La pêche de la morue au XIXe siècle

La pêche de la morue a été un pilier de l'économie de Terre-Neuve et du Labrador tout au long du XIXe siècle. Elle était menée de trois façons : une pêche côtière, le long des côtes de l'île, une pêche au Labrador et une pêche hauturière, sur les bancs. Des trois, la pêche côtière était la plus ancienne et la plus populaire, prenant racine dans une pêche migratoire anglaise qui remontait aux années 1500. Toutefois, la surpêche de morue au XIXe siècle a forcé le déclin de la pêche côtière. Pour soutenir ses exportations, la colonie a dû: adopter des engins de pêche plus efficaces et étendre ses efforts aux eaux côtières du Labrador et aux Grands Bancs.

Séchage de la morue salée, St. John's, avant 1892
Séchage de la morue salée, St. John's, avant 1892
Le commerce de la morue salée a été un pilier de l'économie de Terre-Neuve et du Labrador tout au long du XIXe siècle.

Reproduit avec la permission de la section Archives and Special Collections (Coll. 137 03.02.003), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

Pêche côtière

Les guerres napoléoniennes et anglo-américaines du début du XIXe siècle ont contribué au remplacement de la pêche migratoire le long des côtes de Terre-Neuve et du Labrador par une pêche menée par des résidents. Avec le déclin des pêcheries de France et des États-Unis entre 1804 et 1815, la morue de Terre-Neuve et du Labrador est devenue plus précieuse sur le marché mondial, ce qui a encouragé un plus grand nombre de pêcheurs anglais et irlandais à y élire domicile en permanence, au lieu de s'y rendre pêcher chaque été en bateau. Ces hommes et ces femmes ont fondé de nombreux villages sur la côte nord-est et de la péninsule Avalon de Terre-Neuve; profitant des perturbations causées par les hostilités à l'effort de pêche des Français, certains allaient aussi pêcher chaque été le long de la « French Shore », cette section de la côte attribuée par traité aux Français.

La pêche côtière était une industrie saisonnière et familiale. Les pêcheurs, ordinairement des hommes, partaient avant l'aube dans de petites embarcations, ramant ou faisant voile jusqu'à des fonds de pêche des alentours. La plupart pêchaient la morue au moyen de lignes à main armées à leur extrémité d'un hameçon appâté de calmar ou de capelan, qu'ils jetaient à l'eau et agitaient de haut en bas pour attirer la morue.

Quand les hommes rentraient à terre, toute la famille aidait à apprêter leurs prises. Mères, épouses, filles et garçons aidaient à étêter, à trancher et à éviscérer le poisson, pour ensuite le saler et à l'étendre au soleil sur des vigneaux de bois. Ce processus de séchage pouvait s'étirer sur plusieurs semaines et la famille devait amener le poisson à l'abri sitôt qu'il pleuvait. Les pêcheurs échangeaient leur morue salée à des marchands en remboursement des engins de pêche et des provisions que ces derniers leur avaient vendus à crédit auparavant.

Séchage de la morue sur des vigneaux, avant 1898
Séchage de la morue sur des vigneaux, avant 1898
La pêche côtière était une industrie familiale saisonnière.

Reproduit avec la permission de la section Archives and Special Collections (Coll. 137 03.07.003), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

Avec la prospérité amenée par les guerres du début du XIXe siècle, la population de Terre-Neuve et du Labrador a presque doublé, passant de 21 975 habitants en 1805 à 40 568 en 1815. Durant cette période, les exportations de poisson de la colonie ont suivi cette tendance, allant de 625 519 quintaux (1 quintal = 50,8 kilos) à 1,2 millions de quintaux. À la fin des hostilités, toutefois, le prix de la morue a connu une chute dramatique et les pêcheurs de la côte se sont vus contraints d'accroître leurs prises ou de se mettre à la chasse au phoque pour compenser leurs revenus moindres et maintenir leurs exportations.

La croissance démographique entraînant une augmentation des prises, les stocks de morue locaux se sont mis à montrer des signes de stress, comme le révèlent les chiffres des exportations de poisson salé : alors qu'il y ait plus de pêcheurs que jamais, les exportations de la colonie, au lieu de connaître une hausse correspondante, ont fluctué tout au long du XIXe siècle. La morue se faisait rare dans certains secteurs où: les gens pêchaient depuis le plus longtemps, notamment dans les baies de la Conception, de la Trinité et Bonavista. Pour compenser, certains pêcheurs ont adopté des engins plus efficaces, notamment les sennes à morue (vastes filets halés par plusieurs bateaux pour encercler des bancs entiers de morues), les lignes de fond, aussi appelés palangres (longues lignes portant des centaines d'hameçons appâtés), les filets maillants (grands filets dans lesquels les poissons se prennent) et les trappes à morue (grands filets stationnaires en forme de boîtes, fixés au fond de l'eau, exigeant un minimum de supervision).

Halage d'une trappe à morue, avant 1901
Halage d'une trappe à morue, avant 1901
Certains pêcheurs côtiers de Terre-Neuve et du Labrador ont commencé à se servir de trappes à morue à la fin du XIXe siècle pour compenser le déclin des niveaux de prises.

Reproduit avec la permission de la section Archives and Special Collections (Coll. 137 24.02.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

Certains pêcheurs ont aussi accru leur effort par secteur, s'éloignant des lieux de pêche situés à l'intérieur des vastes baies de l'île pour aller pêcher au large des caps. Ces pêches en haute mer exigeaient de plus grands bateaux, par exemple des jack boats ou des bully boats (petites goélettes de 25 à 30 pieds de long, jaugeant de 5 à 20 tonnes). Or, les grands bateaux et les nouveaux engins de pêches étaient dispendieux et la majorité des pêcheurs n'avaient pas ces moyens. Ceux qui se servaient des nouveaux équipements prenaient plus de morue en moins de temps que par la méthode traditionnelle de pêche à la ligne à main, accroissant la concurrence dans les lieux de pêche.

Lorsque les nouveaux engins de pêche ont été introduits au milieu du XIXe siècle, nombre de pêcheurs côtiers ont commencé à protester contre leur utilisation. Selon certains, ces engins laissaient trop peu de poisson pour les pêcheurs à la ligne, qui ne pouvaient ni les concurrencer, ni se les permettre; d'autres craignaient que ces nouvelles technologies n'en viennent à épuiser les stocks de morue près des côtes. L'inaction du gouvernement a aggravé le mécontentement des pêcheurs à la ligne dont certains, frustrés, ont fini par se livrer au sabotage de sennes et d'autres engins. Cependant, d'autres pêcheurs se sont résignés soit à adopter les nouveaux engins par la force des choses, soit, faute de moyens, à travailler pour ceux qui les avaient adoptés, convenant que les chances d'emploi sur l'île, hors de la pêche, étaient minces.

La pêche au Labrador

Après la dépression qui a suivi 1815, un nombre croissant de pêcheurs de Terre-Neuve se sont mis à migrer chaque été pour pratiquer la pêche au Labrador. Cette campagne avait deux raisons d'être : tirer avantage des navires utilisés pour la chasse au phoque à une autre période de l'année et préserver le gagne-pain des pêcheurs des baies où: les stocks étaient épuisés. Ceci dit, seuls les pêcheurs qui possédaient des goélettes, des jack boats ou des bully boats (petites goélettes) étaient capables de se rendre dans le nord; ce faisant, ils savaient qu'ils allaient passer des semaines, voire des mois, loin de leurs foyers. Certains se faisaient donc accompagner de leurs familles, tant pour leur tenir compagnie que pour les aider à apprêter le poisson.

Goélettes et barques, s.d.
Goélettes et barques, s.d.
Au XIXe siècle, seuls les pêcheurs terre-neuviens qui possédaient des goélettes, des jack boats ou bully boats étaient capables de se rendre dans le nord pour la campagne de pêche au Labrador.

Reproduit avec la permission de la section Archives and Special Collections (Coll. 137 24.02.022), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

Ces gens de l'île pratiquaient la pêche au Labrador de deux façons : ceux qui se construisaient des abris sur la côte et pêchaient durant la journée dans de petites chaloupes étaient appelés stationers; et ceux qui passaient la saison à pêcher à bord de leurs navires en longeant la côte du Labrador, souvent plus au nord que les premiers, étaient appelés floaters. Ces derniers empilaient le poisson dans le sel et le rapportaient à Terre-Neuve à la fin de la saison pour l'y faire sécher, tandis que les stationers salaient et apprêtaient leur morue sur la rive peu après l'avoir capturée. Chaque méthode avait ses inconvénients : le climat humide du Labrador était peu propice au séchage, tandis que les cargaisons des floaters arrivaient souvent abîmées après le long voyage de retour à l'île.

Après 1860, la pêche sur la côte sud du Labrador ne produisait plus que de faibles quantités de morues. Pour compenser, certains pêcheurs se sont mis à utiliser des engins plus performants, en particulier des trappes à morue, tandis que d'autres sont allés chercher de nouveaux lieux de pêche plus loin au nord. Cette expansion, associée aux nouveaux engins de pêche, a produit pour un temps des prises plus abondantes, permettant à la colonie de maintenir ou d'accroître ses exportations. Selon certains historiens, cette situation aura masqué un déséquilibre écologique entre les pêcheurs et la morue : tant que la découverte de nouveaux lieux de pêche renforçait les exportations, la surexploitation des lieux fréquentés auparavant était rarement sujet de discussion (Cadigan et Hutchings). La pêche au Labrador allait connaître un grave déclin durant les années 1920, et éventuellement cesser pour de bon.

La pêche sur les Grands Bancs

Au gré du déclin de la pêche côtière et de la pêche au Labrador au XIXe siècle, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador a encouragé les pêcheurs à exploiter les Grands Bancs en leur offrant des subventions. Vers le milieu des années 1870, les pêcheurs se rendaient sur les bancs avec des goélettes de bois, des vapeurs phoquiers et divers autres navires jaugeant entre 20 et 250 tonnes. La campagne se déroulait normalement de mars à octobre; ceci dit, ces dates variaient selon le lieu de résidence des pêcheurs. Ainsi, à cause des glaces de mer, ceux de la côte nord-est devaient souvent retarder leur départ jusqu'en avril ou en mai. À chaque saison, les navires effectuaient trois ou quatre sorties jusqu'aux bancs, où: ils s'attardaient plusieurs semaines avant de rentrer à terre.

Une fois sur les bancs, les vaisseaux s'ancraient à un endroit favorable; on mettait alors à l'eau une flottille de doris, petites embarcations où prenaient place de deux à trois marins qui pêchaient la morue au moyen de lignes à main, de turlutes ou de lignes de fond (palangres). Chaque matin, ces pêcheurs s'éloignaient de leur navire-mère à la rame vers divers lieux de pêche et rentraient décharger leurs prises plusieurs fois par jour. C'était eux aussi qui éviscéraient, tranchaient et salaient leur poisson.

Les pêcheurs sur les bancs devaient affronter nombre de dangers. Les goélettes et les autres navires des bancs devaient affronter les tempêtes et le mauvais temps, tandis que les marins sur leurs doris risquaient de s'égarer dans la brume ou les intempéries. Les gros navires océaniques qui fréquentaient aussi les bancs pouvaient, par temps brumeux, faire chavirer ou sombrer des doris et des goélettes. Enfin, les matelots vivaient souvent entassés dans leurs quartiers d'habitation, tandis que blessés et malades devaient normalement attendre le retour au port pour recevoir les soins médicaux appropriés.

La pêche hauturière, rentable tout au long des années 1880, a connu son apogée en 1889, lorsque 4 401 pêcheurs de Terre-Neuve et du Labrador ont ramené plus de 12 millions de kilos de morue. Les prises ont commencé à décliner durant les années 1890 et les débarquements continuèrent de diminuer. En 1920, de nombreuses collectivités avaient cessé pour de bon de participer à la pêche sur les bancs.

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Vidéo: L'industrie de la morue salée au 19e siècle