suffragettes » avaient enduré des années de moqueries et d'hostilité durant leur lutte d'émancipation, et leur victoire a posé un jalon essentiel de l'histoire des droits des femmes et de la démocratie en général. Cette victoire n'était toutefois pas complète : tandis que les hommes pouvaient voter dès 21 ans, l'âge minimal pour les femmes était de 25 ans.

Le 29 octobre 1928, 52 343 Terre-Neuviennes votaient à leur première élection générale, pour un taux de participation de 90 p. 100. Dame Helena Squires a été la première femme à siéger à l'Assemblée législative en remportant l'élection partielle de 1930.

Suffragettes de Terre-Neuve, années 1920
Suffragettes de Terre-Neuve, années 1920
En avril 1925, après des décennies de pressions sur les politiciens et de promotion de leur cause dans le public, les femmes de Terre-Neuve ont obtenu le droit de voter et de se présenter aux élections.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection 158 8.11), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

En 1925, le gouvernement haussait à 40 le nombre de sièges à l'Assemblée législative. L'île Bell devenait un comté distinct et des sièges additionnels étaient créés sur la côte ouest pour refléter la hausse de la population amenée par l'industrie naissante des pâtes et papiers.

Abrégement du droit de vote

Cette croissance allait être de courte durée. Au cours des années suivantes, la colonie a connu de terribles problèmes financiers. Les coûts de la construction du chemin de fer et de la Première Guerre mondiale ont plongé Terre-Neuve dans la dette. Les conditions se sont aggravées dans le monde entier avec le début de la Grande Crise en 1929. Pour réduire ses dépenses publiques, le gouvernement de Terre-Neuve a choisi en 1932 d'abaisser de 40 à 27 le nombre de sièges à l'Assemblée législative.

Après des années de crise économique et de scandales politiques qui avaient désenchanté la population, aux yeux de laquelle la politique partisane était inadéquate et corrompue, le rapport de la Commission Amulree allait conforter ce sentiment en négligeant d'attribuer à la Grande Crise quelque responsabilité que ce soit dans les problèmes éprouvés par la colonie.

En 1933, avec quelque 100 millions de dollars de dettes, l'île frôlait la faillite. La Grande-Bretagne craignait pour la santé du Commonwealth si une de ses colonies manquait à ses engagements. Elle a donc accepté de soutenir Terre-Neuve, en échange d'un plus grand contrôle politique pour protéger son investissement. En conséquence, la colonie a dû abandonner de son plein gré son droit à l'autonomie : une Commission de gouvernement désignée par la Grande-Bretagne était assermentée le 16 février 1934 et Terre-Neuve perdait son indépendance politique.

Cérémonie d'entrée en fonction de la Commission de gouvernement, le 16 février 1934
Cérémonie d'entrée en fonction de la Commission de gouvernement, le 16 février 1934
Avec la permission de la Division des archives provinciales (B 4-137), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Éventuellement, la prospérité amenée par la guerre durant les années 1940 a fait beaucoup pour stimuler l'économie de la colonie et, en 1945, Terre-Neuve avait regagné son autonomie financière et était prête à assumer une nouvelle forme de gouvernement. Plusieurs militaient pour un retour au gouvernement responsable, tandis que d'autres trouvaient que l'union avec le Canada (Confédération) représentait le choix le plus sensé du point de vue économique.

Rétablissement du droit de vote

Le 11 décembre 1945, la Grande-Bretagne annonçait l'instauration d'une Convention nationale élue et, le 21 juin 1946, les gens retournaient aux urnes pour voter à leur première élection générale depuis 1932.

Le droit de vote fut élargi à tous les adultes de Terre-Neuve comme du Labrador; ils devaient élire des députés dans 45 comtés, 44 dans l'île et un au Labrador, dont les habitants exerçaient leur droit de vote pour la première fois.

Joseph R. Smallwood (1900-1991), s.d.
Joseph R. Smallwood (1900-1991), s.d.
Smallwood a dirigé la campagne en faveur de la Confédération et a contribué à la négociation des Conditions de l'union. Il a aussi été le premier à agir comme premier ministre de la province canadienne de Terre-Neuve.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection J. R. Smallwood 075, 5.05.061), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Après que Terre-Neuve et le Labrador soient devenus la dixième province du Canada en 1949, le droit de vote aux paliers fédéral et provincial a été accordé à tous leurs résidents d'au moins 21 ans. En 1970, l'âge minimum pour voter a été abaissé à 18 ans. Le droit de vote serait éventuellement enchâssé dans la Charte canadienne des droits et des libertés en 1982. Jadis un privilège, le scrutin était devenu un droit.

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