La pêche française au 19e siècle

La Révolution française et les guerres napoléoniennes ont causé une interruption de la pêche française à Terre-Neuve. Lorsque la paix est enfin revenue en 1815, les Français ont pu bénéficier à partir de 1816 des droits qu'ils avaient acquis avant ces années de conflits. La situation est redevenue semblable à ce qu'elle était en 1792. L'archipel français de Saint-Pierre et Miquelon, d'où les Français avaient été chassés, leur a finalement été restitué.

Une vue de la collectivité de Saint-Pierre, s.d.
Une vue de la collectivité de Saint-Pierre, s.d.
Tiré de Voyage à Terre-Neuve, d'Arthur de Gobineau (comte), Tour du Monde, 1863, vol. 7, p. 408.

La pêche sédentaire et la pêche sur les bancs

Comme par le passé, les activités des pêcheurs français étaient partagées entre la pêche sédentaire et la pêche sur les bancs.

Les bateaux affectés à la pêche sur les bancs quittaient la France dès le début du printemps pour se rendre à Saint-Pierre où ils faisaient le plein de provisions, particulièrement d'appâts, avant de se diriger vers les Grands Bancs. Les pêcheurs retournaient parfois à Saint-Pierre pour décharger leurs prises qu'ils faisaient sécher sur le rivage et ils en profitaient pour s'approvisionner avant de retourner pêcher. Plus rarement, le poisson était salé à bord dès qu'il était capturé sur les bancs. À la fin de la saison, les prises étaient ramenées en France ou exportées.

Les bateaux destinés à la pêche sédentaire quittaient la France à peu près au même moment et voyageaient vers la côte de Terre-Neuve pour y jeter l'ancre pour toute la durée de l'été. La pêche se faisait à l'aide de petits bateaux près du littoral et les poissons étaient mis à sécher sur le rivage dès qu'on les sortait de l'eau. À la fin de la saison, on ramenait le poisson séché en France ou on l'exportait dans d'autres pays.

Rue de Paris à Saint-Pierre, s.d.
Rue de Paris à Saint-Pierre, s.d.
Dessin de Le Breton, d'après une photographie.
Tiré de Voyage à Terre-Neuve, d'Arthur de Gobineau (comte), Tour du Monde, 1863, vol. 7, p. 412.

Les habitants des colonies et les Français

Même si les droits acquis par la France après 1815 étaient théoriquement les mêmes qu'en 1792, la situation avait changé considérablement sur la côte. Un nombre important de colons anglais s'étaient installés sur l'île de Terre-Neuve, notamment entre Cape St. John et Cape Ray, une région où les droits des Français étaient en vigueur. Les Français se sont particulièrement objectés à la croissance des collectivités de la côte ouest telles que St. George's et Codroy de même qu'à la dispersion des colons le long de la côte nord-est. La concurrence qui régnait entre les colons anglais et les Français allait perdurer jusqu'à la fin du siècle malgré les fréquentes tentatives diplomatiques visant à régler les différends.

Un de ces efforts diplomatiques aura été la proposition de la Convention de 1857 entre la Grande-Bretagne et la France, laquelle aurait accepté l'existence d'un certain nombre de collectivités anglaises le long du French Shore de Terre-Neuve (la côte française, aussi appelé le Treaty Shore) et compensé la France pour cette perte en lui donnant accès à la côte du Labrador.

Cette proposition a toutefois été refusée par Terre-Neuve et n'a jamais pris effet. Tout au long de ce siècle, les Français ont affirmé que les Anglais n'avaient aucun droit de pêche sur la côte française de Terre-Neuve tandis que ces derniers prétendaient qu'ils pouvaient pêcher à condition de ne pas interférer avec les activités de pêche des Français. Sur de nombreux sites, les Français employaient des gardiens anglais pour surveiller leurs installations pendant leur absence en hiver. Ces gardiens avaient des familles et leurs enfants ont eu des familles à leur tour, ce qui n'a pas aidé à régler le problème de cohabitation.

Le gouvernement français accordait une subvention ou une prime aux propriétaires de bateaux qui amenaient leur équipage à Terre-Neuve. Cela lui garantissait d'avoir une bonne réserve d'hommes entraînés à bord de navires à voiles qu'il pourrait recruter dans la marine si une guerre venait à éclater. Les marchands de Terre-Neuve dénonçaient le fait que les marchands français étaient leurs concurrents sur les marchés internationaux et que les Terre-Neuviens ne bénéficiaient pas de ce type d'avantage financier préférentiel.

Cette situation a continué d'en irriter plusieurs. Au même moment, la technologie était en plein essor : au milieu du siècle, avec l'apparition de navires militaires fonctionnant à la vapeur, il était de moins en moins nécessaire d'avoir une réserve de marins pour les navires à voiles, mais les subventions du gouvernement français demeuraient toujours en vigueur.

Plus tard au cours du 19e siècle, surtout dans les années 1880, la pêche au homard est devenue un autre sujet de conflit diplomatique. Des colons et des marchands anglais avaient installé des usines destinées à la mise en conserve du homard, ce qui a entraîné des protestations vigoureuses de la part des Français. Ils affirmaient que ces usines nuisaient à leurs activités de pêche à la morue parce qu'elles avaient été installées sur des sites de choix le long du littoral et que leurs déchets polluaient les eaux. Lorsque les Français ont installé des usines de homard à leur tour, les Anglais ont déclaré qu'ils n'avaient pas le droit de le faire puisque le homard n'est pas un poisson et que leurs droits se limitaient à pêcher et à faire sécher le poisson.

La Loi sur les appâts (Bait Act) de 1886 a également suscité la colère des Français parce qu'elle leur interdisait d'exporter des appâts. Cette loi visait la vente d'appâts (capelans ou hareng frais) pêchés à Terre-Neuve par des Terre-Neuviens puis vendus à des bateaux de pêche français. Les Français avaient toutefois le droit d'utiliser des appâts salés rapportés de France, mais cette loi n'a jamais vraiment été en vigueur. La nécessité étant la mère de l'invention, lorsque l'approvisionnement en capelans et en harengs a été coupé, les pêcheurs français ont découvert que le bulot, un petit mollusque abondant sur les Grands Bancs, était un autre appât de choix qu'ils étaient autorisés à pêcher sans contrainte.

Des pêcheurs de la baie Fortune en pleine violation de la loi sur les appâts
"Des pêcheurs de la baie Fortune en pleine violation de la loi sur les appâts" [Traduction libre]
En avril 1891, plusieurs douzaines de pêcheurs de la baie Fortune ont enfreint la Loi sur les appâts en franchissant le blocus de bateaux terre-neuviens.
Dessin de Charlie W. Wyllie, 1892. Tiré de Black and White, volume 3, numéro 59, p. 361 (19 mars 1892). Avec la permission de Kurt Korneski, 2018. Les informations sur le blocus sont tirées de A Great Want of Loyalty to Themselves: The Franco-Newfoundland Trade, Informal Empire, and Settler Colonialism in the Nineteenth Century, de Kurt Korneski, Journal of World History, volume 29, numéro 2, juin 2018, p. 145-183..

L'Entente cordiale

Pendant que la colonie anglaise continuait de grossir sur la côte française de Terre-Neuve, le nombre de bateaux français affectés à la pêche sédentaire a connu un déclin spectaculaire au cours de la seconde moitié du siècle. En 1890, il ne restait plus que quelques bateaux même si on continuait de pêcher de manière très active sur les bancs. La situation était désormais suffisamment mûre pour régler des disputes coloniales de longue date grâce à des négociations officielles. En 1904, les différents ordres de gouvernement instaurent l'Entente cordiale stipulant que la France renonçait à tous ses droits de pêche sur les côtes de Terre-Neuve en échange de quoi on lui rétrocédait l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon et lui accordait le droit de pêcher dans les eaux de Terre-Neuve.

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