Le tourisme après la Confédération

La croissance de l'industrie touristique de Terre-Neuve-et-Labrador s'est poursuivie après la Confédération, mais doucement. Joseph Smallwood, premier ministre de 1949 à 1971, considérait cette industrie comme un moyen de diversifier l'économie, de créer des emplois pour les communautés des petits villages isolés et de promouvoir la province auprès des investisseurs potentiels. Mais il a aussi réalisé que la priorité consistait d'abord à améliorer considérablement la capacité du réseau de transport et de l'hébergement. La province a donc décidé d'entreprendre un programme de modernisation avant d'organiser des campagnes publicitaires destinées aux touristes.

Couverture de la carte et du guide de St. John's publiés à l'occasion du festival 'Come Home Year [Rentrons chez nous]', 1966
Couverture de la carte et du guide de St. John's publiés à l'occasion du festival Come Home Year [Rentrons chez nous], 1966
Exemplaire offert par la Division des Archives et collections spéciales, Bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial Universityl, St. John's, T.-N.-L.

Comme ce fut le cas au cours des décennies précédentes, le principal argument de vente mettait l'accent sur le fait que la province était un territoire peu développé. Les paysages ruraux et la culture des petits villages isolés étaient au cœur des campagnes de publicité destinées aux familles de la classe moyenne désenchantées de la vie en milieu urbain. Les Terre-Neuviens-et-Labradoriens expatriés étaient aussi ciblés par des stratégies de communication similaires à celles utilisées au cours de la première moitié du 20e siècle. Le tourisme culturel a gagné en popularité et des festivals financés par le gouvernement, comme le Come Home Year en 1966 et le Cabot 500 en 1997, ont attiré des dizaines de milliers de visiteurs. Même si ces événements n'avaient pas une envergure internationale, cette industrie est devenue une importante source de revenus et d'emplois à la fin du siècle, particulièrement dans les communautés des petits villages isolés.

Une stratégie de modernisation

L'économie de Terre-Neuve était fragile au moment de la Confédération. L'industrie séculaire du poisson salé était toujours l'employeur le plus important de la province, mais elle avait du mal à défendre sa place dans le monde moderne industrialisé. Le taux de chômage était élevé et le revenu par habitant correspondait à environ la moitié de celui du Canadien moyen. Au même moment, la brève période de prospérité qui a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale avait entraîné une augmentation du niveau de vie supérieur à ce que l'économie d'après-guerre était en mesure d'assurer. Beaucoup de gens ont déménagé dans d'autres provinces dans l'espoir d'y trouver un meilleur emploi et d'autres avantages.

Le gouvernement libéral de Smallwood espérait régler ces problèmes en modernisant l'économie et en la diversifiant grâce à la création de nouvelles industries. Le tourisme était considéré comme une industrie très prometteuse. En 1950, le gouvernement a demandé au directeur de l'Office de tourisme du gouvernement canadien d'Ottawa, Leo Dolan, de faire un examen de l'industrie touristique de la province et de proposer des recommandations susceptibles de favoriser son essor. Dolan a signalé que Terre-Neuve pourrait devenir un « haut lieu touristique pour les voyageurs de toutes les parties du monde » (cité dans Overton, Making, page 27) d'ici 5 à 10 ans si elle parvenait à surmonter trois principaux obstacles.

Premièrement, il fallait développer urgemment l'infrastructure de l'industrie touristique. Il était crucial d'améliorer le transport routier, aérien et par traversier. Il était aussi impératif d'avoir de meilleurs lieux d'hébergement, services de restauration, divertissements, espaces verts, lieux historiques désignés et autres attractions. Deuxièmement, il fallait créer une campagne de publicité efficace pour attirer les voyageurs. Troisièmement, la population locale devait être informée de la rentabilité de cette industrie et formée dans le but de pourvoir aux besoins des touristes – il fallait développer une « conscience touristique ».

Au cours des années suivantes, le gouvernement a énormément investi dans ces différents domaines en grande partie grâce aux fonds fédéraux. Il a nommé un directeur du Développement touristique en 1952 et créé un Office de prêt pour le développement touristique en 1953. L'Office a aidé à payer l'aménagement de nouveaux lieux d'hébergement à Corner Brook, à Trinity et dans d'autres collectivités. En 1965, la chaîne Holiday Inn a annoncé qu'elle allait ouvrir quatre établissements sur l'île, soit à St. John's, Clarenville, Gander et Corner Brook.

Une attention a également été accordée au développement d'attractions touristiques. Le gouvernement a adopté la Loi sur les parcs provinciaux en 1952 et, deux ans plus tard, il a inauguré le parc commémoratif sir Richard Squires près de Deer Lake; d'autres parcs ont été aménagés par la suite. Le premier parc national de la province, Terra Nova, a été inauguré en 1957. La même année, le gouvernement a rouvert le musée de Terre-Neuve (aujourd'hui le musée provincial The Rooms) au centre-ville de St. John's, que la Commission de gouvernement avait fermé en 1934. Signal Hill a été désigné premier parc historique national de la province en 1958, suivi de cap Spear en 1962.

Cap Spear, 2009
Cap Spear, 2009
Photographe inconnu. Photo reproduite avec la permission de Image Services (Dossier: Cape April01 09 026), Mise en marché et communications, Memorial University. © 2012.

Le transport a été amélioré considérablement. À la fin des années 1960, des ponts et chaussées ont remplacé certains des plus petits traversiers, un plus grand nombre de navires ont assuré la traversée du golfe et un service régulier a été mis sur pied entre la Nouvelle-Écosse et Port aux Basques. En 1968, un service de traversier estival a fait la liaison entre Argentia et la Nouvelle-Écosse. Air Canada a offert des vols nationaux et internationaux au départ de St. John's, Gander et Stephenville, avec des vols réguliers vers Halifax, Sydney, Montréal, Toronto, Edmonton et Vancouver. La compagnie locale Eastern Provincial Airways (EPA) a instauré un service régulier à l'intention des passagers entre St. John's, Gander, Deer Lake, les Maritimes et Saint-Pierre et Miquelon. Un événement marquant aura été l'achèvement de la route Transcanadienne en 1965, ainsi que l'aménagement de restoroutes, d'aires de pique-nique et de terrains de camping dans les environs. Le tourisme d'aventure, déjà populaire ailleurs en Amérique du Nord, était désormais à la portée des voyageurs sur l'île.

Prêt à faire des affaires

Le gouvernement a lancé une campagne de publicité coïncidant avec l'inauguration officielle de la route en 1966. La campagne intitulée Come Home Year [Rentrons chez nous] invitait les Terre-Neuviens expatriés et leurs descendants à revenir sur l'île pour voir les nombreuses améliorations effectuées au cours des dernières années. Environ 50 000 visiteurs étaient attendus. Le gouvernement était l'organisateur principal de l'événement. Il a nolisé un traversier additionnel pour assurer la traversée entre la Nouvelle-Écosse et Port aux Basques et a produit toute une gamme de matériel promotionnel dont des brochures d'information et de nouvelles plaques d'immatriculation. Des travailleurs sur le terrain ont organisé des comités communautaires pour aider à la préparation des festivités tandis que les personnes de la région chargées de l'accueil ont suivi une formation sur le thème de l'hospitalité envers les touristes.

L'événement a rapporté des recettes d'environ 45 millions de dollars. Il a marqué le début du nouveau programme de développement touristique de Terre-Neuve où le gouvernement jouait un rôle central. Il a aussi servi de travail préparatoire à l'organisation des futures campagnes de publicité. Terre-Neuve était un endroit où les voyageurs pouvaient jouir du confort moderne tout en profitant de la nature, d'un mode de vie plus simple et de la culture unique des petits villages isolés. « Mais malgré tous ces changements et progrès, nos gens restent toujours les mêmes; amicaux, accueillants, fiers et heureux, les traits qui ont fait notre réputation », affirmait une publicité (cité dans Overton, Coming Home, page 96,).

Le tourisme après Smallwood

Le gouvernement a continué à jouer un rôle clé dans cette l'industrie après l'ère Smallwood. Un ministère du Tourisme provincial a été créé en 1973 et il a pris le nom de ministère du Tourisme et de la Culture en 1993. Les ententes de partage des coûts entre les gouvernements fédéral et provincial ont grandement contribué au développement de l'industrie. Le parc national du Gros-Morne a été inauguré en 1973, le parc historique national de Port au Choix en 1974, et le parc historique national de L'Anse aux Meadows en 1977. De nouveaux parcs provinciaux ont aussi été aménagés.

Un ancien fjord à Ten Mile Pond, dans le parc national du Gros-Morne
Un ancien fjord à Ten Mile Pond, dans le parc national du Gros-Morne
Photo reproduite avec la permission de Wendy Churchill. Photo © 1990.

En 1979, le gouvernement de Terre-Neuve a signé une entente sur le tourisme de 13,2 millions de dollars avec le ministère de l'Expansion économique régionale du Canada (MEER). Cette somme a aidé à restaurer des bâtiments et des maisons historiques, à créer des voyages organisés pour des groupes d'intérêts particuliers, à améliorer les services et lieux de restauration et à payer les campagnes de marketing. À la fin des années 1980, on a procédé à la restauration du phare du cap Spear et à l'aménagement d'un sentier de randonnée pédestre, d'un centre d'interprétation et d'une aire de pique-nique. Plusieurs habitations vikings ont été reconstruites à L'Anse aux Meadows et un centre d'interprétation a aussi ouvert ses portes. Certains villages relocalisés sous le régime Smallwood sont devenus quant à eux des attractions touristiques.

Sur la côte sud-est du Labrador, les fouilles archéologiques ont attiré les touristes à Red Bay, un village de pêcheurs et un ancien site de plusieurs stations baleinières basques du 16e siècle. En 1978, le Service d'archéologie subaquatique de Parcs Canada a entrepris les fouilles de l'épave du baleinier basque San Juan. Par la suite, Red Bay a été désigné lieu historique national, et des centres d'interprétation et d'autres installations touristiques ont été aménagés au cours des années suivantes.

Fouilles archéologiques à Red Bay : une cruche
Fouilles archéologiques à Red Bay : une cruche
Photo publiée avec la permission du Dr Jim Tuck, Memorial University, St. John's, T.-N.-L.

En 1984, le tourisme était le troisième employeur le plus important de la province après la pêche et l'industrie de la construction. Cette industrie employait beaucoup de gens : personnel pour l'hébergement et la restauration, pourvoyeurs, travailleurs des transports, interprètes, guides touristiques, fonctionnaires, artistes, artisans et publicitaires.

Le tourisme culturel a connu une hausse dans les années 1990 alors que la province s'apprêtait à célébrer le 500e anniversaire de l'arrivée de John Cabot en Amérique du Nord. Le gouvernement a investi beaucoup d'argent dans l'organisation de cet événement. Les festivités comportaient des pièces de théâtre, des concerts, des conférences, ainsi que la visite de la reine Élisabeth. L'attraction principale était la traversée entre Bristol, en Angleterre, et Bonavista, à Terre-Neuve, effectuée par une réplique du bateau de Cabot, le Matthew. La province a estimé que 69 000 visiteurs avaient injecté 51 millions de dollars dans l'économie locale, et l'Association américaine des automobilistes a choisi le festival Cabot 500 comme événement touristique le plus important de 1997 en Amérique du Nord. Le gouvernement a soutenu financièrement d'autres événements culturels d'envergure au cours des années suivantes dont le 50e anniversaire de la Confédération en 1999, le Millénaire viking en 2000 et Cupids 400 en 2010 (pour célébrer le 400e anniversaire de l'arrivée de John Guy à Cuper's Cove en 1610). Le tourisme du Labrador a connu une hausse en 2005 lorsque Parcs Canada a inauguré le parc national des Monts-Torngat.

Promouvoir la culture des petits villages isolés

La publicité a toujours été indispensable au succès de l'industrie touristique. Les campagnes de publicité ont évolué avec le temps, mais le message était essentiellement le même : Terre-Neuve-et-Labrador est un lieu figé dans le temps où les touristes peuvent s'évader de leur quotidien. L'accent est mis sur le riche patrimoine, les villages de pêcheurs pittoresques et les paysages majestueux de la province. Elle offre aux expatriés la chance de renouer avec leur enfance et des temps plus heureux. Les citadins peuvent découvrir la beauté et la solitude d'un environnement champêtre tout en vivant un échange culturel avec les habitants sympathiques des petits villages isolés. Contrairement au tourisme de masse proposé par les lieux de villégiature, les parcs thématiques et les bateaux de croisière, la province affirme offrir aux visiteurs une expérience unique et plus authentique.

L'une des critiques à l'endroit des campagnes publicitaires destinées aux touristes est qu'elles idéalisent et dépolitisent la société de Terre-Neuve-et-Labrador. Malgré le sous-développement et le chômage généralisés, les résidents des petits villages isolés sont décrits comme des êtres heureux, généreux, fiers et indépendants. Les conflits de classes et les injustices sociales sont ignorés et remplacés par des images idylliques de gens simples satisfaits de leur sort.

L'industrie a toutefois participé grandement à la revitalisation de l'économie rurale à la suite du moratoire sur la pêche à la morue de 1992. À la fin de la décennie, dans certaines collectivités rurales, le tourisme a remplacé l'industrie de la pêche comme base économique. En 2009, le gouvernement a décrit le tourisme comme l'un des « plus grands moteurs économiques » de la province (Uncommon Potential, page 6). Il estimait que cette industrie représentait 12 730 emplois et que les recettes rapportaient 790 millions de dollars annuellement à l'économie de la province.

Malgré sa croissance importante et l'investissement du gouvernement, l'industrie fait face à plusieurs défis. Le tourisme est extrêmement compétitif et Terre-Neuve-et-Labrador est en concurrence avec de nombreuses destinations internationales. Sa situation géographique éloignée constitue un obstacle important à cause de la distance, du temps de déplacement et des coûts associés au voyage. Finalement, la courte durée de la haute saison freine la rentabilité de l'industrie, tout comme le nombre et la qualité de l'hébergement, des routes et des autres installations à la disposition des visiteurs.

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