Fort Pepperrell, St. John's

Quand les premières troupes américaines sont arrivées dans le port de St. John's, le 29 janvier 1941, des centaines de Terre-Neuviens curieux se sont rassemblés sur les quais en applaudissant et en agitant des drapeaux pour leur souhaiter la bienvenue. Tous ont été vivement impressionnés en voyant l'imposant navire Edmund B. Alexander – le plus grand jamais accueilli à St. John's – franchir le goulet des Narrows avec 1000 soldats à bord.

De leur côté, les Américains étaient impatients de faire la connaissance des Terre-Neuviens et de découvrir leur pays au relief accidenté. De nombreux soldats, qui n'avaient appris que quelques heures au préalable qu'ils allaient devoir construire une base militaire dans ce petit pays et assurer son fonctionnement, n'avaient encore jamais entendu parler de Terre-Neuve. Ils allaient néanmoins passer plusieurs mois sur cette île, loin de leurs amis et de leur famille.

Le navire Edmund B. Alexander, 1941
Le navire Edmund B. Alexander, 1941
Le Edmund B. Alexander est arrivé dans le port de St. John's le 29 janvier 1941 avec environ 1000 soldats américains à bord.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-306.749), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le choix de Pleasantville pour construire la base

En vertu de l'accord concernant les bases cédées à bail conclu avec la Grande-Bretagne en 1940, les États-Unis ont obtenu le droit de construire des bases militaires à Terre-Neuve. Au mois de septembre, cette année-là, un comité composé de membres du personnel de l'armée et de la marine des États-Unis a prospecté l'île afin d'examiner les sites de construction éventuels.

Quelques jours à peine après son arrivée, le groupe a choisi une région à proximité de St. John's connue sous le nom de Pleasantville pour y aménager une base militaire. En tout, les Américains ont demandé 198,36 acres sur la rive nord du lac Quidi Vidi pour établir leur base (nommée ultérieurement Fort Pepperrell en l'honneur de sir William Pepperrell, un soldat anglo-américain qui a dirigé les colons américains lors de la prise de la forteresse de Louisbourg en 1745), 27,57 acres près des White Hills pour un pylône radio et 2,5 acres dans le port de St. John's pour un quai de ravitaillement militaire. Ils ont aussi réclamé environ 2,5 acres de terrain à Signal Hill, notamment pour y installer des canons antiaériens.

Plusieurs raisons justifiaient d'appuyer la décision des Américains d'aménager une base à Pleasantville : la région offrait une grande étendue de terrain relativement plat idéale pour des installations militaires, les collines environnantes facilitaient la défense de la région, St. John's avait un port généralement libre de glace en plus d'abriter le siège du gouvernement, et la construction d'une base aérienne canadienne était en cours, tout près, à Torbay.

Même si l'armée américaine avait embauché des travailleurs de la région pour amorcer la construction de la base en octobre 1940, les quartiers d'habitations n'étaient pas encore prêts quand le Edmund B. Alexander est arrivé à Terre-Neuve trois mois plus tard. Par conséquent, le bateau est resté ancré dans le port de St. John's jusqu'en juillet 1941 et transformé en casernes flottantes pour accommoder les troupes.

Le Camp Alexander, 1941
Le Camp Alexander, 1941
Des tentes dressées dans le Camp Alexander ont servi d'hébergement provisoire aux soldats américains en attendant la construction de casernes permanentes à Fort Pepperrell.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-306.183), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Pendant ce temps, les soldats ont amorcé la construction d'habitations temporaires à Signal Hill et sur 15 acres de terrain à St. John's, à l'ouest de Carpasian Road et principalement au nord de Pine Bud Avenue. Ils ont donné le nom de Camp Alexander à ce site. Le 20 mai, tous les soldats ont enfin pu s'installer sur la terre ferme dans leurs nouveaux quartiers où ils allaient rester jusqu'à ce que des logements permanents soient érigés à Fort Pepperrell.

Les débuts de la construction à Pepperrell

C'est aussi en mai que les travaux ont commencé pour de bon à la base militaire. Les entrepreneurs ont été informés que la base devait pouvoir accommoder 3500 soldats et avoir une aire d'entreposage de 1330 mètres carrés (14 315 pieds carrés), de l'espace intérieur pour 310 véhicules et une aire d'entreposage extérieure de 20 acres. Le site devait également comprendre un hôpital, une centrale électrique, un poste d'incendie, une boulangerie et d'autres installations nécessaires à l'exploitation d'une base militaire permanente.

Le terrain choisi pour la construction de toutes ces infrastructures regroupait environ 25 propriétés privées – des terres arables pour la plupart – et un camp d'internement pour prisonniers allemands construit après que le cargo allemand Christoph V. Doornum eut été saisi à Botwood au début de la guerre et que ses 25 membres d'équipage eurent été faits prisonniers. Tout cela a toutefois été démantelé pour céder la place à la nouvelle base.

Fort Pepperrell, en 1941
Fort Pepperrell, en 1941
La construction à Fort Pepperrell a commencé en mai 1941.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-306.058), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le camp d'internement a été démoli en 1941 et les prisonniers ont été envoyés dans des camps d'internement canadiens. L'expropriation de terres arables sur la rive nord du lac Quidi Vidi s'est avérée plus compliquée, car les propriétaires terriens étaient pour la plupart contrariés de devoir abandonner leur propriété qui leur servait de lieu de résidence et aussi de gagne-pain pour nombre d'entre-eux.

La Commission de gouvernement a garanti à tous les résidants qu'ils recevraient une indemnisation pour leur perte et que leurs sacrifices seraient une contribution inestimable à l'effort de guerre. Toutefois, ces affirmations apportaient peu de réconfort aux familles qui, à l'automne 1940, ont reçu un avis émis par un gouvernement, qu'ils n'avaient pas élu, leur annonçant qu'ils devaient quitter les lieux d'ici 12 mois.

Même si les propriétaires expropriés de St. John's ont généralement obtenu une compensation financière plus importante que les autres résidants de l'île – les terres cultivées de St. John's étaient évaluées à environ 400 $ l'acre tandis que celles de Stephenville et d'Argentia étaient évaluées respectivement à 250 $ et 300 $ l'acre – les propriétaires pensaient généralement que les indemnisations étaient loin de compenser pour le fardeau économique et émotionnel créé par ce déménagement forcé.

En dépit des difficultés que les propriétaires expropriés ont subies, la construction de la base a généré une prospérité économique dont la ville de St. John's avait grandement besoin alors qu'elle n'était pas encore tout à fait sortie des décennies de pauvreté qui ont suivi la Première Guerre mondiale et la Grande Dépression. À l'apogée de la construction, plus de 5000 Terre-Neuviens travaillaient à Fort Pepperrell. Le travail progressait si rapidement pendant les mois d'été et d'automne de 1941 que, dès le 24 novembre, les soldats ont commencé à quitter leurs quartiers temporaires de Camp Alexander pour emménager dans des casernes permanentes à proximité du lac Quidi Vidi.

Les États-Unis entrent en guerre

L'attaque japonaise de Pearl Harbour, le 7 décembre 1941, et l'entrée en guerre subséquente des États-Unis ont modifié considérablement l'échéancier des travaux à Fort Pepperrell. La construction de la plupart des bâtiments permanents – dont plusieurs étaient destinés aux quartiers des officiers – a été reportée tandis que celle des bâtiments temporaires s'est poursuivie. La base devait dorénavant accueillir 5500 soldats au lieu de 3500 et tous les efforts ont surtout porté sur le logement de ceux-ci. Mille soldats de plus ont été affectés à Signal Hill pour prendre en charge quatre canons antiaériens et surveiller la région 24 heures par jour.

Pendant ce temps, à Fort Pepperrell, les soldats se livraient à deux activités principales : l'entraînement et la défense. La plus grande partie de leur temps était consacrée aux exercices de tir, à l'amélioration des techniques de camouflage, à la construction de bunkers à munitions et à divers exercices d'entraînement militaire. Ils étaient aussi affectés aux postes d'observation et à la détection des indices présageant l'avancée de l'ennemi. Bien qu'il n'ait jamais servi à combattre les forces ennemies, Fort Pepperrell a toutefois le mérite d'avoir contribué à ce que la guerre reste confinée à l'Europe.

Le départ de Pepperrell, 1945
Le départ de Pepperrell, 1945
Les soldats américains se préparent à quitter Fort Pepperrell à bord du USS Claxmount Victory en août 1945.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-306.288), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Après la fin de la guerre, Fort Pepperrell a continué de fonctionner avec des effectifs réduits. En 1946, il a pris le nom de Pepperrell Air Force Base (base aérienne de Pepperrell). Sa mission consistait à assurer la sécurité de la localité, à faciliter les opérations du Air Transport Command et à maintenir les communications avec la marine américaine en poste à Argentia et les nations alliées.

En 1958, on a annoncé que la base serait fermée progressivement et l'armée américaine s'est retirée officiellement en août 1961. Le site a repris son ancien nom de Pleasantville et ses 208 bâtiments et installations ont été vendus au Canada pour la somme de 1 $. La zone a été partagée entre les gouvernements fédéral et provincial. Terre-Neuve a pris possession de la plupart des bâtiments situés à l'est de Virginia Waters tandis qu'Ottawa est devenu propriétaire de ceux situés à l'ouest.

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