Une Terre-Neuvienne source de fierté
Extrait des archives de The Gazette 19 février 1998.
Un matin de juillet 1994, j'ai reçu un appel téléphonique d'une de mes grandes amies, Grace Sparkes. Pourrais-je, voudrais-je, venir prendre livraison de ses papiers personnels? Je me suis rendu chez elle le jour-même pour ramener aux archives plusieurs boîtes de sa correspondance, de ses écrits, de ses dossiers officiels et d'autres documents recueillis au gré de sa vie longue et productive.

Grace Margaret Patten est née le 19 février 1908; elle était la cadette des dix enfants d'Elizabeth Hickman et de John B. Patten. Son père était un homme d'affaires de Grand Bank, propriétaire de goélettes et employeur de nombreux hommes et femmes engagés dans la pêche. Sa mère, une femme instruite, a élevé sa grosse famille, tout en trouvant le temps de se consacrer à des œuvres sociales et religieuses.
Ses parents étaient tous deux convaincus de l'importance de l'éducation. Au terme de ses études à l'Académie Méthodiste de Grand Bank, Grace a reçu son diplôme en 1924. Puis, comme plusieurs de ses frères, sœurs et cousins, elle s'est inscrite à l'Université Mount Alison, au Nouveau-Brunswick, qui lui a décerné en 1928, un baccalauréat ès arts avec majeure en biologie. Immédiatement après, elle était reçue à l'école de médecine de l'Université de Toronto. Pour des raisons financières, elle a été contrainte d'interrompre ses études au terme de sa première année. En effet, le décès de son père en 1927, associé à des droits de succession exorbitants, avait gravement affecté les finances de la famille. Abandonner ses études a été pénible pour cette jeune femme qui rêvait d'une carrière en médecine, mais elle a pris sa vie en mains sans se laisser décourager.
En 1929, elle est rentrée à Terre-Neuve. Après avoir reçu une formation au Collège de l'Université Memorial, elle a entamé une carrière d'enseignante à Grand Bank, en partie pour prendre soin de sa mère. Après deux ans, le Dr Charles Parsons l'a convaincue de venir à Twillingate pour enseigner aux nombreux enfants de la côte nord-est contraints à de longues hospitalisations. Elle a passé les trois années suivantes à l'hôpital de Twillingate, comme enseignante, puis comme gouvernante.
Après son retour à Grand Bank en 1934, Grace Patten a renoué son amitié avec Gerry Sparkes, qu'elle avait connu à l'université et qui était devenu dentiste à Grand Bank. Ce fut le coup de foudre et ils se sont mariés, avant de déménager à St. John's, où leur fille Doris est née en 1942.
Au moment de leur installation dans la capitale, la Colonie était gérée politiquement par une Commission de Gouvernement. Grace n'a pas tardé à faire connaissance avec diverses personnalités liées aux affaires du gouvernement. Lorsque la Convention nationale à été convoquée en 1945, elle est devenue ardente partisane d'un retour à un gouvernement responsable. Convaincue que la Confédération avec le Canada était un sombre complot ourdi par les gouvernements du Canada et de Grande-Bretagne pour régler le « problème terre-neuvien », elle a milité pour le gouvernement responsable durant les deux référendums. À plusieurs reprises, ses adversaires lui ont tendu des embûches, mais elle a persisté, parfois au prix de grands risques personnels.
La défaite du gouvernement responsable aux mains de la Confédération n'a pas diminué sa ferveur politique ni sa passion pour Terre-Neuve et les Terre-Neuviens. Aux premières élections provinciales tenues à Terre-Neuve en mai 1949, Grace Sparkes a accepté de briguer les suffrages dans le comté de Burin (où se trouvait Grand Bank) pour le Parti progressiste-conservateur, parce qu'elle était la seule à vouloir défendre ses couleurs; elle croyait fermement que personne ne devait être élu par acclamation, pour que tout le monde ait la chance de voter. Elle ne s'attendait pas à gagner, mais a tout de même recueilli quelque 10 pour cent des votes, soit à peu près la proportion de la plupart des candidats conservateurs hors de St. John's. Elle a ensuite accepté d'être candidate pour le PC dans le comté de Burin-Burgeo à la première élection fédérale à Terre-Neuve, tenue en juin 1949, obtenant encore une fois environ 10 pour cent des voix.
En 1949, quelques jours après la Confédération, l'époux de Grace, Gerry Sparkes, est décédé subitement. Laissée veuve avec une fillette de sept ans, elle confie que les campagnes électorales qui ont suivi peu après l'ont aidée à surmonter le choc du décès de son mari. Toutefois, après les élections, il lui a fallu trouver du travail et elle a décidé de renouer avec l'enseignement. Après une formation d'appoint, elle a trouvé un poste au Collège Prince of Wales, sur la rue LeMarchant.
Grace Sparkes y enseignait encore lorsque le premier ministre Smallwood a déclenché une campagne électorale surprise en novembre 1951. Encore une fois, elle a décidé d'être candidate dans le comté de Burin, obtenant de son conseil scolaire deux semaines de congé sans solde pour faire campagne, remplacée par un suppléant. Cette fois-là, elle a perdu plus qu'une élection : quand elle est rentrée à St. John's, son conseil scolaire l'avait mise à pied.
Loin de se décourager, elle s'est vite trouvé un nouvel emploi dans un journal, The Daily News, agissant théoriquement comme responsable de la chronique féminine, mais en réalité comme journaliste régulière, devant produire comme tous les autres journalistes, en sus de la page féminine. C'est un défi qu'elle a relevé avec brio. Elle est demeurée sept ans à cet emploi, avant de renouer avec l'enseignement pour le même conseil scolaire qui l'avait congédiée en 1951. Elle a enseigné au Collège Prince of Wales, entourée d'amour et de respect, achevant sa carrière en 1972.
Si la politique lui avait valu maints tourments, le curling l'a aidée à se défouler. Elle s'y est initiée au Bally Haly Golf and Country Club peu après son installation à St. John's, et l'a pratiqué avec passion durant 40 ans. Lorsqu'elle enseignait à Prince of Wales, elle réservait des périodes à Bally Haly après l'école, organisant les premières équipes d'écolières à qui elle inculquait les principes de ce sport.
Grace Sparkes s'est vouée toute sa vie aux œuvres communautaires; après sa retraite, ses services ont été plus requis que jamais. Elle a été durant les années 1970 membre fondatrice de l'association des anciens de l'Université Memorial et a agi comme présidente de la première assemblée générale des Anciens en 1975. En 1974, elle a été nommée au conseil d'administration de l'université, et y a servi jusqu'en 1986.
Elle pris part à l'organisation du Festival de musique Kiwanis dès la première heure, au début des années 1940, et a servi dans des conseils locaux et nationaux de l'Église Unie du Canada et du Conseil consultatif national sur le troisième âge.
Elle a cumulé des distinctions de toutes sortes. L'Université Mount Alison (1989) et l'Université Memorial (1992) lui ont décerné des grades honorifiques, elle a été nommée au Temple de la renommée du curling, elle est membre honoraire à vie du Bally Haly Golf and Country Club et a reçu le prix MacDonald-Cartier pour ses services au Parti progressiste-conservateur du Canada. En 1986, elle a été nommée Ancienne de l'année à l'Université Memorial.
À 78 ans, Grace Sparkes a entamé une nouvelle carrière. Elle a accepté d'incarner Grandma Walcott dans la série télévisée de CBC fondée sur plusieurs des pièces de radio théâtre de Ted Russell mettant en scène le village fictif de Pigeon Inlet. C'est un rôle qui lui alIait comme un gant. Son propre sens de l'humour, sa sagacité et son amour pour la vie étaient tous reflétés dans son personnage.
Maintenant nonagénaire, elle n'est pas plus retraitée qu'elle l'était à 50 ans. Chaque jour, elle s'assoit au piano aussi longtemps qu'elle le désire, interprétant ordinairement du Bach; elle fréquente toujours ses amis et sa famille, prend encore part à diverses œuvres sociales et vit sa vie pleinement.
Grace Sparkes est une Terre-Neuvienne dont nous pouvons tous être fiers. Joyeux anniversaire, chère amie! Puisses-tu vivre pour être centenaire!
Table des matières du Service des archives et collections spéciales (en anglais)