Organismes innus et revendications territoriales

Le peuple innu du Labrador fonde en 1976 l'organisme Naskapi Montagnais Innu Association (NMIA) afin de mieux protéger ses droits, son territoire et son mode de vie face à l'exploitation industrielle et aux pressions extérieures. Cet organisme devient ensuite la Innu Nation en 1990. Maintenant organe directeur des Innus du Labrador, la Innu Nation obtient pour ses membres en 2002 le statut d'Indien inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens du Canada. La Innu Nation est actuellement en pourparlers avec les gouvernements fédéral et provincial pour la résolution de revendications territoriales et l'obtention d'une autonomie gouvernementale.

En complément à la Innu Nation, les habitants des collectivités de Sheshatshiu et Natuashish ont choisi d'élire des conseils de bande pour faire connaître leurs besoins et leurs préoccupations. Les chefs de ces conseils de bande font également partie du conseil d'administration de la Innu Nation. Ces trois groupes travaillent souvent en étroite collaboration. La plupart des Innus de la province vivent à Sheshatshiu et Natuashish, mais d'autres habitent à Labrador City, Wabush, Happy Valley-Goose Bay, St. John's, et d'autres collectivités.

L'intervention du gouvernement

Avant le milieu du 20e siècle, il n'y a pas de prises de contact entre le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador et le peuple innu. Contrairement à bien d'autres régions du Canada, les échanges commerciaux entre les peuples autochtones et les colons européens du Labrador ne sont pas suffisamment importants pour justifier l'imposition de mesures législative ou même une présence gouvernementale. Le Labrador se situe bien loin de l'arène politique de St. John's. La prestation de services à des populations éparpillées sur ce grand territoire se serait révélée fort coûteuse et compliquée.

Le gouvernement préfère confier l'administration courante du Labrador aux communautés religieuses et aux sociétés commerciales qui s'y sont installées, principalement les missionnaires chrétiens et la Compagnie de la Baie d'Hudson. Ainsi, vers les années 1930, ce sont les prêtres catholiques établis à Davis Inlet qui approvisionnent les Innus en nourriture et en vêtements. Ils leur procurent aussi d'autres services d'aide sociale. En 1935, la Commission de gouvernement met sur pied une force policière, la Newfoundland Ranger Force, pour faire respecter la loi et l'ordre dans les régions isolées ou rurales, y compris le Labrador. Non seulement les Rangers doivent-ils voir au respect des lois, entre autres celles sur la chasse au gibier, ils doivent également distribuer les allocations d'aide sociale et jouer le rôle d'agents de liaison entre les habitants et le gouvernement.

Des Innus au poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson, 1863
Innu at an HBC Post, 1863
Le gouvernement confie l'administration du Labrador aux communautés religieuses et à des sociétés commerciales.
Dessin de W. G. R. Hind. Tiré de Explorations in the Interior of the Labrador Peninsula, de Henry Youle Hind, vol. 2, Longman, Green, Longman, Roberts, and Green, Londres, 1863, p. 100.

La Confédération

Lors de la Confédération en 1949, la province n'a pas d'organismes responsables des affaires autochtones. Ni réserves ni traités territoriaux avec les Innus, les Mi'kmaq, les Inuit et les Inuit du Sud n'existent. C'est le gouvernement canadien, par l'entremise de la Loi sur les Indiens, à qui revient l'obligation financière de fournir des services sociaux aux peuples autochtones, notamment en santé et en éducation.

Au moment de l'union au Canada, les deux ordres gouvernementaux décident de ne pas appliquer la Loi sur les Indiens dans la nouvelle province. Le gouvernement fédéral affirme que son application priverait en effet les Autochtones du droit de vote, droit dont ne jouissent pas les Autochtones inscrits ailleurs au Canada. Des historiens remettent en question ce prétexte. Ils avancent qu'Ottawa aurait reculé devant les énormes coûts que génèrerait la prestation de services à des populations isolées et disséminées sur le territoire du Labrador.

Le fédéral choisit plutôt de verser à la province le montant réservé aux services offerts aux collectivités autochtones, notamment en santé et en éducation. Dans les années 1960, le gouvernement provincial consacre une partie de ce financement à la construction d'habitations et d'écoles à Sheshatshiu et Utshimassit (Davis Inlet). La fréquentation scolaire devient obligatoire pour les enfants innus. Les parents dont les enfants ne vont pas à l'école risquent de perdre leurs allocations sociales et familiales.

De nombreuses familles innues sont donc forcées de résider dans leur collectivité presque à l'année, même si elles redoutent la disparition de leur mode de vie nomade et l'effritement de leurs relations au territoire. Les parents innus estiment également que le programme scolaire transmet à leurs enfants les valeurs de la société blanche nord-américaine plutôt que les leurs. Ils craignent que les jeunes générations tournent le dos à leurs propres traditions culturelles.

Un Innu non identifié, 1912
Un Innu non identifié, 1912
La province de Terre-Neuve et du Labrador n'a pas d'organismes responsables des affaires autochtones lors de son entrée dans la Confédération. Ni réserves ni traités territoriaux avec les Innus, les Mi'kmaq, les Inuit et les Inuit du Sud n'existent.
Photo de Robert Flaherty. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (C-143635).

S'ajoutent ensuite des préoccupations sur les projets de développement minier, forestier et industriel qui prennent forme sur leur territoire, mais sans leur consentement. Parmi ceux-ci, le plus sérieux est la construction de la centrale hydroélectrique de Churchill Falls, aménagée sur le cours supérieur du fleuve Churchill. Cette entreprise exige l'inondation d'une superficie de milliers de kilomètres au Labrador. L'habitat naturel du caribou et des cimetières innus se retrouvent ainsi sous l'eau. La vie des Innus repose depuis des siècles sur ce territoire, mais le gouvernement provincial ne les consulte pas avant d'ériger un barrage sur le fleuve Churchill.

Les organismes politiques innus

Les Innus comprennent qu'ils doivent s'organiser pour protéger leur territoire, leurs ressources et leur culture contre d'éventuelles menaces. Ils s'allient aux Mi'kmaq et aux Inuit de la province pour fonder en 1973 la Native Association of Newfoundland and Labrador (NANL). Ils s'en séparent trois ans plus tard et forment la Naskapi Montagnais Innu Association, renommé en 1990 la Innu Nation.

La Innu Nation compte environ 2200 membres en 2008. Ces derniers élisent un président et un conseil d'administration chargé de coordonner toutes les activités de l'organisme, politiques, commerciales ou autres. Cet organisme est le porte-parole de tous les Innus dans la défense de leurs intérêts face à des contraintes extérieures. Il prend une part active dans les négociations des revendications territoriales et s'associe à la prestation des services sociaux à ses membres, notamment en matière de santé et d'éducation. L'organisme s'est élevé contre l'entraînement en vol à basse altitude de l'armée de l'air au-dessus des terres innues. La Innu Nation a aussi vivement contesté plusieurs projets industriels qui prenaient forme sur le territoire innu, dont l'aménagement hydroélectrique du cours inférieur du fleuve Churchill, les coupes à blanc, la construction de la route translabradorienne et la mine de nickel de Voisey's Bay.

Les efforts déployés par la Innu Nation ont porté des fruits dans plusieurs domaines. La province et la société Newfoundland and Labrador Hydro ont consenti à son intégration dans l'aménagement du cours inférieur du fleuve Churchill. Les trois parties ont négocié également sa participation minoritaire dans le projet hydroélectrique. De plus, la minière canadienne Inco Ltd. lui verse des redevances sur ses opérations minières à Voisey's Bay. En date de 2007, l'organisme avait reçu quatre millions de dollars de recettes tirées de l'exploitation minière. En 2001, la province a élaboré, avec l'organisme, une entente de collaboration à la planification forestière de la région centrale du Labrador.

Pour leur part, les habitants de Sheshatshiu et Natuashish élisent des conseils de bande pour exprimer les besoins de leurs collectivités. En 2008, le conseil de bande Mushuau de Natuashish se compose d'un chef et de quatre conseillers et celui de Sheshatshiu, d'un chef et de six conseillers. Les deux chefs de bande siègent au conseil d'administration de la Innu Nation.

En 2002, cet organisme et les deux conseils de bande réussissent à faire inscrire les Innus du Labrador au Registre des Indiens du gouvernement fédéral. À titre d'Indiens inscrits, ils ont droit aux divers programmes et services offerts aux Premières Nations du Canada. En 2003 et en 2006 respectivement, le gouvernement fédéral reconnaît les collectivités de Natuashish et Sheshatshiu comme terres de réserve.

Les revendications territoriales

Les peuples autochtones déposent au fédéral et au provincial des revendications territoriales visant à préserver leurs droits sur le territoire et les ressources que leurs ancêtres et eux-mêmes ont exploités et n'ont jamais cédés ni aux colons européens ni aux gouvernements qui se sont succédé. Les négociations liées à ces revendications mettent des années ou même des décennies à aboutir et franchissent plusieurs étapes. Il y a d'abord la conclusion d'un accord-cadre, puis d'un accord de principe, suivi d'un accord définitif et finalement, de la mise en application.

En novembre 1977, la Innu Nation formule une première revendication territoriale sur des terres situées dans la région centrale du Labrador. Le gouvernement fédéral juge incomplète l'information déposée. Il finance des recherches plus poussées de la part de l'organisme afin de lui permettre de renforcer son dossier. En octobre 1990, ce dernier le présente à nouveau. En 1996, il débouche sur un accord-cadre.

En date de 2008, les négociations en vue d'un accord de principe suivaient leur cours entre la Innu Nation et les instances fédérales et provinciales. En 2006, et toujours lié aux négociations territoriales, l'organisme avait aussi entamé des discussions avec les deux ordres de gouvernement pour l'obtention de l'autonomie gouvernementale.

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