L'exploration au début du 20e siècle

Pendant la première moitié du 20e siècle, l'exploration des territoires de Terre-Neuve et du Labrador a été moins importante qu'aux siècles précédents. Les aventuriers et les géologues en provenance de l'Amérique du Nord et de l'Europe viennent au Labrador en explorer l'arrière-pays vaste et méconnu. L'île, elle, sert de point de départ à quelques-uns des premiers vols transatlantiques.

Mina Hubbard, 1905
Mina Hubbard, 1905
L'aventurière Mina Hubbard se rend au Labrador à l'été 1905 à la tête d'une expédition qui part de la rivière North West à destination de la baie d'Ungava. Elle le fait en l'honneur de son mari Leonidas décédé en tentant de réaliser le même exploit deux ans plus tôt.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 241 07.03.009), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le Labrador suscite aussi bien l'intérêt d'explorateurs étrangers que celui d'explorateurs du pays qui collaborent à la cartographie des territoires nordiques de la planète. Parmi les plus réputés, le capitaine au long cours Robert (Bob) Bartlett reconnu mondialement pour sa participation aux expéditions de Robert Peary au pôle Nord, ainsi que pour son exploration de l'Arctique pendant de nombreuses années.

La cartographie de l'arrière-pays du Labrador

De la fin du 19e siècle au début du 20e siècle, les travaux du géologue canadien Albert Peter Low et du géographe finlandais Väinö Tanner approfondissent les connaissances sur le Labrador. En 1937 et 1939, Tanner se rend au Labrador pour en étudier la géologie et la géographie, et pour en observer la flore et la faune, dont font partie ses habitants. Le financement que lui accordent les gouvernements de la Finlande et de Terre-Neuve et du Labrador lui permet de terminer ses travaux. Il en publie les résultats en 1944 dans un ouvrage intitulé Outlines of the Geography, Life and Customs of Newfoundland-Labrador [Compte rendu de la géographie, de la vie et des coutumes à Terre-Neuve-Labrador]

Albert Peter Low explore l'arrière-pays du Labrador au cours des décennies précédentes et en trace la cartographie. Il découvre aussi dans la partie occidentale d'importants gisements de minerai de fer. Cette découverte sera plus tard l'amorce d'une industrie minière dans cette région. En 1896, il rend compte de ses résultats dans un rapport intitulé Report on Explorations in the Labrador Peninsula along the East Main, Koksoak, Hamilton, Manicouagan and Portions of Other Rivers in 1892-93-94-95 [Rapport sur l'exploration de la péninsule du Labrador le long des rivières East Main, Koksoak, Hamilton, Manicouagan et autres tronçons de rivières en 1892-1893-1894-1895].

Une photographie d'Albert Peter Low de l'inlet Hamilton dans les années 1890.
Une photographie d'Albert Peter Low de l'inlet Hamilton dans les années 1890.
Au cours des années 1890, Albert Peter Lowe explore et cartographie l'arrière-pays du Labrador. Il y découvre d'importants gisements de minerai de fer dans l'ouest du territoire.
Photographie d'A. P. Low. Avec la permission de Bibliothèque et archives Canada (C-000100).

Le territoire situé au nord et à l'ouest de l'inlet Hamilton reste mal connu, et ce, malgré l'exploration minutieuse qu'effectue Albert Peter Low d'une partie du Labrador. Cette méconnaissance agit comme un aimant sur des aventuriers canadiens et américains désireux d'explorer ce qui est, pour eux, l'un des derniers territoires inconnus d'Amérique du Nord. Leonidas Hubbard, Mina Hubbard, Dillon Wallace et George Elson sont parmi les plus célèbres.

L'expédition de 1903 de Leonidas Hubbard

Le 15 juillet 1903, un journaliste américain de 31 ans, Leonidas Hubbard, dirige une petite expédition d'exploration de l'arrière-pays du Labrador. Son point de départ est le poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson sur la rivière North West. Il prévoit pagayer du lac Grand vers l'ouest jusqu'à la rivière Naskaupi, puis sur le lac Michikamau. Il espère ensuite poursuivre vers le nord en longeant la rivière George d'où il pourra observer la migration annuelle des caribous, un phénomène dont aucun homme blanc n'a jamais été témoin. Il entend également entrer en contact avec les Innus qui habitent cette partie du territoire. Si les conditions météorologiques sont favorables, et la saison pas trop avancée, l'expédition se rendra à la baie d'Ungava au nord, sinon elle reviendra à la rivière North West.

Leonidas Hubbard, s.d.
Leonidas Hubbard, s.d.
À l'été 1903, Leonidas Hubbard dirige une petite expédition dans l'arrière-pays du Labrador. Il prévoit partir de la rivière North West pour se rendre à la baie d'Ungava. Il meurt de faim avant d'arriver au but.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 244 07.01.004), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Leonidas Hubbard invite un ami avocat à New York, Dillon Wallace, à l'accompagner. Il engage un Métis, George Elson, bûcheron en Ontario, pour lui servir de guide. Dès le départ, l'expédition est minée par la malchance et diverses bévues. Leonidas Hubbard planifie son trajet d'après les cartes d'A. P. Low. Pourtant d'une grande précision à l'époque, elles indiquent à tort l'écoulement d'une seule rivière dans le lac Grand plutôt que cinq. Les membres de l'expédition confondent donc la rivière Susan avec la rivière Naskaupi. Ils s'égarent une journée à peine après avoir laissé derrière eux la rivière North West. À cette méprise se greffent d'autres problèmes. De mauvaises conditions météorologiques les ralentissent, et le gibier se fait rare. De plus, ni Leonidas Hubbard ni Dillon Wallace n'ont apporté suffisamment de vêtements et de chaussures pour affronter les éléments.

Perdus et poussés par le froid et la faim, ils rebroussent chemin le 15 septembre. Toutefois, l'état physique de Leonidas Hubbard s'altère rapidement. À la mi-octobre, les membres de l'expédition constatent qu'il ne peut plus avancer. Dillon Wallace et George Elson établissent un campement le long de la rivière Susan pour lui. Ils se dirigent ensuite vers l'est. Ils ont l'intention de récupérer une réserve de farine qu'ils ont abandonnée en cours de route, puis de se séparer. George Elson irait chercher de l'aide en gagnant la rivière North West. De son côté, Dillon Wallace retournerait au campement avec une partie de la farine.

Dillon Wallace (à droite) et George Elson, 1903
Dillon Wallace (à droite) et George Elson, 1903
L'avocat new-yorkais Dillon Wallace et le bûcheron métis George Elson font partie de l'expédition mise sur pied en 1903 par Leonidas Hubbard pour explorer l'arrière-pays du Labrador.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 244 08.01.154), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Une semaine plus tard, George Elson parvient à la maison d'un trappeur situé près du lac Grand. Il indique à ses habitants l'emplacement de Leonidas Hubbard. Lorsque les secours arrivent le 30 octobre, il est déjà mort, et Dillon Wallace est désorienté et très affaibli. Cet homme de 77 kg n'en pèse plus que 43. Il a également un pied gangrené. Dillon Wallace et George Elson retrouvent la santé grâce aux bons soins de leurs sauveteurs. Les deux hommes ramènent ensuite le corps de Leonidas Hubbard à New York pour des funérailles qui ont lieu en mai.

En 1905, Dillon Wallace publie un livre qui connaît un grand succès intitulé The Lure of the Labrador Wild [L'attrait de la nature sauvage du Labrador]. Il déclare aussi vouloir y retourner pour terminer le périple amorcé par son ami.

Mina Hubbard

Mina (Benson) Hubbard apprend le décès de son mari le 22 janvier 1904 dans un court télégramme expédié par Dillon Wallace : M. Hubbard est mort le 18 octobre dans l'arrière-pays du Labrador. Elle sombre dans le deuil et espère que le livre de Dillon Wallace rendra hommage à son mari. Pourtant, lorsqu'elle en lit une première version manuscrite en novembre 1904, elle trouve injuste sa description d'un aventurier naïf et incompétent. Elle pense aussi que Dillon Wallace, en organisant une deuxième expédition au nord, cherche à s'approprier la reconnaissance et les éloges qui reviennent à son mari.

Mina Hubbard, en colère, désire mener à terme l'entreprise de son mari. Dans le plus grand secret, elle prépare sa propre expédition. Elle invite George Elson à faire partie de son équipe, tout comme Gilbert Blake, le trappeur qui a secouru Dillon Wallace en 1903. Elle embauche également deux amis de George Elson, Job Chapies et Joseph Iserhoff, tous deux de la région de la baie d'Hudson.

L'expédition de Mina Hubbard, 1905
L'expédition de Mina Hubbard, 1905
À l'été 1905, Mina Hubbard et Dillon Wallace dirigent deux expéditions rivales dans l'arrière-pays du Labrador.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 241 07.01.005), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les deux équipes entament chacune leur expédition le 27 juin 1905 en partant de la rivière North West. Elles veulent arriver à la baie d'Ungava avant la fin du mois d'août, mais par des trajets et avec des moyens différents. Mina Hubbard suit fidèlement l'itinéraire de son mari, tracé en 1903. Elle a prévu du ravitaillement pour toute la durée de l'expédition. Pour sa part, Dillon Wallace entend plutôt suivre une ancienne route de portage innue. Il part avec moins de provisions puisqu'il croit pouvoir se ravitailler en gibier.

C'est l'expédition de Mina Hubbard qui se révèle la plus utile et la mieux préparée. Elle atteint le lac Michikamau le 2 août. Elle peut donc observer la migration des caribous le 8 août. Elle se rend ensuite dans deux campements innus avant son arrivée à la baie d'Ungava le 27 août. De même, elle reproduit plus tard, avec exactitude, les réseaux hydrographiques des rivières Naskaupi et George. Ces cartes sont accueillies favorablement par les sociétés de géographie américaines et britanniques [American et British Geographical Societies]. Elle est l'une des premières à relater par écrit et avec photographies à l'appui la migration des caribous et le mode de vie des Innus. Mina Hubbard publie aussi un compte rendu de son expédition intitulé A Woman's Way through Unknown Labrador [Une femme en terrain inconnu au Labrador].

Dillon Wallace et son équipe se perdent plusieurs fois sur le trajet emprunté. Ils consacrent également beaucoup de temps et d'efforts à chasser leur repas. L'expédition parvient à la baie d'Ungava le 16 octobre 1905, soit sept semaines après celle de Mina Hubbard. Malgré les données que Dillon Wallace fournit sur le territoire situé au nord de la rivière Naskaupi, les sociétés de géographie lui préfèrent celles de Mina Hubbard qu'elles jugent mieux fondées et plus pratiques. Il publie néanmoins un livre sur son expédition, The Long Labrador Trail [La longue piste du Labrador]. Le public à cette époque accepte plus aisément Dillon Wallace dans le rôle d'explorateur que Mina Hubbard, même si son expédition est une réussite. D'ailleurs, Roberta Buchanan signale à la page 27 d'un ouvrage intitulé The Woman Who Mapped Labrador [La femme qui a cartographié le Labrador] que l'exploration est essentiellement une affaire d'hommes au début du 20e siècle. Pour Mina Hubbard, contester cette règle reviendrait à se mettre au ban de la société.

L'aviation à Terre-Neuve et au Labrador

Alors qu'au début du 20e siècle l'arrière-pays du Labrador séduit quelques explorateurs, Terre-Neuve se transforme en attraction populaire pour les pionniers de l'aviation désireux de traverser l'Atlantique par la voie des airs. En avril 1913, le quotidien londonien Daily Mail offre une récompense de 10 000 £ aux personnes qui réussiront le premier vol transatlantique vers le Royaume-Uni à partir du Canada, des États-Unis ou de Terre-Neuve et du Labrador. Le quotidien précise que ce vol sans escale ne doit pas dépasser 72 heures. Terre-Neuve, qui est géographiquement proche de l'Europe, devient un lieu très prisé pour les aviateurs empressés de remporter ce prix.

En mai 1919, le capitaine de corvette de la marine américaine Albert C. Read et son équipage s'envolent de New York en direction de l'Angleterre avec une escale prévue à Trepassey. Même si le capitaine Read ne peut donc pas prétendre au prix de 10 000 £, il accomplit tout de même le premier vol transatlantique au monde. Le mois suivant, le 14 juin, les aviateurs britanniques John Alcock et Arthur Whitten Brown décollent de St. John's et traversent l'Atlantique sans escale. Ils atterrissent en Irlande le lendemain. Les deux hommes touchent la somme promise, et le roi George V les fait chevaliers.

Amelia Earhart, 1932
Amelia Earhart, 1932
L'aviatrice américaine Amelia Earhart réussit le premier vol transatlantique en solo par une femme en décollant d'Harbour Grace à Terre-Neuve, le 20 mai 1932.
Photographe : Ernest Maunder. Avec la permission de Bibliothèque et archives Canada (PA-057854).

Au cours des années suivantes, Terre-Neuve et le Labrador sont le point de mire des aviateurs du monde entier, y compris de l'aviatrice américaine Amelia Earhart qui s'envole d'Harbour Grace le 20 mai 1932 et réussit le premier vol transatlantique en solo par une femme. Elle atterrit en Irlande du Nord 13 heures et 30 minutes plus tard.

Les explorateurs originaires de Terre-Neuve et du Labrador

Si des explorateurs de l'étranger viennent toujours à Terre-Neuve et au Labrador au cours de la première moitié du 20e siècle, un certain nombre d'aventuriers du pays partent explorer d'autres territoires sur la planète. La plupart sont des capitaines de bateau et des marins qui font partie d'expéditions ayant pour mission de cartographier les régions arctiques du globe. Bob Bartlett en est l'exemple le plus célèbre. Capitaine au long cours, natif de Brigus, il acquiert sa renommée internationale grâce à sa participation aux expéditions de Robert Peary au pôle Nord qui s'échelonnent de 1898 à 1909.

Bob Bartlett (au centre), avant 1929
Bob Bartlett (au centre), avant 1929
Ses nombreuses expéditions au pôle Nord, qui se sont étalées sur des décennies, ont valu au capitaine au long cours Bob Bartlett, de Brigus, une réputation internationale. Bien au fait de l'importance scientifique de ses expéditions, il rapporte souvent des photographies, des films et des données scientifiques qui contribuent à une connaissance approfondie de l'Arctique.
Bob Bartlett: Master Mariner, Green, Fitzhugh, G.P. Putnam's Sons, New York, 1929, frontispice.

Bob Bartlett a réalisé plus de 14 expéditions en Arctique à bord de son bateau, Effie M. Morrissey. Son équipage est souvent composé de marins issus de Terre-Neuve et du Labrador. Bien au fait de l'importance scientifique de ses expéditions, il rapporte souvent des photographies, des films et des données scientifiques qui contribuent à une connaissance approfondie de l'Arctique. Avant sa mort en 1946, Bob Bartlett fait don de millions de spécimens en provenance de l'Arctique, comprenant des squelettes de baleine, des échantillons d'eau et diverses variétés de plantes, au Smithsonian Institute, à l'American Museum of Natural History et à d'autres sociétés scientifiques, universités et musées.

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