Le tourisme avant la Confédération

L'industrie touristique de Terre-Neuve-et-Labrador a débuté dans les années 1890 à l'époque où les progrès dans le transport ferroviaire et maritime ont rendu la colonie plus accessible. Le gouvernement considérait le tourisme comme un moyen de diversifier l'économie, de créer des emplois dans les régions rurales et d'attirer les investisseurs potentiels. Bien que cette industrie ait grandement contribué à l'essor culturel et économique, elle a dû relever de nombreux défis. Le manque de routes adéquates, d'hébergement touristique et d'autres types d'installations est demeuré un problème récurrent bien après la Confédération.

Guide touristique de Terre-Neuve-et-Labrador, 1912
Guide touristique de Terre-Neuve-et-Labrador, 1912
Guide d'attractions à Terre-Neuve pour les sportifs, les touristes et les individus à la recherche d'une vie saine. St. John's, Reid Newfoundland Company, 1912. Page de couverture.

Le sous-développement de Terre-Neuve a toutefois contribué à façonner ses campagnes de publicité touristique. La colonie était décrite comme un paradis champêtre où les visiteurs pouvaient profiter de la nature et d'un mode de vue plus simple. Les publicités s'adressaient aux chasseurs de gros gibier et aux pêcheurs à la ligne bien nantis, aux résidents désillusionnés de la classe moyenne et aux Terre-Neuviens expatriés. Des brochures montraient des villages de pêcheurs pittoresques, des paysages majestueux ainsi qu'une faune et une flore abondantes. Beaucoup de thèmes en vogue avant la Confédération sont toujours mis en valeur par l'industrie touristique de nos jours.

Bateaux à vapeur, rails et tourisme

Bien avant l'émergence d'une industrie touristique officielle à Terre-Neuve-et-Labrador, des visiteurs de l'Amérique du Nord et de l'Europe venaient sur l'île de temps à autre. Il s'agissait pour la plupart d'hommes riches et cultivés – habituellement des naturalistes, aventuriers, artistes, sportifs et universitaires attirés par la nature sauvage de la colonie et le mode de vie des petits villages isolés. Il a toutefois fallu attendre jusqu'à la fin des années 1890 pour que le gouvernement et les entreprises prennent des mesures pour attirer les visiteurs. Au cours de cette décennie, on a assisté à la mise en service d'un chemin de fer transinsulaire connecté à un service de bateaux à vapeur côtiers et d'un traversier filant jusqu'en Amérique du Nord continentale. Beaucoup de gens pouvaient quitter l'île et y accoster avec une facilité relative.

Train et bateau côtier, après 1897
Train et bateau côtier, après 1897
Photographe inconnu. Photo reproduite avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 24.01.006), Bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University, St. John's, T.-N.-L.

La Reid Newfoundland Company, qui exploitait le chemin de fer, a compris que l'industrie touristique recelait un véritable potentiel économique. Elle a d'ailleurs publié quelques-uns des premiers guides et brochures de la colonie. Beaucoup d'entre eux s'adressaient particulièrement aux sportifs bien nantis en mettant en valeur les terrains de chasse et les rivières à saumon de l'île – des lieux nouvellement accessibles grâce au chemin de fer (souvent sous le contrôle de la Reid Company qui bénéficiait de concessions de terres). Parmi les publications: Chasse et pêche à Terre-Neuve-et-Labrador, leurs attraits pour les touristes et les sportifs (1903) et Attractions de Terre-Neuve pour voyageurs, touristes, personnes soucieuses de leur santé et sportifs (1912). (Traduction libre)

Les journalistes de voyage qui venaient à l'occasion faisaient aussi la promotion de la colonie gratuitement. Le plus connu était Norman Duncan, qui a visité la colonie pour la première fois en 1900 pour faire un reportage sur l'œuvre missionnaire de sir Wilfred Grenfell pour le magazine McClure's consacré à la géographie et aux voyages. Inspiré par son voyage, Duncan est retourné à Terre-Neuve-et-Labrador en 1901 et en 1906 en ayant l'intention d'écrire d'autres livres et essais sur la vie dans les petits villages isolés et ce qu'il appelait « la vraie Terre-Neuve » (cité dans O'Flaherty, page 96).

Le gouvernement a lui aussi soutenu cette industrie. Il considérait le tourisme comme un moyen de diversifier l'économie et de faire connaître la colonie à de riches capitalistes susceptibles d'investir dans les entreprises et industries locales. Il a acheté de la publicité et a adopté une série de lois sur le gibier visant essentiellement à protéger le caribou en tant que ressource touristique, limitant ainsi l'accès à cette importante source de nourriture aux résidents de l'île. La colonie a émis annuellement plus de 100 permis de chasse au caribou au cours de la première décennie du 20e siècle. L'effondrement de la population de caribous dans les années 1920 a toutefois interrompu l'essor du tourisme sportif bien que la pêche au saumon soit restée une importante attraction.

Nature et nostalgie

Deux autres groupes de touristes étaient aussi ciblés : les citadins de la classe moyenne intéressés à se reconnecter avec la nature et les expatriés ayant le mal du pays qui vivaient aux États-Unis et au Canada. Au tournant du siècle, un mouvement de « retour à la nature » a pris naissance en Amérique du Nord et en Europe pour contrer les sentiments d'aliénation et de dépression affectant les citadins – particulièrement les gens d'affaires et les professionnels instruits. Le matériel publicitaire destiné à ce groupe de personnes mettait en valeur les côtes sauvages et les régions rurales de la colonie.

La publicité associait aussi Terre-Neuve à des destinations touristiques bien connues. Terre-Neuve était qualifiée de « Norvège du Nouveau Monde » et on disait que « sa ressemblance avec les Hautes terres d'Écosse était saisissante » (Newfoundland Railway Company, pages 8 et 9). De plus, Terre-Neuve offrait aux visiteurs une expérience unique grâce à son patrimoine culturel particulier et au mode de vie dans les petits villages isolés. Les citadins désabusés retournaient chez eux régénérés et riches de leur contact avec la nature et de leur découverte d'un style de vie plus simple.

Guide touristique: 'Newfoundland: The Norway of the New World', 1929
Guide touristique: Newfoundland: The Norway of the New World, 1929
Newfoundland Railway Company. Newfoundland: The Norway of the New World. St. John's, imprimeur et éditeur, 1929. Détail de la page couverture.

On avait recours à des descriptions semblables d'une Terre-Neuve idéalisée pour inciter les expatriés à revenir y passer leurs vacances. Ces descriptions étaient souvent accompagnées de références à une enfance heureuse et à la vie familiale. L'île était un lieu figé dans le temps où les adultes désabusés pouvaient se replonger dans des temps plus heureux. On les incitait à revenir pour leurs vacances familiales et certains rassemblements occasionnels.

Le premier train transportant des visiteurs de la 'Old Home Week', [Semaine de l'ancienne patrie], 1904
Le premier train transportant des visiteurs de la Old Home Week, [Semaine de l'ancienne patrie], 1904
Photo de James Vey. The Newfoundland Quarterly, vol. 2, no 4, 1904, page 8a.

L'un de ces événements était la Old Home Week [Semaine de l'ancienne patrie], que le gouvernement avait aidé à organiser en 1904. Du 3 au 10 août, environ 600 Terre-Neuviens sont arrivés à St. John's des États-Unis. Des chansons et du matériel promotionnel mettaient l'accent sur la fierté et l'identité de Terre-Neuve. On donnait à la colonie le nom de « patrie » ou de « vieux pays », ce qui contribuait à maintenir des liens affectifs avec les anciens résidents de l'île : « Avalon t'appelle, cherche à attirer ton attention. Fils de Terra Nova, t'appelle-t-elle en vain? » (Traduction libre), demandait le gouverneur sir Cavendish Boyle dans une chanson qu'il avait écrite tout spécialement pour cet événement. Des thèmes similaires axés sur la nostalgie et les liens avec une patrie idéalisée ont été repris lors de campagnes ultérieures. « Je veux que mon fils connaisse et aime Terre-Neuve lui aussi », a déclaré une mère dans une publicité parue dans un magazine des années 1940.

Toutes les campagnes de publicité touristique offraient une vision simplifiée et idéalisée de Terre-Neuve-et-Labrador. La colonie était un lieu à l'écart des problèmes sociaux, politiques et économiques. Les habitants des petit villages isolés étaient accueillants, simples, ouverts et – malgré leur pauvreté – heureux de la place qu'ils occupaient dans le monde. Le paysage était un paradis pittoresque qui n'avait pas été défiguré par le progrès ou les ordures.

Publicité touristique, 1947
Publicité touristique, 1947
Publicité touristique, 1947. The Atlantic Guardian, vol. 3, no 2, 1947, quatrième de couverture.

L'historien James Overton est d'avis que les campagnes de publicité touristique ont fait beaucoup plus qu'attirer les touristes et leurs dollars dans la colonie – elles ont aidé à définir sa population et à façonner son patrimoine culturel. « Une version particulière de Terre-Neuve a été "inventée" pour les touristes. Mais pas seulement pour les touristes. Les mêmes totems, icônes et images sélectionnés pour les touristes ont fini par être considérés comme des symboles essentiels de l'identité nationale de Terre-Neuve... Dès la fin du 19e siècle, de nombreux auteurs de la région ont commencé à vanter les mérites du peuple de pêcheurs et des paysages de Terre-Neuve. Les idées relatives aux paysages sont devenues des notions fondamentales du statut de la nation. » (Overton Making, page 17).

Le soutien du gouvernement et des entreprises

Les campagnes de publicité aimaient insister sur le fait que Terre-Neuve était un territoire peu développé, mais le manque d'infrastructures a aussi nui au tourisme. Le gouvernement et les entreprises ont bientôt réalisé que l'industrie stagnerait faute de pouvoir compter sur de meilleurs moyens de transport, installations et autres infrastructures. Des efforts colossaux ont été déployés dans les années 1920. Le gouvernement a amélioré et construit des routes en faisant passer le kilométrage de 130 en 1925 à 731 en 1929. Il a aussi érigé et restauré certains monuments historiques.

En 1925, la Chambre de commerce a créé la Newfoundland Tourist Publicity Commission (Commission de publicité touristique), qui a reçu du financement public deux ans plus tard. La commission a ouvert des bureaux d'information touristique à Londres et à Boston, organisé des conférences-promenades avec projections pour promouvoir la culture et l'histoire de l'île, et publié des brochures touristiques. Le nombre de touristes est passé d'environ 5000 au milieu des années 1920 à 8347 à la fin de la décennie. Le ministère des Ressources naturelles a pris le contrôle de la commission en 1935 et l'a reconstituée sous le nom de Newfoundland Tourist Development Board (Bureau de développement touristique).

Des gens d'affaires ont aussi ouvert des hôtels sur l'île. La plupart étaient situés à St. John's dont l'hôtel Commercial, le Cochrane House, l'hôtel Atlantic et l'hôtel Central. En 1926, la société québécoise T.E. Rousseau ltée a ouvert l'hôtel Newfoundland qui comptait 142 chambres. Les coûts élevés d'exploitation et de construction ont entraîné la faillite de l'entreprise en 1931, et l'hôtel a été repris par le ministère des Travaux publics. À ce moment-là, le nombre de chambres d'hôtel avait augmenté partout sur l'île, notamment au Gleneagles Lodge près du lac Gander, au Glynmill Inn et au Humber House à Corner Brook ainsi qu'à l'hôtel Beach Grove à Spaniard's Bay.

L'hôtel Newfoundland, dans les années 1920
L'hôtel Newfoundland, dans les années 1920
Photographe inconnu. Photo reproduite avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 02_05_001), Bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University, St. John's, T.-N.-L.

Le tourisme a subi un recul dans les années 1930 et 1940 à cause de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale. Quand la paix a été restaurée, les Terre-Neuviens expatriés ont continué à être une clientèle assidue pour l'industrie touristique. À ce moment-là, la prospérité de l'après-guerre a favorisé l'essor du tourisme d'aventure auprès de nombreuses familles nord-américaines qui pouvaient soudainement s'acheter une voiture. Le manque de routes et de motels a toutefois empêché Terre-Neuve de profiter pleinement de ce nouveau marché lucratif. Le développement d'infrastructures pouvant répondre aux besoins du tourisme moderne est devenu une préoccupation majeure du gouvernement libéral de Joseph Smallwood dès les premières années suivant la Confédération.

English version