La situation de la pêche sous le mandat de la Commission de gouvernement

À l'instauration de la Commission de gouvernement en 1934, le secteur de la pêche accueille déjà quelques avancées techniques qui représentent autant de défis à relever que d'occasions à saisir pour l'industrie du poisson salé de Terre-Neuve et du Labrador. Les membres de la Commission de gouvernement, des marchands et sans doute aussi des pêcheurs constatent que cette industrie n'est plus économiquement rentable. Il semble pour plusieurs que l'avenir de la pêche repose sur l'offre d'un produit congelé de grande qualité destiné aux importants marchés de la côte est américaine et du centre du Canada. Le poisson frais congelé semble la solution idéale pour sauver le Dominion de Terre-Neuve, prisonnier d'une industrie apparemment fort ancienne et dont les effets néfastes sur l'économie et la population de l'île disparaîtraient alors.

Inauguration de la Commission de gouvernement, 16 février 1934
Inauguration de la Commission de gouvernement, 16 février 1934
Le gouverneur de Terre-Neuve, Sir David Murray Anderson, prend la parole à l'inauguration de la Commission de gouvernement.
Avec la permission des archives (B 4-137), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Le rôle du gouvernement

La Commission Amulree recommande, dans son rapport, un programme de modernisation (correspondant aux années 1930) du secteur de la pêche, notamment la mise sur pied d'un réseau de coopératives, la présence d'inspecteurs sur les deux plus importants marchés européens (le Portugal et l'Italie) et une baisse du recours au crédit dans les relations marchands - pêcheurs. La Commission de gouvernement juge que son rôle consiste à redynamiser le secteur de la pêche. Pour ce faire, elle doit favoriser la formation de coopératives et se soucier des entreprises de pêche privées, particulièrement celles susceptibles d'endosser l'industrie du poisson frais congelé. Cette démarche semble contredire les propres objectifs de la Commission. Elle devait en effet afficher une préférence pour les coopératives, dont elle confierait la propriété aux pêcheurs. Restreinte dans ses efforts par la Grande Crise qui sévit à l'échelle mondiale, la Commission veut multiplier les capacités du secteur de la pêche. Elle considère comme dépassée une économie fondée sur le poisson salé et entend faire évoluer et professionnaliser l'industrie de la pêche. Elle approuve donc les programmes de formation et de recherche sur la pêche et établit un programme de construction navale. Malgré l'accent mis sur le soutien à l'accroissement de la productivité, les crises économiques qui se succèdent et la faible rentabilité du secteur de la pêche au cours de la Grande Crise ne cessent de mettre des bâtons dans les roues du commissaire aux Ressources naturelles et des responsables de ce secteur d'activité.

La longue agonie de l'industrie du poisson salé

Bien que la Commission se soit engagée à moderniser l'économie de la pêche, celle du poisson salé n'a pas dit son dernier mot. En fait, dans des centaines de collectivités situées dans les zones côtières de Terre-Neuve et du Labrador, des milliers de pêcheurs alimentent depuis très longtemps une microéconomie qui les lie aux marchands et qui les définit socialement. Affectés eux-mêmes par les fluctuations défavorables des devises et les problèmes inhérents à la crise économique, la plupart des marchands de l'île répugnent à modifier leurs pratiques commerciales pour satisfaire aux demandes d'administrateurs non élus siégeant à St John's.

Tonneau d'expédition, vers 1905
Tonneau d'expédition, vers 1905
La morue salée était transportée jusqu'aux marchés dans des tonneaux comme celui-ci.
Extrait de la collection de photographies Job des Archives d'histoire maritime. Reproduit avec la permission des Maritime History Archive (PF-315_135), Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

Des facteurs externes au Dominion concourent aussi à saper le commerce du poisson salé. Ainsi, les marchands doivent composer avec la dévaluation de la livre sterling dans leurs échanges commerciaux, et vendre leur poisson sur les marchés du sud de l'Europe, des Caraïbes et du Brésil en échange de devises à la valeur incertaine. L'économie américaine, qui déploie progressivement ses tentacules dans le monde, pousse les marchands à payer leur approvisionnement en dollars américains. Les familles de pêcheurs des villages côtiers parviennent peut-être à survivre en produisant du poisson salé et séché de médiocre qualité, mais les problèmes monétaires qui s'annoncent et le déséquilibre des flux de capitaux lié au commerce du poisson ne peuvent persister indéfiniment. Les marchés obligataires internationaux s'y opposeront.

La pêche sur les bancs

Dans les années 1930, la pêche sur les bancs de l'île de Terre-Neuve a grand besoin de modernisation. Des équipages de pêche parcourent les bancs du large sur des goélettes pendant de longues périodes, puis reviennent à leur port d'attache. Leur cargaison de poisson salé (mais non séché) est ensuite lavée et séchée. Le produit obtenu ressemble à celui des pêches côtières en petit bateau. Les eaux profondes des bancs conviennent aux bateaux que la Commission préfère, des chalutiers-usines congélateurs. Ces derniers apporteraient leurs prises fraîches aux usines de traitement dans les zones côtières pour conditionnement en produits congelés prêts à l'exportation.

Morue sur les Grands Bancs, 1949
Morue sur un chalutier au large des Grands Bancs, 1949
Reproduit avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada/Office national du film du Canada (PA-110814). Photo : Atlantic Guardian

Plusieurs entreprises, entre autres celle de John Penny and Sons, abandonnent leurs vieilles goélettes de pêche pour ces chalutiers-usines congélateurs modernes. La majorité des entreprises de pêche sur les bancs, installées sur la côte sud, changent peu à peu de vocation et deviennent des fournisseurs d'équipement de chalutiers-usines pour les usines de traitement du poisson congelé. Cette transition se poursuit jusqu'aux années 1950. Les exploitants ne remplacent plus les goélettes et le matériel démodés. Ils optent plutôt pour des programmes de prêts qui leur permettent d'investir dans des navires et de l'équipement neufs. De même au Labrador, le secteur de la pêche itinérante, une lointaine cousine de la pêche en eaux côtières, cesse ses activités au milieu des années 1950 et appartient désormais à l'histoire.

Le poisson frais congelé au secours du secteur de la pêche

La Commission de gouvernement estime démodée l'industrie du poisson salé. Lord Amulree plaide pour une réforme technologique du secteur de la pêche. Selon lui, il faut délaisser le poisson salé, innover et explorer d'autres avenues de conservation et de transport de la morue. La Commission se tourne alors avec enthousiasme vers la production de poisson frais congelé. Elle veut en faire la clé de voûte de l'évolution du secteur de la pêche. L'attrait de la nouveauté technique joue également en sa faveur. Pourtant, la situation ne progresse pas vraiment dans les années 1930. Seuls quelques marchands à l'esprit d'entreprise aiguisé s'informent des nombreuses exigences sous-jacentes à l'industrie du poisson congelé. À l'étranger pourtant, plus particulièrement aux États-Unis, les progrès technologiques en matière de réfrigération vont bon train. Par exemple, vers la fin des années 1930, Clarence Birdseye met au point un procédé de surgélation des filets de poisson. Les aliments surgelés deviennent populaires dans les foyers américains et canadiens. À la même époque, on constate également une augmentation de l'utilisation de glacières et des premiers modèles de réfrigérateur dans les restaurants et les maisons. Tous ces indices laissent présager que les produits congelés sont l'avenir de la pêche à Terre-Neuve et au Labrador.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, la Commission de gouvernement privilégie le poisson congelé comme stratégie de modernisation du secteur de la pêche. Pourtant, le programme de modernisation avance à pas de tortue. L'historienne Miriam Wright n'est pas la seule à signaler que l'industrie du poisson salé s'appuie sur la famille et celle du poisson congelé sur l'organisation industrielle. En conséquence, une modernisation en profondeur de l'économie de la pêche ne peut qu'entraîner un coût social considérable. En 1941, P. D. H. Dunn, le moderniste commissaire aux Ressources naturelles observe l'ampleur grandissante de la consommation de poisson congelé. Il prépare donc un plan de développement pour cette industrie. Sa démarche, comme toutes celles qui l'ont précédée, se bute cependant aux bureaucrates et aux marchands qui tardent à l'adopter. Toutefois, le rapport qu'il présente souligne de manière cruciale l'importance des marchés américains et ceux de la région centrale du Canada dans la modernisation stratégique du secteur de la pêche qui passe par la congélation du poisson.

Au début de la guerre, le nouveau Newfoundland Cold Storage Development Committee réussit une amorce d'exportation des produits congelés. La montée en flèche du nombre d'emplois provoquée par la guerre détourne la main-d'œuvre excédentaire du secteur de la pêche, l'emploi de dernier recours. La gestion de la production est ainsi bien maîtrisée. L'enrôlement et le départ pour la guerre d'un grand nombre de jeunes hommes amènent une baisse des prises et une consolidation des prix.

L'entrepôt frigorifique de Bonavista, après 1939
L'entrepôt frigorifique de Bonavista, après 1939
Cette usine ouvre ses portes en 1939. Il s'agit de la plus vieille usine de transformation du poisson encore debout à Terre-Neuve.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 12.03.013), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

En 1944, Stewart Bates, pour le compte du ministère des Pêches du Canada, publie lui aussi un rapport tout aussi important. Originaire de Nouvelle-Écosse, il connaît bien les problèmes qui nuisent au secteur de la pêche dans la région de l'Atlantique. Il est en désaccord avec la majorité des habitants des Maritimes et de l'île de Terre-Neuve pour qui la faiblesse du marché en constitue le principal problème. Il affirme plutôt que c'est la piètre qualité du produit et les coûts d'exportations élevés qui en sont responsables. Dans son rapport, il recommande d'asseoir l'avenir de Terre-Neuve sur la vente de poisson congelé sur les principaux marchés de l'est des États-Unis et du centre du Canada. La Commission de gouvernement appuie l'octroi de prêts à faible intérêt aux exploitants du secteur du poisson frais congelé pour bien marquer sa prise de position. Le monde des affaires se montre généralement solidaire de ce plan d'action. Certains craignent toutefois que l'industrialisation de ce secteur incite les travailleurs des usines de transformation et de traitement à se syndiquer et à réclamer des hausses salariales. Vers la fin des années 1940, les entreprises ayant choisi l'option du poisson frais congelé conquièrent lentement mais sûrement de nouveaux marchés et améliorent leurs méthodes de production et de distribution. Ces progrès instaurent un climat de collaboration entre le gouvernement et l'entreprise privée. Cette confiance dure de nombreuses décennies malgré les objectifs premiers de la Commission qui visaient plutôt l'implantation de coopératives avec gestion collective.

Salle des machines d'un chalutier, avant 1949
Salle des machines d'un chalutier, avant 1949
Les moteurs à vapeur et diesel se sont répandus tôt durant les années 1900, permettant aux chalutiers (aussi appelés dragueurs) de supplanter les goélettes sur les Grands Bancs.
Reproduit avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (e002713141). Photographe inconnu.

La situation de la pêche après la Seconde Guerre mondiale

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Commission expose son plan de revitalisation du secteur de la pêche. La première étape est la réorganisation de l'industrie en 12 à 15 usines de traitement du poisson strictement réglementées. Le poisson y serait soit congelé, soit fumé, soit salé ou mis en conserve. Ces usines seraient des entreprises exploitées par le secteur privé, mais régies par le gouvernement. La Commission tient à assurer une participation active des pêcheurs dans cette industrie. Le gouvernement britannique exprime des réserves face à ce plan audacieux. Il s'interroge sur l'importance qu'y détiennent les entreprises privées. Il préfère un rôle de surveillance plutôt que de réglementation pour le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador. Par ailleurs, diverses situations détournent l'attention des décideurs politiques et des représentants élus, et ce plan est finalement mis de côté.

La Seconde Guerre mondiale dévaste l'économie de la planète. Le pouvoir économique change de main. La Commission s'inquiète d'un effondrement du prix du poisson après la guerre. En 1947, elle confie donc à des entreprises privées, regroupées dans l'organisme Newfoundland Associated Fish Exporters Limited (NAFEL), les droits exclusifs des exportations de poisson. Sans mandat de développement des marchés, cet organisme privé ne peut compter que sur la bonne volonté de ses membres dans la mise en application de normes de qualité pour les produits de la pêche. Elle n'a pas le pouvoir d'imposer des règles de production uniformes, et ne peut donc pas contribuer à l'amélioration du secteur de la pêche.

Des enjeux constitutionnels prennent le pas sur la réforme de la pêche. Les habitants de Terre-Neuve et du Labrador doivent choisir leur avenir après plus de 10 ans de règne de la Commission de gouvernement. Le plan de modernisation est englouti sous les discours qui déboucheront sur les référendums de 1948. Des choix aussi différents qu'intéressants s'offrent aux citoyens : le maintien de la tutelle avec la Commission de gouvernement, l'autonomie, une ouverture vers les États-Unis ou l'union avec le Dominion du Canada. Les habitants de Terre-Neuve et du Labrador choisissent de justesse le Canada. À l'entrée de la province dans la Confédération en 1949, l'organisme Newfoundland Associated Fish Exporters Limited (NAFEL) reçoit le statut d'organisme fédéral muni de droits exclusifs de commercialisation du poisson salé de la province jusqu'en 1959. Il n'a toujours aucun pouvoir pour améliorer l'industrie du poisson salé cependant.

Bilan

Au cours du mandat de la Commission de gouvernement dans les années 1930 et 1940, deux facteurs indissociables minent l'économie de la pêche à Terre-Neuve et au Labrador. L'industrie du poisson salé, qui perdure depuis 300 ans, se heurte à une économie de plus en plus mondialisée et intégrée, ainsi qu'aux variations des marchés mondiaux des devises. La Commission de gouvernement se trouve donc confrontée à une grave situation : le secteur qui fait vivre la plupart des habitants est en voie de s'écrouler.

Elle présente alors une solution à la fois audacieuse et prometteuse. Elle veut une industrie de pêche techniquement moderne. Elle rejoindrait le secteur des industries primaires telles que l'exploitation forestière. Elle aurait pour assise un schéma organisationnel innovant concentré sur des coopératives soutenues par une gestion professionnelle. La Seconde Guerre mondiale en retarde la mise en œuvre, car la position stratégique de Terre-Neuve et du Labrador dans la zone atlantique en fait un allié incontournable. Le boom économique qui se produit pendant la guerre met en attente la réforme du secteur de la pêche. À la fin de la guerre, d'autres problèmes tout aussi importants surgissent et préoccupent les citoyens. Le secteur de la pêche n'a pas reçu de solution.

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