Impacts de la mécanisation

La mécanisation progressive de l'industrie forestière de Terre-Neuve-et-Labrador durant la deuxième moitié du 20e siècle a profondément transformé le travail des bûcherons et leurs relations avec les écosystèmes forestiers. Lorsque les exploitants d'usines ont commencé à investir davantage sur la machinerie de récolte du bois, le nombre d'emplois en forêt a chuté; en même temps, le travail en forêt est passé d'une pratique saisonnière de pêcheurs-bûcherons à une activité menée toute l'année par des spécialistes formés dans des écoles.

Le recours de plus en plus fréquent à la machinerie lourde pour abattre les arbres a eu des impacts sur l'environnement forestier. Dans les zones de coupe, le besoin de routes et de chantiers de façonnage a souvent retardé la régénération forestière. Les coupes à blanc ont aussi privé la faune de son habitat, aggravé les impacts du vent et de la pluie sur les écosystèmes locaux et, dans les pires cas, appauvri les sols en favorisant l'épuisement de leurs nutriments. Et les gens qui vivent aux environs de coupes à blanc se plaignent de la laideur du paysage et craignent une défection du tourisme.

Changements sur le plan de l'emploi

La mécanisation croissante de l'industrie forestière s'est accompagnée d'un déclin du nombre d'emplois. D'après le recensement de 1951, 10 333 personnes travaillaient comme bûcherons à Terre-Neuve-et-Labrador; cet effectif allait diminuer à 6 711 en 1961 et à 2 385 en 1971. Durant la même période, on a assisté à une multiplication des machines forestières.

La première de ces machines aura été la tronçonneuse, qui a vite été préférée pour l'abattage à la scie à bûches et à la hache. Moins de cinq ans après son apparition en 1954, 93 p. 100 de tout le bois produit dans la province était abattu à la tronçonneuse. Avec celle-ci, un bûcheron pouvait récolter à lui seul jusqu'à quatre cordes de bois par jour dans des conditions idéales, au lieu de deux cordes avec une scie à bûches et une hache. Cette croissance de productivité allait permettre aux compagnies de réduire leurs effectifs.

Au fil des années, l'industrie papetière s'est mise à dépendre de machines de plus en plus spécialisées pour abattre, ébrancher et préparer le bois, et le transporter jusqu'à l'usine. Ce faisant, en plus d'éliminer d'autres emplois, elle a aussi réorganisé le travail en forêt. Durant les années 1960, l'introduction des chargeurs sur roue a favorisé le travail en équipes de cinq bûcherons : deux abatteurs coupaient les arbres, un conducteur de chargeur sur roue les sortait de la forêt, et deux tronçonneurs les taillaient à la longueur voulue et les chargeaient dans des camions à destination de l'usine.

Pour la première fois, des bûcherons devaient se conformer à un processus de travail à la chaîne pour accomplir une tâche spécialisée. Ils devaient aussi coopérer beaucoup plus avec leurs compagnons : si les abatteurs ne coupaient pas assez de bois, les conducteurs de chargeur sur roue et les tronçonneurs devaient attendre. Ce nouveau système, d'une rare efficacité, a éliminé des tas d'emplois. Le bois récolté le matin pouvait arriver à l'usine le soir-même. À l'ancienne manière, lorsque le même bûcheron effectuait toutes les tâches liées à l'abattage et au transport des billes hors de la forêt, le processus pouvait demander jusqu'à dix mois!

Au fil des années 1960 à 1980, l'arrivée des tronçonneuses, des débroussailleuses et des abatteuses-façonneuses à tête multifonctionnelle allait réduire encore davantage le besoin de travailleurs manuels dans l'exploitation commerciale. Certains bûcherons mis à pied se sont alors tournés vers l'industrie de la construction, d'autres sont partis chercher du travail en dehors de la province, et certains ont tiré profit des programmes gouvernementaux de soutien du revenu. Selon Statistique Canada, le nombre de bûcherons à Terre-Neuve-et-Labrador est tombé de 3 220 en 1986 à 2 430 en 1996.

Avec la mécanisation de l'exploitation forestière, les entreprises en sont venues à dépendre de plus en plus d'un effectif réduit de travailleurs spécialisés à temps plein, plutôt que de bûcherons saisonniers non spécialisés. Les savoirs et les compétences n'étaient plus transmis au gré des générations; à la place, les aspirants bûcherons recevaient leur formation dans des collèges et des universités. Pour retenir ces travailleurs à temps plein et syndiqués, les compagnies ont aussi dû améliorer les conditions de vie dans les chantiers, notamment les repas et les quartiers d'habitation.

Impacts environnementaux

Les progrès technologiques associés à l'industrie forestière ont eu des impacts sur les écosystèmes forestiers, certains positifs, d'autres moins. La forme la plus courante d'abattage pratiquée au Canada, la coupe à blanc, consiste à couper et à enlever des peuplements d'arbres entiers. Si elle se défend du point de vue de la rentabilité, cette pratique entraîne toutes sortes de problèmes écologiques. Certains chercheurs croient qu'elle met en danger diverses espèces animales, y compris la martre des pins, en faisant disparaître leur habitat. Les opérations forestières peuvent aussi modifier la composition chimique et physique des cours d'eau adjacents, et affecter la santé des poissons et de diverses autres espèces aquatiques.

En 2000 et en 2001, des manifestants ont pressé le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador d'empêcher la Corner Brook Pulp and Paper de raser les boisés voisins de la rivière Main, près du parc national du Gros-Morne. Ce site englobe une vieille forêt boréale qui sert d'habitat à des sapins baumiers de 250 ans et à nombre d'espèces animales, notamment à la martre des pins, un mammifère menacé de disparition. On craignait que l'exploitation forestière de cette région cause des dommages irréparables à l'environnement, notamment à la population de martres.

En 2002, le gouvernement fédéral a conféré à la rivière Main le titre de Rivière du patrimoine canadien. S'il est désormais interdit de pratiquer la coupe à blanc dans cette région, la province a néanmoins accordé à la Corner Brook Pulp and Paper le droit de pratiquer durant cinq ans une coupe réduite autour de la rivière. Nombre de défenseurs de la forêt ont jugé que cette décision représentait une défaite.

Certains résidants des environs de zones coupées à blanc se plaignent que cette pratique détruit leurs sources de bois de chauffage et laisse derrière elle un paysage dévasté. Le 27 novembre 1991, l'hebdomadaire Northern Pen publiait la lettre d'un lecteur déplorant qu'une zone ainsi exploitée « paraissait avoir été la cible d'une bombe atomique ». La Forestry Act, adoptée en 1990, oblige toutefois les bûcherons à préserver des zones tampons écologiques, au voisinage des cours d'eau et des étangs, où il est interdit d'abattre des arbres.

À Terre-Neuve-et-Labrador, les territoires coupés à blanc semblent se reboiser adéquatement. Le climat de la province, frais et humide, facilite la repousse et peut faire renaître des peuplements productifs. Les forêts sont souvent entrecoupées de tourbières, qui aident aussi à la régénération. Cependant, dans les coupes à blanc, il est fréquent qu'il faille tracer des routes qui compactent le sol et empêchent souvent toute repousse. Pour nourrir et abriter diverses espèces de créatures sauvages comme l'orignal, la forêt et le sol doivent se régénérer.

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