De nouveaux indices sur Jean Cabot

En 2007, Evan Jones publie un article dans la revue Historical Research sur les étonnantes affirmations de l'historienne Alwyn Ruddock à propos de Jean Cabot. Celle-ci avait travaillé à la rédaction d'un livre qui, selon ses dires, bouleverserait les notions acquises sur ce dernier. Elle est décédée avant la publication de son ouvrage et, dans ses dernières volontés, ordonnait la destruction de ses recherches. Il n'en reste qu'un aperçu de chapitre. Quoique le document n'offre aucune indication sur ses sources, il fournit néanmoins de précieux indices pour un historien comme Evan Jones. Il souhaite par la publication de cet article inciter d'autres historiens à examiner ces affirmations.

Evan Jones, docteur en histoire
Evan Jones, docteur en histoire
Avec la permission d'Evan Jones. ©2013.

Son souhait se réalise. En 2009, Evan Jones et une équipe internationale d'historiens mettent sur pied le projet Jean Cabot qui vise à résoudre le mystère qu'a laissé derrière elle Alwyn Ruddock. Les recherches progressent à bon rythme. En plus de s'attarder à la vérification de la thèse d'Alwyn Ruddock, l'équipe découvre des faits nouveaux sur les expéditions de Jean Cabot et des marchands de Bristol entre la fin du 15e siècle et le début du 16e siècle.

Pourquoi si peu de certitude ?

Malgré sa renommée actuelle, l'explorateur vénitien du 15e siècle, Jean Cabot (Zuan Caboto) reste une énigme. Il s'installe en Angleterre entre 1493 et 1495. Henri VII lui confie la mission de découvrir des terres inconnues. Il dirige une première expédition en 1496 qui se révèle un échec. Il repart l'année suivante et parvient au Nouveau Monde, qu'il croit être l'Asie. Il en explore le littoral pendant un mois, puis retourne en Angleterre. Le roi lui octroie une rente. Jean Cabot effectue une troisième tentative en mai 1498. Il est à la tête d'une flotte de 5 navires.

Nous ignorons tout de ses activités à son arrivée en Angleterre et de la démarche qui a convaincu Henri VII d'appuyer ses expéditions. Personne ne connaît avec certitude le lieu du débarquement de 1497, et nous en savons encore moins sur l'expédition de 1498. L'hypothèse la plus tenace est que Jean Cabot et sa flotte ont péri en mer.

La statue de Jean Cabot à l'extérieur de l'édifice de la Confédération à St. John's, 
T.-N.-L.
La statue de Jean Cabot à l'extérieur de l'édifice de la Confédération à St. John's, T.-N.-L.
Photographie reproduite avec la permission de John McQuarrie ©2013. Tiré de Spirit of Place: St. John's, the Avalon and the English Shore Then and Now, de John McQuarrie, Magic Light Publishing, Ottawa, 2013, p. 69.

Une absence de documentation limite nos connaissances. Au départ, la grande valeur des découvertes de Jean Cabot échappe aux Anglais. Ce dernier cherche une route commerciale vers l'Asie, ses inestimables épices, ses pierres et soies précieuses. En comparaison, ce Nouveau Monde ne semble offrir aucune valeur commerciale de cette envergure. La morue y est abondante, mais à cette époque, le commerce de la pêche avec l'Islande, et en Grande-Bretagne même, satisfait l'essentiel de la demande en morue. Vers la fin du 16e siècle, le gouvernement anglais comprend enfin l'utilité d'établir des colonies. Soudain, les expéditions de Jean Cabot permettent à la couronne anglaise de revendiquer la possession de ce continent.

Le fils de Jean Cabot, Sébastien, s'attribue plusieurs des découvertes de son père et, de ce fait, embrouille les annales historiques. Aux 19e et 20e siècles, des historiens mettent la main sur d'autres documents portant sur Jean Cabot. Pourtant, de nombreuses questions restent en suspens.

Les affirmations d'Alwyn Ruddock

Au moment où Evan Jones publie son article en 2007, les historiens ne connaissent l'existence que de 25 documents. Alwyn Ruddock déclare avoir mis au jour 21 documents supplémentaires qui ébranleront la supposée association entre Jean Cabot et des marchands de Bristol. (Evan Jones, « The Quinn Papers », p. 13) Ses affirmations sont les suivantes :

  • Des investisseurs italiens financent les expéditions de Jean Cabot.
  • Un éminent moine italien, Giovanni Antonio de Carbonariis, facilite une rencontre entre Jean Cabot et Henri VII.
  • Jean Cabot arrive en Amérique du Nord en 1498, accompagné de Giovanni Antonio de Carbonariis et d'un groupe de moines italiens.
  • Giovanni Antonio de Carbonariis et les moines établissent une communauté religieuse à Terre-Neuve, probablement à Carbonear.
  • Jean Cabot explore la côte est de l'Amérique du Nord pendant deux ans. Il navigue jusqu'au Venezuela. Il renonce à poursuivre plus avant lorsqu'il rencontre des explorateurs espagnols. .
  • Jean Cabot revient en Angleterre en 1500 et meurt 4 mois plus tard.
  • En 1499, un explorateur anglais jusque-là inconnu, William Weston, dirige une expédition vers le Nouveau Monde. Il navigue au nord de Terre-Neuve et longe le littoral du Labrador jusqu'au détroit d'Hudson.

Depuis 2007, Evan Jones et son équipe cherchent à corroborer les affirmations d'Alwyn Ruddock et à retrouver ses sources. Leurs efforts ont connu beaucoup de succès.

Les documents Condon

L'une des premières personnes à se joindre à l'équipe est Jeff Reed, un spécialiste de la recherche à la retraite. Il connaissait un collègue très proche d'Alwyn Ruddock, l'historien David B. Quinn. À sa mort en 2002, une bonne partie des lettres et des documents de ce dernier sont cédés à la Library of Congress [la Bibliothèque du Congrès américain]. Jeff Reed propose de les passer en revue. Il constate que de nombreux documents concernent les travaux d'Alwyn Ruddock. D'autres sont associés à une archiviste, Margaret Condon.

Margaret Condon s'intéresse plus spécifiquement à Henri VII. Vers la fin des années 1970, elle découvre deux documents au British Public Record Office (maintenant The National Archives [les archives nationales britanniques]) ayant trait aux expéditions organisées par les marchands de Bristol. Le premier est une lettre d'Henri VII, probablement rédigée en 1499, qui met fin à une action judiciaire contre le marchand William Weston pour lui permettre d'entreprendre une expédition vers la « terre-neuve ». Le deuxième document indique le versement d'un montant de 100 £ à « Hugh Elliot de Bristol et ses associés » en 1502 afin de couvrir une partie des frais d'une expédition vers la « nouvelle île ». Cette compensation provient du roi.

Margaret Condon révèle les résultats de ses recherches à David B. Quinn, qui lui conseille de ne pas les publier avant le lancement du livre d'Alwyn Ruddock. En 2010, Margaret Condon et David B. Quinn dévoilent dans la revue Historical Research. les deux lettres et leur analyse respective. Ils jettent ainsi un nouvel éclairage sur les expéditions des marchands de Bristol. Ils corroborent également une des affirmations d'Alwyn Ruddock: William Weston était bel et bien à la tête d'une expédition vers le Nouveau Monde en 1499. Elle n'avait rien inventé. Ses autres affirmations méritent donc un examen plus approfondi.

Une deuxième affirmation avérée

En 2010, Evan Jones et Margaret Condon font une percée lorsqu'ils visitent la maison d'Alwyn Ruddock. Le bureau de travail d'Alwyn Ruddock est intact sauf pour les documents détruits conformément à sa demande. Dans l'un des cagibis qui lui servaient de classeur, ils trouvent une étiquette autocollante sur laquelle est inscrite la mention « The Bardi Firm of London » [la firme Bardi de Londres]. Cet indice est crucial. En effet, Alwyn Ruddock alléguait la participation d'investisseurs italiens au financement des expéditions de Jean Cabot. Il n'avait pas que des bailleurs de fonds anglais. La firme Bardi était une institution bancaire de Florence ayant une succursale à Londres.

L'étiquette autocollante trouvée dans le bureau d'Alwyn Ruddock par Evan Jones et Margaret Condon
L'étiquette autocollante trouvée dans le bureau d'Alwyn Ruddock par Evan Jones et Margaret Condon
Avec la permission d'Evan Jones ©2013.

Evan Jones et Margaret Condon communiquent ensuite avec Franscesco Guidi-Bruscoli, un historien de l'économie, spécialiste des banques italiennes de la fin du Moyen Âge. Il a entendu parler des affirmations d'Alwyn Ruddock et s'efforçait déjà, vainement, de repérer quelques-unes de ses sources dans les archives personnelles de familles florentines. Il possède maintenant un indice solide. Francesco Guidi-Bruscoli retrouve les registres de la firme Bardi dans les archives d'une célèbre et vieille famille de Florence, la famille Guicciardini. Dans un des grands livres est écrite la mention : « Jean Cabot, de Venise, le 27 avril [1497], est débitée une somme de 10 £ sterling, versés comptant à Lorenzo Morandi pour compléter les 50 pièces d'argent [16 £ 13s 4d] que notre Aldobrandino Tanagli nous a réclamées de lui payer pour qu'il puisse partir et découvrir une nouvelle terre ». [Traduction libre]

Francesco Guidi-Bruscoli, historien de l'économie, avec le grand livre
Francesco Guidi-Bruscoli, historien de l'économie, avec le grand livre
Francesco Guidi-Bruscoli, historien de l'économie, avec le grand livre qu'il a découvert dans les archives de la famille Guicciardini et qui fait le lien entre Jean Cabot et des investisseurs italiens.
Courtesy of Evan Jones. ©2013.

C'est là la preuve que Jean Cabot reçoit du financement de bailleurs de fonds italiens, à l'instar d'autres explorateurs comme Christophe Colomb. Malgré sa brièveté, cette indication ouvre de nouvelles avenues sur la participation européenne aux expéditions de Jean Cabot. Elle soulève également de nouvelles questions souligne Franscesco Guidi-Bruscoli dans la revue Historical Research en 2012. « Pourquoi, par exemple, une banque italienne choisit-elle de financer une expédition ? Qu'espérait-elle en retirer ou qu'en a-t-elle retiré ? » D'autres banques italiennes ont peut-être soutenu financièrement Jean Cabot, mais seul le concours de la banque Bardi est attesté. La découverte de ce grand livre élargit le champ des connaissances sur les expéditions de Jean Cabot. Il propose un autre domaine de recherche et entérine une deuxième affirmation d'Alwyn Ruddock.

Autres sujets de recherche

L'équipe du projet Jean Cabot poursuit son investigation sur les affirmations d'Alwyn Ruddock et les expéditions des marchands de Bristol. Evan Jones et Margaret Condon fouillent de multiples archives anglaises en quête d'un plus grand nombre de documents. D'après le site Web associé au projet, des documents sur l'expédition de 1499 de William Weston sont sortis de l'ombre et tendent à étayer l'hypothèse d'Alwyn Ruddock sur le retour de Jean Cabot en Angleterre au printemps 1500. Un article suivra sous peu.

Aucune autre allégation n'a fait l'objet d'une confirmation. Les plus stupéfiantes touchent l'expédition de 1498. Si elles se vérifient, Carbonear serait la plus ancienne collectivité chrétienne d'origine européenne en Amérique du Nord. Archéologue à la Memorial University, Peter Pope a scruté l'emplacement de cette collectivité pour y déceler les vestiges d'un peuplement européen, mais n'a découvert aucun artefact susceptible d'appuyer l'implantation d'une colonie avant le 17e siècle.

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