Les conséquences de la désagrégation du gouvernement responsable

La mise en place en 1934 de la Commission de gouvernement de Terre-Neuve, un organisme non électif, en remplacement du gouvernement responsable se répercute sur les sphères socio-économique et politique. Au cours du mandat de la Commission qui dure 15 ans, la Seconde Guerre mondiale fouette l'économie du pays qui entre aussi de plein pied dans la société nord-américaine. La multiplication des liens avec le Canada et les États-Unis dans les années 1940 façonne son avenir. Pourtant, c'est la Commission de gouvernement qui tient les rênes.

Les membres de la Chambre d'assemblée de Terre-Neuve en 1933
Les membres de la Chambre d'assemblée de Terre-Neuve en 1933
Lors de la prise de pouvoir de la Commission de gouvernement, le 16 février 1934, 79 ans de gouvernement responsable s'achèvent.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 075 05.05.216), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Ce n'est qu'en 1946 que les électeurs reprennent le chemin des bureaux de vote pour y élire les membres de la convention nationale. À cette époque, près de la moitié des électeurs admissibles n'ont jamais voté puisque trop jeunes lors de l'élection précédente 14 ans auparavant. Les électeurs retournent de nouveau aux urnes en 1948. Cette fois, ils doivent choisir entre le rétablissement du gouvernement responsable ou leur entrée dans la fédération canadienne.

La fin du gouvernement responsable

Des années de difficultés économiques et de bouleversements politiques conduisent à la suspension du gouvernement responsable en 1934. La Grande Crise provoque l'affaissement du marché international du poisson salé. Les autres produits d'exportation suivent la même tendance. Les recettes du dominion s'effondrent. Le chômage bondit et le gouvernement doit consacrer ses faibles rentrées d'argent à des programmes d'aide. Le mécontentement populaire atteint son point culminant au printemps 1932 lorsque le ministre des Finances Peter Cashin accuse le premier ministre sir Richard Squires d'usage abusif de fonds publics. Des émeutes et des manifestations se déchaînent à l'extérieur du Colonial Building. À l'élection suivante, le premier ministre est chassé du pouvoir.

À la fin de l'année 1932, le pays ne semble pas en mesure d'effectuer ses paiements d'intérêt sur la dette publique évaluée à 100 millions de dollars. La Grande-Bretagne consent à lui venir en aide en échange d'un droit de regard plus étroit sur la gouvernance afin de garantir son investissement. Elle demande la tenue d'une commission d'enquête sur la situation politique et financière du dominion, et en désigne le président, sir William Mackenzie maintenant lord Amulree.

Le rapport de la Commission royale de 1933
Le rapport de la Commission royale de 1933
Le rapport de lord Amulree ne tient pas compte des effets de la Grande Crise et attribue plutôt les problèmes financiers du dominion à une mauvaise gestion et à la corruption.
Tiré du rapport de la Commission royale de 1933, Commission royale de Terre-Neuve, H.M.S.O., London, 1933; page titre. Tirage.

Publié en 1933, le rapport de la Commission Amulree ne tient pas compte des effets dévastateurs de la Grande Crise et attribue plutôt les problèmes financiers du dominion à une mauvaise gestion et à la corruption. Il allègue que la population ne veut plus entendre parler de politique pour les prochaines années, et qu'une Commission de gouvernement pourrait se charger de la gestion du pays à la demande de la Grande-Bretagne. Le 16 février 1934, le dominion met un terme à son autonomie avec l'assermentation des commissaires.

Les premières réactions

La population réagit fort peu à ce changement de garde. Elle est exaspérée des nombreuses années d'instabilité économique et financière. Pour de nombreux citoyens, la politique n'est que corruption. Le rapport de la Commission Amulree renforce cette notion en occultant la relation entre les problèmes financiers du dominion et le ralentissement économique mondial. On attend des commissaires une gestion capable de la remettre sur de solides assises financières. Le 4 décembre 1933, le quotidien Daily News de St. John's publie dans son éditorial que tous les citoyens, particulièrement les personnes diligentes et travaillantes, sont reconnaissants de la mise au rancart temporaire de la politique partisane.

Le rapport Amulree déclenche pourtant un débat public sur les caractéristiques de la société de Terre-Neuve et du Labrador. Selon certains, les difficultés économiques et politiques qu'éprouve le dominion trahissent des lacunes importantes dans le caractère de sa population. Le rapport signale la grande candeur des habitants face à des enjeux hors de leurs connaissances. Lord Amulree avance que la classe politique exploite sans vergogne les citoyens, car ceux-ci n'ont pas les compétences nécessaires à une démocratie parlementaire moderne.

Dans les années qui suivent la parution du rapport, des écrivains locaux craignent qu'ailleurs dans le monde, les habitants du dominion fassent figure de crédules, de rétrogrades ou de corrompus. Dans un essai paru en 1937 intitulé « Newfoundland To-day » [Terre-Neuve aujourd'hui], J. R. Smallwood parle du « retard » des habitants et prétend que leur mode de vie traditionnel les a rendus inaptes à des accomplissements créatifs et constructifs. En 1934, un éducateur de St. John's, J. L. Paton, rapporte dans le numéro de mai-juin de la revue International Affairs que peu importe sa destination, il suscite toujours la méfiance, car originaire de Terre-Neuve, il est sans doute malhonnête.

Une insatisfaction grandissante

À ses débuts, la Commission de gouvernement inspire confiance à la population, mais à la fin de 1935, elle n'inspire plus que déception et mécontentement. Le taux de chômage est toujours aussi élevé et le niveau de vie ne s'est pas amélioré. Pire encore, les commissaires agissent dans l'ombre et les citoyens n'ont pas un mot à dire sur l'administration de leur pays. En mai 1935, devant le Colonial Building, des manifestants réclament en vain de l'emploi ou des aliments. En 1939, le nombre de bénéficiaires de l'aide gouvernementale est supérieur à celui relevé au moment de la prise de pouvoir de la Commission en 1934.

Le gouverneur sir Humphrey Walwyn, 1941
Le gouverneur sir Humphrey Walwyn, 1941
Le gouverneur de Terre-Neuve et du Labrador sir Humphrey Walwyn dirige la Commission de gouvernement de ses débuts en 1934 à 1946. Sir Gordon Macdonald lui succède et reste en poste jusqu'au terme de la Commission en 1949.
Photographe inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-191244), Ottawa, Ontario.

La Seconde Guerre mondiale contribue substantiellement à l'essor économique de Terre-Neuve et du Labrador. La construction de bases militaires alliées à St. John's, Botwood, Goose Bay et ailleurs sur le territoire crée des milliers d'emplois locaux qui augmentent les recettes publiques. La venue des armées américaine et canadienne ouvre la voie à l'insertion de la population de Terre-Neuve et du Labrador au sein de la société nord-américaine. Soudain, la grande variété de denrées alimentaires maintenant accessibles et de meilleurs soins de santé embellissent le niveau de vie. Les stations radiophoniques nord-américaines participent à l'évolution des mœurs locales.

En 1945, le pays a retrouvé son autonomie financière et est prêt à accueillir une nouvelle forme de gouvernement. La Grande Crise et la Seconde Guerre mondiale ont transformé la société. De nombreux citoyens ont adopté la qualité de vie nord-américaine et ne veulent d'aucune façon revivre les deux pénibles décennies précédentes. D'autres ne parviennent pas à dissocier gouvernement responsable et corruption. Ils s'inquiètent du retour en force de la pauvreté et du chômage qui escorteraient l'autonomie reconquise.

Fédération canadienne ou gouvernement responsable

C'est dans ces circonstances que la population doit choisir entre un gouvernement responsable et son admission dans la fédération canadienne. Pour les partisans de la Confédération, les programmes sociaux du fédéral offriraient à la population un meilleur filet social que ne le ferait un gouvernement responsable. Pour les opposants, l'autonomie retrouvée permettrait aux citoyens de tracer l'avenir en fonction de leurs intérêts. D'autres recommandent en premier le rétablissement du gouvernement responsable pour négocier sur un pied d'égalité les conditions d'admission dans la Confédération.

Certains se demandent si la population s'intéresse encore à la politique après avoir perdu son droit de vote. Ils font valoir que la Commission de gouvernement ne l'a pas préparée à cette nouvelle autonomie. L'un des plus virulents critiques de l'entrée dans la Confédération, Albert Perlin, écrit dans le quotidien Daily News du 8 mai 1946 que la conscience politique est maintenant au plus bas. Au cours des 12 dernières années, la chose politique n'a suscité aucun intérêt auprès des citoyens. Leur sens politique s'est donc émoussé et cinq années de prospérité ont fini de l'éroder. Ils souffrent d'un sentiment de contentement excessif, dit-il.

Joseph Smallwood, 1948
Joseph Smallwood, 1948
Joseph Smallwood signe l'entente qui admet Terre-Neuve et le Labrador dans la Confédération.
Photographe : Office national du film du Canada. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-128080), Ottawa, Ontario.

Finalement, l'admission dans la Confédération remporte la mise par 6989 votes sur 149 667. Un gouvernement provincial remplace la Commission. Ce résultat engendre pourtant discussions et polémique. Ce débat reste bien vivant de nos jours. Une partie de la presse, de la population et du milieu universitaire s'interroge sur l'incidence de la Grande Crise, de la Seconde Guerre mondiale et de la suspension du gouvernement responsable sur la décision de la population de Terre-Neuve et du Labrador d'adhérer au Canada.

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