Le gouvernement Peckford de 1979 à 1989

La volonté combative d'Alfred Brian Peckford d'assurer le contrôle et la gestion des ressources naturelles a marqué son mandat de premier ministre. Le pétrole marin, l'industrie de la pêche et l'aménagement hydroélectrique étaient les priorités de son programme politique. Peckford espérait prendre le contrôle de ces trois domaines dominés par des intérêts extérieurs dans le but d'assurer de meilleurs revenus à la province. La gestion des ressources naturelles par la province, affirmait-il, allait mettre fin au statut de Terre-Neuve-et-Labrador à titre de province la plus pauvre en plus d'insuffler un sentiment de fierté au sein de la population.

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Brian Peckford, le 18 juin 1986
Brian Peckford a été premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador de 1979 à 1989.
Autoportrait de Brian Peckford: © Andrew Danson. Photographie publiée avec la permission de Andrew Danson et de Bibliothèque et Archives Canada (e010691928), Ottawa, Ontario.

Bien que Peckford ait fait des gains importants dans l'industrie pétrolière, la prospérité tant espérée ne s'est pas matérialisée au cours de son mandat de premier ministre. Des querelles avec Ottawa, des batailles juridiques et un marché international chancelant l'ont empêché d'aller de l'avant. Jusqu'à ce qu'il quitte son poste en 1989, la province est restée la plus endettée du pays avec un taux de chômage élevé et de faibles revenus des particuliers. L'administration Peckford a néanmoins préparé le terrain pour de futures exploitations pétrolières qui, en 2008, ont permis de réaliser sa fameuse prédiction : « Un jour, le soleil brillera et nous n'aurons plus de démunis. » [Traduction libre]

Une nouvelle vision politique

De 1976 à 1979, le travail effectué par Peckford en tant que ministre de l'Énergie et des Mines a pavé la voie à sa fonction de premier ministre de la province. Audacieux et tenace, il a multiplié les efforts afin que la province ait le contrôle sur l'industrie émergente du pétrole exploité en mer. En 1977, Peckford a annoncé une série de mesures exhaustives concernant les forages exploratoires afin que cette industrie profite principalement à la province. En guise de protestation, les sociétés d'exploitation pétrolière ont cessé les activités de forage, mais elles ont fini par se conformer à ses directives en 1978.

Le style agressif de Peckford a souvent provoqué des conflits avec les multinationales et le gouvernement fédéral, mais cela ne l'a pas empêché de gagner en popularité auprès des électeurs et du Parti progressiste-conservateur provincial. À la suite de la démission de Frank Moores en janvier 1979, Peckford a gagné la course à la chefferie en mars puis l'élection générale en juin.

Ce changement a inauguré un nouveau style de politique provinciale. Peckford, âgé de 36 ans, est devenu le plus jeune premier ministre de l'histoire de Terre-Neuve et l'un des rares membres de l'élite politique provenant de la classe sociale salariée issue des régions éloignées. Peckford était enseignant avant de se lancer en politique et son approche combative et bien affirmée contrastait avec le style décontracté de Moores et la déférence de Smallwood envers Ottawa.

Désabusé par ce qu'il appelait « la fausse prospérité des trois premières décennies de la Confédération » et la perpétuelle dépendance de la province envers les paiements de transfert fédéral, Peckford luttait pour que la province ait une plus grande autonomie politique vis-à-vis d'Ottawa grâce à une réforme constitutionnelle. Il rejetait les politiques de centralisation et d'industrialisation de Smallwood et croyait que l'industrie de la pêche méritait une plus grande attention. Peckford encourageait le développement et la croissance économique des régions rurales grâce à une saine gestion locale des pêches, du pétrole et des autres ressources naturelles.

Le discours positif et les visées de Peckford faisaient écho à l'émergence d'un sentiment nationaliste à Terre-Neuve-et-Labrador. Ce vent nouveau qualifié de « renaissance culturelle » mettait en valeur les traditions et le patrimoine distincts de la province, et une nouvelle génération d'électeurs rejetait l'idée largement répandue selon laquelle Terre-Neuve était en quelque sorte inférieure aux autres provinces. Ils approuvaient le rêve de Peckford de bâtir une Terre-Neuve-et-Labrador prospère, fière et plus autonome grâce à la gestion provinciale des ressources naturelles.

La propriété des ressources

Le plan de Peckford avait cependant plusieurs obstacles à franchir. Des intérêts extérieurs contrôlaient déjà la plus grande partie du secteur des ressources naturelles. Les pêches relevaient de la compétence fédérale depuis 1949 et la désastreuse entente de Churchill Falls profitait beaucoup plus au Québec qu'à Terre-Neuve-et-Labrador. Les autres sociétés dans lesquelles le Canada détenait des intérêts dominaient les autres industries, par exemple l'Iron Ore Company of Canada dans l'ouest du Labrador de même que Abitibi-Price, Bowater et Kruger Inc. dans le domaine de la foresterie. Le pétrole exploité en mer était une nouvelle industrie lucrative, mais le gouvernement fédéral contestait le fait que la province en réclame la propriété.

Churchill Falls mettait en lumière de façon particulièrement irritante les pertes de revenus et l'impuissance politique. Selon le contrat signé en 1969, Terre-Neuve-et-Labrador acceptait de vendre de l'électricité bon marché à Hydro-Québec jusqu'en 2041. Ce contrat d'une durée de 65 ans ne tenait pas compte de l'inflation ou de la modification des tarifs d'électricité. Le gouvernement Peckford n'arrivait jamais à renégocier une meilleure entente avec le Québec ni à convaincre Ottawa d'intervenir.

Les longues batailles juridiques, qui exigeaient beaucoup de temps et de ressources, se sont soldées par un échec. La Cour suprême du Canada a légiféré à deux reprises en faveur du Québec, soit en 1984 et en 1988. De plus, la province cherchait à développer le potentiel hydroélectrique du Bas-Churchill, mais a échoué dans ses efforts d'établir un corridor à travers le Québec et atteindre les lucratifs marchés américains et canadiens. Le projet ne pouvait donc pas aller de l'avant.

Même si l'industrie de la pêche était le pilier économique des régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador, elle relevait de la compétence fédérale. Ottawa déterminait les quotas de pêche, délivrait les permis aux chalutiers et supervisait tous les autres aspects de la gestion des pêches. Peckford a multiplié les efforts pour que la province acquière un plus grand contrôle sur les pêches en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, mais les autres premiers ministres ne lui ont pas accordé tout le soutien dont il avait besoin. Incapable d'accroître la compétence provinciale dans le domaine de la gestion des pêches par le biais d'un changement constitutionnel, le gouvernement Peckford a fait tout en son pouvoir pour influencer la politique fédérale relative aux pêches dans l'arène politique.

Caricature de Brian Peckford, premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, 14 février 1981
Caricature de Brian Peckford, premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, 14 février 1981
Peckford a multiplié les efforts pour que la province acquière un plus grand contrôle sur les pêches.
Dessin de Aislin (alias Terry Mosher). © Musée McCord. Publié avec la permission du Musée McCord (Accession no M985.221.80), Montréal, QC. http://collections.musee-mccord.qc.ca/scripts/large.php?Lang=1&accessnumber=M985.221.80&idImage=225373

Peckford affirmait que la province avait un droit historique et moral sur les pêches et qu'elle devait donc avoir droit au chapitre quant à leur gestion. Il a demandé à Ottawa de réserver la majeure partie de tous les stocks de morue pour les pêcheurs semi-hauturiers et côtiers de la province et de laisser tout surplus aux plus gros chalutiers pêchant au large des côtes. Quand le ministère de Pêches et des Océans du Canada a octroyé des permis à trois chalutiers-usines congélateurs en 1985, Peckford a déclaré qu'il s'agissait d'un « désastre aux proportions monumentales ». La surpêche a été un problème jusqu'à la fin de la décennie et les stocks se sont effondrés en 1992.

La province était en partie responsable de cette surcapacité. Elle a permis à plusieurs usines de traitement du poisson d'ouvrir leurs portes et a soutenu Ottawa dans ses efforts d'équiper les pêcheurs semi-hauturiers et côtiers de plus gros bateaux et d'une technologie plus moderne.

L'exploitation pétrolière en milieu marin

Contrairement aux autres ressources naturelles, le pétrole marin a donné à l'administration Peckford l'opportunité de prendre le contrôle d'une nouvelle industrie lucrative. Bien que la Cour suprême du Canada ait décidé en 1984 que cette ressource était de compétence fédérale, Peckford a négocié une entente avec le premier ministre conservateur Brian Mulroney garantissant que la province aurait voix au chapitre quant à sa gestion en plus de recevoir une grande part des revenus.

Ce document, appelé l'Accord atlantique de 1985, assurait à Terre-Neuve-et-Labrador une protection transitoire, pendant une période de 12 ans, contre les réductions importantes de ses droits de péréquation attribuables à une augmentation des recettes qu'elle tirerait des ressources au large des côtes. Peckford a défendu avec succès le fait que le pétrole soit non renouvelable et ne puisse rapporter que des revenus à court terme sans refléter la véritable capacité fiscale de la province, ce pourquoi il devrait être traité différemment des ressources renouvelables dans la formule de péréquation. L'Accord a reçu un appui général et a été salué comme un point tournant dans l'économie de la province. Toutefois, les prix du pétrole ont chuté et il a fallu du temps avant que la production ne commence. Ce n'est qu'en 1997 que le pétrole a commencé à jaillir du champ pétrolifère d'Hibernia, soit près d'une décennie après le départ de Peckford à titre de premier ministre.

D'autres réalisations

Bien que le développement des ressources ait accaparé son programme politique, l'administration Peckford s'est aussi consacrée à d'autres réalisations. Un nouveau drapeau provincial a été adopté en 1980, le programme de 12e année a été introduit dans les écoles en 1983 et la construction de la route Translabradorienne a été entreprise la même année. Les premières femmes – Lynn Verge et Hazel Newhook – ont été nommées au Cabinet provincial en 1979 et Margaret Cameron est devenue la première femme à accéder au poste de juge à la Cour suprême en 1983.

La route Translabradorienne, en 2011
La route Translabradorienne, en 2011
La construction de la route Translabradorienne a commencé en 1983 alors que Brian Peckford était premier ministre.
Photographie de Phillip Cairns. © 2011.

La réforme constitutionnelle a aussi marqué les années Peckford. En 1981, il a joué un rôle de premier plan en ajoutant à la Constitution canadienne une clause approuvant des programmes de promotion sociale. En 1987, il a été l'un des signataires de l'Accord du lac Meech qui, espérait-il, allait décentraliser l'autorité fédérale et donner voix au chapitre à la province quant à la gestion des pêches et du pétrole exploité en mer. Le gouvernement a ultérieurement retiré son soutien de l'Accord sous la direction du nouveau premier ministre libéral Clyde Wells.

Terre-Neuve-et-Labrador a vécu une période de difficultés économiques à la fin des années 1980. Une récession mondiale a nui à l'économie provinciale basée sur les ressources naturelles et les stocks de poisson ont atteint des taux dangereusement bas. Les promesses de Peckford concernant le développement des zones rurales ont permis la création d'emplois artificiels et de programmes d'assurance-emploi administrés par le fédéral. Le chômage excédait la moyenne nationale et la dette provinciale était la plus élevée au Canada.

En 1987, le gouvernement Peckford a appuyé les projets du promoteur Philip Sprung visant à construire des serres hydroponiques sur l'île pour vendre des concombres dans le Canada atlantique et l'est des États-Unis. Le prix de ces concombres ne pouvait toutefois pas concurrencer celui des concombres vendus à l'épicerie, parfois pour la moitié du coût de production. La province a investi 22 millions de dollars dans ce projet qui s'est soldé par une faillite.

La controverse entourant cette aventure de Sprung et les difficultés économiques incessantes ont nui à la popularité de Peckford. Ses fréquents conflits avec Ottawa commençaient à peser lourdement. Peckford a annoncé sa retraite le 21 janvier 1989 et il a été remplacé par le ministre des Pêches, Tom Rideout, lors du congrès à la chefferie tenu en mars. Le mois suivant, lors de l'élection générale, c'est un gouvernement majoritaire du Parti libéral, dirigé par Clyde Wells, qui a été élu à la Chambre d'assemblée.

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