Alfred Valdmanis

L'une des facettes les plus étranges des premières tentatives de diversification de l'économie du gouvernement Smallwood aura été l'implication de l'émigré letton Alfred Valdmanis (1908-1970). Cet économiste a joué un rôle de premier plan dans les affaires et la politique de la Lettonie pendant les années 1930 et il a réussi à survivre aux occupations subies par son pays en collaborant – dans une certaine mesure – avec les autorités allemandes.

À la fin de la guerre, en 1945, Valdmanis était en Allemagne où il travaillait avec les forces britanniques et américaines en tant que consultant réfugié. En 1948, il a quitté ce pays pour aller s'établir au Canada. Il a été professeur invité à l'Université McGill et à l'Université Carleton et conseiller du gouvernement fédéral dans les domaines de l'immigration, du statut des personnes déplacées et du développement industriel.

Alfred Valdmanis, photographie, s.d.
Alfred Valdmanis, photographie, s.d.
À l'arrière de la photographie, on peut lire: « A. A. Valdmanis ». Valdmanis a été directeur général du Développement économique de Terre-Neuve de 1950 à 1953.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 075, 5.05.081), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Directeur du Développement économique général

Le gouvernement Smallwood était à la recherche d'expertise pour aider à mettre en œuvre un plan de diversification économique. C.D. Howe, le ministre fédéral du Commerce, lui a recommandé Valdmanis. Smallwood s'est rendu à Ottawa pour rencontrer ce dernier, puis il est retourné dans la province « […] convaincu qu'il avait trouvé le sauveur de Terre-Neuve ». (Bassler, p. 249) [Traduction libre]

Smallwood était fasciné par la vie de Valdmanis et les histoires qu'il racontait à propos du fait qu'avant la guerre il avait été formé pour devenir le prochain « tsar de l'économie » de la Lettonie. À tout le moins, les « cicatrices de torture soviétique » visibles sur son dos (un officiel allemand les aurait attribuées à une opération qu'il avait subie durant son enfance) témoignaient des épreuves qu'il avait subies au cours de son parcours politique; il devint ainsi un personnage vivement recommandé.

En 1950, Smallwood a offert le poste de directeur général du Développement économique à Valdmanis ainsi qu'un salaire annuel de 10 000 $ – une somme importante à l'époque. C'est Valdmanis lui-même qui a choisi son titre et Smallwood a stipulé qu'il relèverait directement du premier ministre. Selon Valdmanis : « Je n'étais pas un fonctionnaire. Il n'y avait pas de règles, de réglementation ou de contrats. Je devais faire faire mes preuves rapidement afin que nous puissions réussir tous ensemble. » (Bassler, p. 250) [Traduction libre]

En 1951, Valdmanis a demandé (et reçu) un salaire encore plus élevé et un budget considérable en affirmant qu'il éliminerait le chômage dans la province. Prétendant que Terre-Neuve avait besoin d'un plan quinquennal pour rattraper le reste du Canada, il a promis de construire des moulins à farine et des fabriques d'aliments pour animaux, une usine de traitement des fourrures, une tannerie, une usine de traitement de l'huile de poisson, une conserverie de poisson, deux usines de papier de 500 tonnes (une au Labrador et l'autre à baie d'Espoir) et une industrie d'aciérage ou de produits chimiques. Ces réalisations viendraient s'ajouter aux fabriques de ciment et de plâtre construites sur la côte ouest entre 1951 et 1953. Smallwood semble l'avoir cru naïvement et il comptait entièrement sur lui.

À l'aide de ses contacts lettons et allemands – et, bien sûr, de l'argent du gouvernement provincial –, Atlantic Gypsum, Atlantic Hardboards, Newfoundland Tanneries, North Star Cement, Superior Rubber et United Cotton Mills avaient déjà tous ouvert leurs portes en 1952, puis d'autres entreprises ont suivi. Mais Valdmanis a commencé à pressentir que des difficultés se dessinaient à l'horizon et il a encouragé Smallwood à mettre fin au programme industriel. Comme le premier ministre ne partageait pas son point de vue, Valdmanis a cessé d'être directeur général du Développement économique en 1953.

Une autre cause de friction concernait le comportement de Valdmanis dans le cadre de ses fonctions de président de la Newfoundland and Labrador Company (NALCO), une société d'État qui avait la tâche de trouver des acheteurs pour les fabriques de ciment et de plâtre en plus d'encourager le développement des ressources naturelles de la province. Smallwood était notamment furieux de la décision de Valdmanis d'ouvrir un bureau de la NALCO à Montréal et il était également irrité de constater que la NALCO semblait tarder à obtenir des résultats concrets. Il a obligé Valdmanis à « se retirer » de la NALCO au début de 1954.

Des actes douteux

Il y a toujours eu des doutes au sujet de Valdmanis. Il trouvait des emplois à Terre-Neuve pour certains de ses vieux amis, ce qui ne manquait pas de susciter des querelles au sein du Conseil des ministres. En 1951, le Canadian Jewish Weekly a prétendu que Valdmanis avait joué un rôle important dans le massacre de Juifs en Lettonie, une allégation qui menaçait de traîner l'Assemblée législative de Terre-Neuve dans la boue en même temps que lui. Le coup de grâce qui a mis fin à la carrière politique de Valdmanis concerne les accusations voulant qu'il ait reçu des pots-de-vin des constructeurs des fabriques de ciment et de plâtre. Ces accusations ont mené à son arrestation le 23 avril 1954.

Harold Horwood, un ancien membre du Conseil des ministres de Smallwood, a affirmé qu'après avoir été libéré sous caution, Valdmanis a téléphoné à Smallwood pour lui demander un rendez-vous. Smallwood a refusé, car il se sentait trahi personnellement, lui qui avait mis toute sa confiance en Valdmanis.

Valdmanis a été reconnu coupable et condamné à quatre ans de prison (il a purgé 27 mois). Apparemment, Smallwood n'était pas heureux que Valdmanis ait reçu un traitement indulgent en prison et il a refusé d'appuyer sa demande de liberté conditionnelle. Après sa libération, Valdmanis a occupé des emplois dans des entreprises établies dans la partie continentale du Canada. Le 11 août 1970, il a été tué dans un accident de la route près d'Edmonton, en Alberta. En entendant la nouvelle, Smallwood a mentionné que Valdmanis était « une figure à la fois brillante et tragique ». (Bassler, p. 380) [Traduction libre]

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