Le début de la pêche migratoire

Au 16e siècle, l'Europe occidentale cherche à étendre ses activités commerciales au-delà de ses frontières grâce à l'exploration. La France, le Portugal, l'Espagne et l'Angleterre, entre autres nations, établissent des routes commerciales jusqu'en Afrique, en Asie et au Nouveau Monde. Elles espèrent s'enrichir avec le commerce de nouveaux produits, maintenant à leur portée, tels le thé, la soie et les épices de l'Asie, l'or et l'ivoire de l'Afrique, le tabac, les fourrures et autres ressources animales des Amériques.

La carte de Terre-Neuve de Barent Langenes, 1602-1606
La carte de Terre-Neuve de Barent Langenes, 1602-1606
Au 16e siècle, l'Europe occidentale cherche à étendre ses activités commerciales au-delà de ses frontières grâce à l'exploration. La France, le Portugal, l'Espagne et l'Angleterre, entre autres nations, établissent des routes commerciales jusqu'en Afrique, en Asie et au Nouveau Monde. L'abondance de la morue au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador intéresse de nombreux pays européens.
Reproduit avec la permission du Centre for Newfoundland Studies, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

L'abondance de la morue à Terre-Neuve et au Labrador intéresse plusieurs nations européennes. Moins de 10 ans après l'expédition de 1497 de Jean Cabot, des pêcheurs français et portugais, suivis de près par des pêcheurs anglais et espagnols, traversent l'Atlantique chaque printemps afin de tirer profit de cette généreuse ressource. La pêche migratoire est durablement exploitée pendant plus de trois siècles avant de se transformer en industrie de pêche de résidents au cours du 19e siècle.

La morue et l'économie européenne

À l'époque, plusieurs raisons justifient l'intérêt des gouvernements européens pour cette abondance de morue. La France, le Portugal et l'Italie ne peuvent pas fournir à leur population des produits contenant suffisamment de protéines. Leur marché intérieur est en manque de poisson et de viande. La morue représente une bonne source de protéines. Elle se conserve et se transporte bien. De plus, la pêche commerciale fait déjà partie intégrante de l'économie européenne. Les marchands n'ont pas de difficulté à trouver des acheteurs pour leurs importations de morue puisque les circuits commerciaux sont déjà en place.

Pelle à saler
Pelle à saler
Une pelle en bois d'hêtre qui servait à Terre-Neuve et au Labrador à épandre du sel sur le poisson évidé. Trouvée sur le site archéologique de Ferryland dans un bateau du 17e siècle sombré dans le port. La date précise de sa fabrication pourrait toutefois se situer entre 1600 et 1800.
Avec la permission du département d'Archéologie, Memorial University of Newfoundland, St. Johns, T.-N.-L.

Au début du 16e siècle, la prospérité du secteur manufacturier propulse l'économie de l'Europe, et une agriculture florissante entraîne à la hausse sa démographie. L'Europe est alors capable d'absorber de plus grandes importations de poisson. Elle possède les moyens financiers d'envoyer des expéditions vers des zones de pêche lointaines, et la population peut se permettre d'acheter le produit. Les prix grimpent avec la demande. Les marchands et les gouvernements sont déterminés à y répondre. La prospérité en Europe se poursuit jusque vers 1620 et assure le développement de la pêche migratoire.

La création d'emplois liés directement ou indirectement à la pêche migratoire transatlantique renforce également son économie. Les milliers de pêcheurs qui traversent l'Atlantique vers Terre-Neuve et le Labrador sont épaulés par un plus grand nombre encore de personnes associées à la fabrication de filets, d'hameçons, de tonneaux, de sel et d'autres articles utilisés dans la capture, la transformation et le conditionnement du poisson. Des entreprises marchandes recrutent des représentants pour vendre la morue sur le marché national et les marchés étrangers. Aux avantages économiques que procure la pêche migratoire à la morue, la possibilité de pourvoir leurs flottes de navires de matelots expérimentés est tout aussi intéressante pour les gouvernements européens.

Les principaux pays

La pêche migratoire s'est échelonnée sur 300 ans, mais les pays qui y ont pris part n'ont pas toujours été les mêmes à dominer cette activité. La France prédomine aux 16e et 17e siècles. L'Angleterre s'impose peu à peu jusqu'à régner au 18e siècle. La participation périodique des pêcheurs saisonniers du Portugal et de l'Espagne n'a jamais atteint celle des pêcheurs français et anglais à leur apogée.

Cette prédominance, la France la doit principalement à la situation géographique de ses ports, son marché intérieur et ses marchés étrangers de la morue, ainsi qu'au savoir-faire de ses pêcheurs habitués à pêcher la morue dans la mer du Nord. La majorité des pêcheurs sont originaires de la Bretagne ou de la Normandie au nord-ouest de la France. Ces régions sont idéalement situées pour faciliter l'exploitation des zones de pêche de Terre-Neuve et du Labrador. Dès1508, des bateaux de pêche bretons et normands, toujours plus nombreux, traversent chaque année l'Atlantique.

Les ports français d'où partent les pêcheurs saisonniers
Les ports français d'où partent les pêcheurs saisonniers
La France domine la pêche migratoire transatlantique pendant les 16e et 17e siècles.
Illustration de Tina Riche, 1997.

Les pêcheurs portugais, moins nombreux que les pêcheurs français, participent également à la pêche migratoire. Après 1540, les pêcheurs basques, venus du nord de l'Espagne, sillonnent fréquemment les eaux de Terre-Neuve et du Labrador. La guerre anglo-espagnole y met fin au début du 17e siècle. De 1585 à 1604, ces hostilités monopolisent toutes les ressources navales de l'Espagne. Cette nation ne dispose plus de bateaux et de pêcheurs pour poursuivre la pêche migratoire outremer.

Au cours du 16e siècle, de juillet à janvier, les baleiniers basques de France et d'Espagne viennent chasser la baleine noire de l'Atlantique Nord et la baleine boréale dans le détroit de Belle-Isle. Les havres du sud du Labrador, dont celui de Red Bay, hébergent la plupart d'entre eux. Jusqu'à 30 navires arrivent chaque année au Labrador avec à leur bord un équipage pouvant atteindre 130 hommes. L'affaissement de la population de baleines explique en partie la fin, au début du 17e siècle, de cette activité très profitable, ce qui incite les Basques à se tourner massivement vers la pêche.

Pendant une bonne partie du 16e siècle, les pêcheurs anglais sont peu présents dans l'industrie de la pêche migratoire. Contrairement à la France, les principaux ports de pêche de l'Angleterre se situent sur la côte nord-est du pays. La mer du Nord est à leur porte, mais non Terre-Neuve et le Labrador. En ce qui concerne la morue, les marchés anglais sont également moins importants. La pêche dans les eaux intérieures et en Islande suffit à la demande.

Les ports du sud-ouest de l'Angleterre

L'approvisionnement des marchés méditerranéens en morue connaît une forte baisse avec le repli de l'Espagne. Cette situation offre de nouvelles avenues aux marchands étrangers qui font le commerce du poisson. Les circonstances jouent en faveur de l'Angleterre à cette époque. Le gouvernement danois impose de nouveaux droits de permis et la présence des pêcheurs de morue anglais en Islande diminue considérablement après 1580. Terre-Neuve et le Labrador sont donc dans la ligne de mire des pêcheurs et des marchands anglais. La décroissance de l'activité des ports de la côte nord-est profite alors aux ports du sud-ouest de l'Angleterre.

Le nombre de pêcheurs anglais à Terre-Neuve et au Labrador se multiple avec l'ouverture de nouveaux marchés en Méditerranée et la situation géographique favorable des ports du sud-ouest de l'Angleterre. Le trajet des bateaux de pêche, qui lèvent l'ancre à partir des ports de cette région, est plus rapide que celui de leurs rivaux français. Ils peuvent alors occuper les meilleures zones de pêche et les campements les mieux situés, ce qui se révèle un énorme avantage.

Au début du 17e siècle, la France et l'Angleterre sont les deux principaux compétiteurs dans la pêche migratoire, mais les pêcheurs français sont deux fois plus nombreux que leurs concurrents anglais. Cette situation persiste pour la majeure partie du siècle. Leurs lieux de pêche et leurs méthodes de transformation du poisson ne sont pas les mêmes, minimisant ainsi les possibilités de conflit. Les deux groupes préfèrent des régions distinctes : les pêcheurs anglais se concentrent sur la péninsule d'Avalon et la baie de Bonavista, et les pêcheurs français se tiennent surtout sur les côtes septentrionale et méridionale de l'île ainsi que dans les baies de Plaisance (Placentia) et Fortune. De même, le traitement de la morue diffère. Chez les Français, l'apprêtage consiste en un salage intensif du poisson et sa conservation dans la saumure. Chez les Anglais, la morue est salée puis séchée sur des vigneaux.

La pêche migratoire subit de profonds bouleversements au 18e siècle. Le traité d'Utrecht de 1713 cède Terre-Neuve à la Grande-Bretagne et expulse les pêcheurs français de la majorité de l'île. La France préserve ses droits de pêche saisonnière entre le cap de Bonavista et la pointe Riche, mais le nombre de pêcheurs français ne cesse de diminuer. L'Angleterre augmente graduellement sa flotte de pêche à la morue qu'elle expédie outre-mer tous les printemps. Finalement devenue incontournable dans l'industrie de la pêche migratoire, elle joue également un rôle de premier plan dans l'évolution socioéconomique et politique de Terre-Neuve et du Labrador dans les décennies qui suivent.

English version