L'Artillerie royale

Lorsque la guerre a éclaté en septembre 1939, Terre-Neuve-et-Labrador ne possédait pas de force terrestre quelconque, l'empêchant ainsi d'envoyer un contingent outre-mer. Bien que Terre-Neuve ait formé, équipé et entretenu le coûteux Royal Newfoundland Regiment (Régiment royal de Terre-Neuve) pendant la Première Guerre mondiale, cette unité fut démantelée en 1919. Depuis lors, l'économie du pays s'était détériorée au point qu'on ne pouvait pas se permettre d'investir dans une entreprise aussi vaste pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Les recrues de l'Artillerie royale, mai 1940
Les recrues de l'Artillerie royale, mai 1940
Quinze apprentis en communication par signaux et neuf officiers à l'extérieur de la caserne Redford à Bollington.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 217 3.04.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

L'Artillerie royale britannique a plutôt choisi de recruter et d'entraîner quelque 2343 volontaires de Terre-Neuve-et-Labrador à ses propres frais. Ces hommes formaient deux bataillons – les 57th et 59th Heavy Regiments (Newfoundland). Le premier bataillon a combattu en Afrique du Nord tandis que le deuxième a défendu les côtes de la Grande-Bretagne pendant trois ans avant d'aller se battre en France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne.

Les débuts du recrutement

Peu de temps après le début des hostilités, la Commission de gouvernement a pressé Londres d'entreprendre le plus rapidement possible le recrutement de plusieurs Terre-Neuviens et Labradoriens dans les forces armées. À l'automne 1939, le bureau de la Guerre (British War Office) a accepté d'admettre au sein de l'armée régulière des hommes qui seraient engagés pour au moins sept années de service, mais cette décision a été critiquée par la presse terre-neuvienne, qui réclamait plutôt que les volontaires soient engagés uniquement pour la durée de la guerre.

En décembre 1939, après environ deux mois de négociations, la Commission de gouvernement et le bureau de la Guerre ont convenu de recruter 1375 hommes dans l'Artillerie royale – un corps de l'armée britannique – afin de constituer au moins un régiment terre-neuvien qui serait appelé à servir jusqu'à la fin du conflit. Toutefois, la Commission de gouvernement a reporté le recrutement de plusieurs semaines, car elle ne voulait pas nuire à la campagne en cours visant à enrôler des volontaires dans la Royal Navy. Le 6 février 1940, sir Humphrey Walwyn, gouverneur de Terre-Neuve-et-Labrador, a fait une annonce publique appelant les volontaires âgés de 20 à 35 ans qui pesaient au moins 51 kg (112 lb), mesuraient au moins 1,6 m (5 pi 4 po) et avaient « une bonne santé et une bonne vision ».

La réponse a été enthousiaste et, à la mi-février, plus de 400 hommes s'étaient déjà enrôlés volontairement. Le mois suivant, un comité du personnel militaire britannique est arrivé à St. John's pour enrôler officiellement les recrues et leur donner une formation de base. Le 25 avril, les 400 recrues ont embarqué à bord du Duchess of Richmond, pour se rendre à Liverpool. D'autres contingents ont bientôt suivi et, à la fin de 1940, quelque 1430 Terre-Neuviens et Labradoriens s'étaient enrôlés dans l'Artillerie royale, ce qui excédait largement le contingent initial de 1357 hommes.

Le 57th (Newfoundland) Heavy Regiment

Pendant que le recrutement se poursuivait à Terre-Neuve-et-Labrador, les officiels de l'Artillerie royale en Angleterre s'affairaient à mettre sur pied une nouvelle unité pour accueillir les nouveaux volontaires. Pendant que les 400 premiers hommes arrivaient en Grande-Bretagne, le 57th Heavy Regiment – qui a ajouté le mot « Newfoundland » à sa désignation officielle en mai – était prêt à les accepter dans ses rangs. Le régiment était basé dans le comté du Sussex, dans le sud-est de l'Angleterre, et il était placé sous le commandement du lieutenant-colonel H.G. de Burgh, un artilleur vétéran de la Première Guerre mondiale.

Les recrues de Terre-Neuve-et-Labrador, vers 1940
Les recrues de Terre-Neuve-et-Labrador, vers 1940
Joseph Kearney (à gauche) et John Pike, deux soldats de Terre-Neuve-et-Labrador qui se sont joints à l'Artillerie royale pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collection spéciales (Coll. 217 3.04.004), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Quand les troupes sont arrivées dans le Sussex, de Burgh les a séparées en quatre batteries – A, B, C et D – et a donné le feu vert pour entreprendre les exercices d'entraînement. La routine quotidienne du régiment a toutefois été interrompue rapidement lorsque les forces allemandes ont envahi la Hollande, la Belgique, le Luxembourg et la France au début de mai. Craignant que le sud de l'Angleterre soit attaqué à son tour, les officiels de l'armée ont ordonné au régiment de construire et de surveiller des barrages routiers, de creuser des tranchées et de préparer des emplacements de pièces d'artillerie.

Il a toutefois fallu attendre jusqu'au 5 juin pour que l'unité reçoive ses premiers canons – six obusiers de 9,2 pouces. Semblables à de larges mortiers, chacun de ces canons massifs pouvait lancer 130 kilogrammes d'obus sur une distance maximale de 9 kilomètres. Les batteries A, B et C ont hérité de deux obusiers chacune et, à la mi-juin, la batterie D a reçu deux canons de 6 pouces pouvant lancer 45 kilogrammes d'obus sur une distance de plus de 17 kilomètres.

Pendant ce temps, la Commission de gouvernement continuait d'envoyer des nouvelles recrues en Angleterre et, à la fin de juin, plus de 360 hommes étaient venus grossir les rangs du 57th Heavy Regiment. Ayant excédé les effectifs de 22 officiers et de 773 militaires de divers grades qui avaient d'abord été imposés, le régiment a assumé un rôle opérationnel. Il a ainsi quitté le Sussex pour se rendre à Norfolk et les soldats ont passé l'année suivante à protéger la côte est de l'Angleterre contre une éventuelle invasion ennemie.

Le 166th (Newfoundland) Field Regiment

Au milieu de 1941, la possibilité d'une percée allemande en Angleterre avait considérablement diminué. Le bureau de la Guerre a donc décidé de se concentrer principalement sur les tactiques offensives et son armée de campagne. Par conséquent, l'Artillerie royale a converti divers régiments spécialisés dans la défense en régiments d'artillerie de campagne et, le 15 novembre, le 57th (Newfoundland) Heavy Regiment est devenu le 166th (Newfoundland) Field Regiment [régiment de campagne].

Isaac Saunders, du 166th (Newfoundland) Field Regiment, vers 1940
Isaac Saunders, du 166th (Newfoundland) Field Regiment, vers 1940
Isaac Saunders de Greenspond, Terre-Neuve, a combattu avec le 166th (Newfoundland) Field Regiment pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Société historique Greenspond.

Après une année d'entraînement au cours de laquelle les membres du régiment ont appris comment utiliser leurs nouvelles pièces d'artillerie de campagne de 25 livres et ont reçu une formation en techniques commandos, l'unité a quitté pour se consacrer au service actif en Afrique du Nord. À la fin de février 1943, les troupes étaient engagées dans le conflit en Tunisie, où 24 Terre-Neuviens sont morts au combat. L'artilleur J.J. Flynn, de Norris Arm, est le premier à avoir perdu la vie en Tunisie. Il est mort le 7 avril lorsqu'un obus ennemi a frappé son abri de canon.

À la fin de mai, les forces alliées avaient pris le contrôle de l'Afrique du Nord et commencé à planifier l'invasion de l'Italie. Le 166th s'est joint à la campagne en octobre 1943 et il est resté en Italie jusqu'à l'été 1945. Pendant ce temps, le régiment a combattu aux côtés des autres forces alliées tout le long de la péninsule italienne. Il y a eu plusieurs victimes, mais le régiment a aussi mérité de nombreuses distinctions. Par exemple, en mars 1944, au cours d'une bataille dans les environs de Rome, trois Terre-Neuviens – les sergents M. Sweet et P.A. Jessau ainsi que l'artilleur A. Benoit – ont mérité la Croix de guerre française avec étoile de bronze pour avoir aidé sous les tirs ennemis quatre artilleurs sévèrement blessés d'une unité française qui se trouvait à proximité. Après être venus à leur secours, les trois Terre-Neuviens ont aidé à lancer des obus sur les avions ennemis à l'aide du canon français.

Le 59th (Newfoundland) Heavy Regiment

Pendant que le 166th combattait en Afrique et en Italie, un second régiment terre-neuvien était en service en Angleterre et dans certaines régions de l'Europe de l'Ouest. Pendant l'été 1940, peu de temps après le départ du 166th régiment (qui était encore le 57th à cette époque) du Sussex, l'Artillerie royale a créé le 59th (Newfoundland) Heavy Regiment pour accommoder les contingents successifs de nouvelles recrues de Terre-Neuve-et-Labrador.

À la fin de juin 1941, les membres des quatre batteries du régiment avaient terminé leur entraînement et assumaient un rôle opérationnel de surveillance sur la côte sud de l'Angleterre pour la protéger contre une éventuelle invasion ennemie. Devant l'escalade des hostilités, le bureau de la Guerre est passé d'une approche défensive à une approche offensive. Au milieu de 1942, il a amoindri légèrement le rôle du 59th régiment dans le domaine de la prévention des invasions afin qu'il puisse commencer son entraînement en conduite de guerre offensive.

Reginald Meadus, 59th (Newfoundland) Heavy Regiment, vers 1940
Reginald Meadus, 59th (Newfoundland) Heavy Regiment, vers 1940
Reginald Meadus de Greenspond, Terre-Neuve, a servi avec le 59th (Newfoundland) Heavy Regiment de l'Artillerie royale pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Société historique Greenspond.

Ce n'est toutefois qu'au mois de juillet 1944 que le régiment a pu quitter l'Angleterre pour la France afin de prendre part à la bataille de Normandie. Une fois sur les lieux, les artilleurs ont combattu avec d'autres troupes alliées en utilisant leurs obusiers de 7,2 pouces et leurs canons de 155 millimètres contre les forces allemandes. Le régiment a subit ses premières victimes le 17 juillet alors que l'ennemi a blessé 12 hommes – dont un qui a perdu une jambe – et détruit deux canons.

À la suite de la victoire des Alliés en août 1944, le 59th régiment a progressé vers l'est et a poursuivi les combats en Belgique et aux Pays-Bas avant de se diriger vers l'Allemagne. Les artilleurs du 59th régiment ont tiré leurs dernières salves à Hambourg le 2 mai 1945, deux jours avant que les forces allemandes de la ville aient capitulé.

La fin de la guerre

Peu de temps après le 8 mai 1945, jour de la Victoire en Europe, l'Artillerie royale a pris des mesures nécessaires pour renvoyer les recrues de Terre-Neuve-et-Labrador chez elles plutôt que de les déployer en Extrême-Orient, là où la guerre contre le Japon battait son plein. Le 7 août, le Lady Rodney a quitté Liverpool pout St. John's, avec à son bord un premier groupe de 301 artilleurs. À la mi-octobre, la plupart des recrues étaient rentrées à la maison.

Pendant la guerre, les artilleurs de Terre-Neuve-et-Labrador se sont distingués en tant que soldats braves et dévoués. Leur travail leur a valu maints éloges de la part des commandants. Les membres des deux régiments ont reçu de nombreuses distinctions dont la Croix militaire, la Médaille de l'Empire britannique, l'Ordre du service distingué et la Croix de guerre. Ces années de combat ont toutefois laissé des séquelles. De nombreux hommes sont revenus blessés tandis que 87 sont morts en service. Le 59th (Newfoundland) Heavy Regiment a été démantelé officiellement en août 1945 et le 166th en octobre.

English version