Retombées sociales et économiques

La croissance du secteur non maritime durant la première moitié du 20e siècle a contribué à la diversification de l'économie de Terre-Neuve et du Labrador dans des secteurs autres que celui de la pêche. Avec l'ouverture de nouvelles mines, scieries et papeteries, Terre-Neuve a commencé à exporter de grandes quantités de minéraux et de produits forestiers. Son économie, qui dépendait auparavant de l'exportation d'un seul produit, est rapidement devenue basée sur l'exportation de trois produits : le poisson, les minéraux et les produits forestiers.

Mineurs de Buchans, vers 1935
Mineurs de Buchans, vers 1935
L'ouverture de nouvelles mines et scieries a permis à Terre-Neuve et au Labrador de diversifier son économie durant la première moitié du 20e siècle.
Photo reproduite avec l'autorisation du Buchans Miners Museum.

L'expansion du secteur non maritime a permis aux résidents de Terre-Neuve et du Labrador d'occuper des emplois d'une plus grande diversité. Les mines et les usines ont attiré de partout sur le territoire des milliers de travailleurs dont le salaire était payé comptant et non en crédit. Cependant, bon nombre des familles qui s'installaient dans les collectivités industrielles devaient s'ajuster à un nouveau mode de vie. La plupart des entreprises étaient propriétaires des maisons de la collectivité et désignaient les personnes qui pouvaient emménager et les maisons qui leur étaient destinées. Par conséquent, un climat d'oppression régnait dans un grand nombre de ces centres urbains gérés par les entreprises.

Économie diversifiée

Le début du 20e siècle a été une période de grand changement économique pour Terre-Neuve et le Labrador. Le chemin de fer ayant permis un meilleur accès à l'intérieur de l'île durant les années 1890, des entrepreneurs ont commencé à exploiter les ressources forestières et minières de la région. Les mines et les usines de papier ont commencé à s'implanter dans le centre et l'ouest de Terre-Neuve et elles ont bientôt joué un rôle important dans l'économie du pays.

Tout comme le secteur de la pêche, le secteur non maritime est bientôt devenu un important exportateur de Terre-Neuve et du Labrador. Durant les années 1929 et 1930, le volume des exportations de produits forestiers et miniers correspondait à quelque 55 p. cent du volume total des exportations et le volume des exportations de poisson, à quelque 43 p. cent. Durant les cinq années précédant la Deuxième Guerre mondiale, le volume des exportations de produits forestiers a bondi pour atteindre 48 p. cent du volume total des exportations, alors que l'industrie de la pêche et des mines comptait pour 25 p. cent. Pour la première fois depuis des siècles, l'économie de Terre-Neuve et du Labrador ne dépendait pas entièrement de la pêche.

Chargement de minerai de fer, vers 1930
Chargement de minerai de fer, vers 1930
Un navire non identifié prend une cargaison de minerai de fer au quai Scotia, à l'île Bell.
Photographe : S.H. Parsons. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 10.13.001), bibliothèque Reine Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland St. John's, T.-N.-L.

Bien que de nouvelles industries aient aidé à la diversification de l'économie de Terre-Neuve et du Labrador, bon nombre de nouvelles mines et usines étaient la propriété d'entrepreneurs étrangers. À titre d'exemple, Robert Gillespie Reid, un homme d'affaires montréalais, était le propriétaire de la Reid Newfoundland Company qui a construit la plus grande partie du chemin de fer et une usine de papier journal prospère à Corner Brook (l'usine a été vendue plus tard à l'International Power and Paper Company basée à New-York). Deux entreprises de la Nouvelle-Écosse, la Nova Scotia Steel and Coal Company et la Dominion Steel Corporation, étaient propriétaires des mines de fer de l'île Bell pour la plus grande partie de leur existence et deux frères du Royaume-Uni, Alfred et Harold Harmsworth, étaient propriétaires de l'Anglo-Newfoundland Development Company (AND), qui a contribué à l'établissement de bon nombre d'opérations minières et forestières de l'île, y compris la mine de Buchans et l'usine de pâtes et papiers de Grand Falls.

Bien que le gouvernement eut cédé le contrôle de la plupart de ses nouvelles ressources à des entrepreneurs étrangers, cette nouvelle situation a permis la création de milliers de nouveaux emplois qu'ont occupés des travailleurs locaux pour qui la pêche ne suffisait pas. En effet, à la fin du 19e siècle, la pêche à la morue et la chasse au phoque étaient toutes deux en déclin en raison des prix peu élevés et de décennies de surpêche. Il y avait cependant peu d'emplois hors de la pêche, et bon nombre de personnes devaient quitter l'île pour se chercher un emploi ailleurs.

Sachant que l'économie traditionnelle ne pouvait plus soutenir une population croissante, le gouvernement s'est tourné vers le développement des ressources de la terre pour la création de nouveaux emplois. Bien que le secteur de la pêche soit resté le premier employeur à Terre-Neuve et au Labrador, les industries minières et forestières ont augmenté en importance. Thomas Liddell a rapporté dans son sondage de 1939, sur les industries de Terre-Neuve, que quelque 14 000 personnes travaillaient en tant que bûcherons, et que 8 991 personnes travaillaient dans les usines de pâtes et papiers. Ces chiffres englobent les employés saisonniers et les employés à temps plein. Le recensement de 1935 rapportait également que 1 800 personnes travaillaient dans l'industrie minière.

Villes d'entreprise

Alors que la pêche était une activité locale et qu'elle a engendré de multiples îlots de peuplement le long de la côte, la plupart des travailleurs des industries forestières et minières devaient vivre dans de grands centres industriels. Bon nombre de ces centres, tels que Grand Falls, Corner Brook, Buchans et Wabana étaient des villes d'entreprise, ce qui signifie que l'employeur était également propriétaire du logement loué par l'employé. Par conséquent, les minières et les papetières exerçaient souvent un grand contrôle sur la vie de leurs travailleurs.

À Buchans, par exemple, l'American Smelting and Refining Company (ASARCO) était propriétaire de toutes les maisons et de tous les immeubles de la collectivité, y compris l'hôpital et l'école. Les travailleurs ne pouvaient construire leurs propres maisons : les célibataires devaient vivre dans des dortoirs, et les personnes mariées dans des maisonnettes. Même si le loyer était bas, la plupart de ces habitations étaient trop petites et mal entretenues.

Mine de Buchans, vers les années 1930
Mine de Buchans, vers les années 1930
Buchans a été une ville minière d'entreprise durant la première moitié du 20e siècle. L'entreprise était propriétaire de toutes les maisons et de tous les immeubles de la collectivité, y compris l'hôpital et l'école.
Photo reproduite avec l'autorisation du Buchans Miners Museum.

Lorsque le ministère de l'Agriculture et des Mines a envoyé à Buchans, en 1929, un comité dont le mandat était de faire enquête sur les conditions de vie et de travail de cette collectivité, les représentants gouvernements ont été stupéfiés d'apprendre que chaque lit des dortoirs était partagé par deux travailleurs. L'entreprise ne fournissait aucun matelas aux hommes, qui devaient partager un sommier double. Les personnes qui vivaient dans des maisonnettes avaient de meilleures conditions de vie, mais le nombre de celles-ci suffisait rarement pour accommoder chaque couple marié. Ainsi, il était pratiquement impossible pour les nouveaux mariés de vivre sous le même toit à Buchans.

L'entreprise ASARCO était également propriétaire du tronçon de chemin de fer de 37 kilomètres qui se rendait jusqu'à Millertown, la seule voie pour entrer et sortir de la collectivité jusqu'aux années 1950. Par conséquent, les représentants de l'entreprise contrôlaient non seulement l'endroit où les employés vivaient, mais aussi les entrées et les sorties de la ville des personnes qui y vivaient. Lorsque la route s'est rendue jusqu'à Badger, en 1956, un grand nombre d'employés ont quitté la collectivité et construit leur propre maison de l'autre côté de la rivière, sur des terres qui n'étaient pas propriété de l'entreprise.

Les villes papetières de Grand Falls et de Corner Brook étaient également contrôlées par des entreprises. L'Anglo-Newfoundland Development Company (AND) était le principal employeur de Grand Falls et elle réglait presque chaque aspect du quotidien. Seules les personnes qui travaillaient pour l'usine de pâtes et papiers ou qui avaient obtenu une autorisation de l'entreprise pouvaient déménager à Grand Falls. Une fois sur place, les résidents devaient louer des maisons de l'AND. En 1948, l'entreprise AND a relâché son contrôle en permettant à ses locataires d'acheter leur maison sur une période de location de 10 ans. À Corner Brook, l'International Power and Paper Company louait également des maisons aux travailleurs, mais un grand nombre de personnes ont pu construire leur propre maison sur un terrain hors du territoire de l'entreprise.

Malgré le climat d'oppression, un grand nombre de villes d'entreprise ont permis aux travailleurs d'avoir une bien meilleure qualité de vie que ne leur permettaient les petits villages de pêche. Les entreprises minières et forestières ont construit des écoles, des hôpitaux et des routes et ont fourni aux villes des services publics (aqueducs et égouts), le service téléphonique et d'autres services. Les travailleurs étaient payés en argent au lieu de crédit, et leur salaire était souvent supérieur à ce que la pêche leur aurait permis de gagner.

Même si les mines et les usines ont créé des emplois réguliers avec des salaires fixes, les travailleurs étaient contraints de respecter toute l'année un horaire de travail industriel rigide. C'était l'horloge de l'entreprise et non les saisons qui réglaient les périodes de travail. Les nouvelles industries fournissaient peu d'emplois directs pour les femmes. Contrairement au secteur de la pêche où femmes et enfants aidaient au séchage du poisson, la plupart des emplois dans le secteur non maritime étaient destinés uniquement aux hommes. Ce secteur d'emploi a engendré une division entre le travail à la maison où la femme en dominait tous les aspects, et le travail à l'extérieur où l'homme avait le principal et souvent unique gagne-pain. Par ailleurs, les ménages des travailleurs spécialisés et des hauts placés des entreprises embauchaient des domestiques, le plus souvent de jeunes femmes provenant de villages de pêcheurs. Souvent recrutées par des membres ou des amis de la famille qui s'étaient trouvé un emploi dans une ville d'entreprise, les domestiques contribuaient à augmenter le revenu de leur famille de pêcheurs.

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