Les villes

Il existe notamment deux raisons pour lesquelles le « statut de ville » peut être octroyé à une collectivité. Tout d'abord, une « ville » est une collectivité qui compte une grande population. À cause de son importance démographique, elle présente des caractéristiques différentes des collectivités rurales. Deuxièmement, selon le droit municipal de Terre-Neuve-et-Labrador, une « ville » jouit d'une plus grande autonomie qu'une « municipalité » de taille semblable par rapport au gouvernement provincial. En vertu de ces définitions, St. John's était la seule ville de Terre-Neuve et du Labrador au 19e siècle. Au cours de la seconde moitié du 20e siècle, les municipalités de Corner Brook et de Mount Pearl ont obtenu le « statut de ville ».

St. John's

Étant donné que St. John's est devenue la base navale de l'île à la fin du 17e siècle, cette collectivité de pêcheurs, pourtant comparable à Corner Brook et à Mount Pearl, est devenue le siège du gouvernement. Au 18e siècle, cette présence navale a permis à St. John's de se transformer en une collectivité beaucoup plus large que celle des villages côtiers. L'installation ultérieure d'une garnison à cet endroit a également contribué à son essor. Au 19e siècle, l'implantation industrielle a amené une augmentation de la population de travailleurs, hommes et femmes, lesquels n'étaient employés qu'indirectement par l'industrie de la pêche. Les activités commerciales et gouvernementales ont permis à St. John's de développer un petit groupe de professionnels et d'artisans issus de la classe moyenne ainsi qu'une classe ouvrière.

St. John's, vers 1994
St. John's, vers 1994
St. John's est la ville la plus ancienne de Terre-Neuve.
Avec la permission de Ben Hansen ©1994. Tiré de Newfoundland and Labrador, de Ben Hansen, St. John's, Vinland Press, 1994, p. 65.

L'augmentation de la taille et de la diversité de la population a permis à la ville de se doter de différentes institutions, notamment des sociétés d'aide mutuelle, des bibliothèques et des églises. Les activités d'affaires ont aussi eu pour effet de dynamiser la vie publique. Les nombreux « établissements publics » où l'on vendait de l'alcool n'offraient pas uniquement des rafraîchissements et divertissements. Ils donnaient accès aux citoyens à un lieu « public » où ils pouvaient échanger de l'information, partager leur culture et organiser des activités politiques. Les journaux ont également été des vecteurs de la cohésion sociale – celle-ci aurait peut-être été impossible à réaliser sans eux – en plus de favoriser l'expression de l'opinion publique.

Les villes entretiennent une relation privilégiée avec les collectivités du « milieu rural ». Les collectivités rurales approvisionnent les villes en denrées alimentaires et fournissent des ressources vouées à l'exportation et à la fabrication de produits manufacturés. En retour, les villes fournissent des capitaux et des biens de consommation à la population rurale. Au 19e siècle, les marchands de St. John's, particulièrement ceux qui occupaient les immeubles le long de « Water Street », dominaient largement le domaine de l'importation de fournitures et de matériel de même que celui de l'exportation du poisson pour tout le territoire de Terre-Neuve et du Labrador. Leurs entreprises faisaient crédit aux marchands des collectivités rurales et s'occupaient d'exporter le poisson provenant des marchands des régions plus éloignées. Les marchands qui habitaient St. John's ont ainsi pu titrer profit de la richesse générée par les gens qui travaillaient partout sur l'île et au Labrador.

Ces marchands de la capitale ont accumulé suffisamment de richesse pour investir dans l'industrie, le transport maritime et la chasse au phoque – ce qui leur a permis de s'affirmer comme chefs d'entreprise dans toute la colonie. Par exemple, quand on a commencé à utiliser des bateaux à vapeur et des coques d'acier pour la chasse au phoque, seuls les propriétaires de bateaux de St. John's avaient les moyens d'acheter de tels navires. En général, les propriétaires de bateaux vivant dans d'autres grandes collectivités de pêcheurs pourtant prospères, comme Harbour Grace, étaient incapables d'acheter ces bateaux à vapeur coûteux et délaissaient cette industrie au profit de la collectivité d'affaires de St. John's.

Corner Brook, vers 1994
Corner Brook, vers 1994
Corner Brook a le « statut de ville » depuis 1981.
Avec la permission de Ben Hansen ©1994. Tiré de Newfoundland and Labrador, de Ben Hansen, St. John's, Vinland Press, 1994, p. 49.

Évidemment, ce ne sont pas tous les habitants de St. John's qui pouvaient tirer avantage du travail des autres. Par conséquent, de nombreuses familles de travailleurs établies dans la capitale étaient relativement pauvres. Dans toutes les villes, on remarque que les gens vivent dans des secteurs résidentiels différents selon leur classe sociale. Alors que pauvres et riches vivaient dans une relative proximité dans les petits villages côtiers de l'île de Terre-Neuve, ils habitaient des quartiers différents au sein des collectivités plus grandes. À St. John's, par exemple, le front de l'eau était réservé à l'usage exclusif des propriétaires d'immeubles commerciaux alors que la classe ouvrière occupait les quartiers de l'est de la ville. Les maisons étaient modestes, les installations sanitaires quasi inexistantes, et la pauvreté ambiante faisait en sorte que ces secteurs urbains n'étaient pas plus chics ni plus prospères que les collectivités rurales isolées. Quant aux quartiers plus riches de la partie ouest de la ville, ils étaient bien sûr éloignés de l'odeur de poisson et de la fumée émise par la combustion du charbon.

Mount Pearl et Corner Brook

En 1888, St. John's a acquis une certaine forme d'autonomie municipale – c'est la seule collectivité qui a eu droit à ce privilège au 19e siècle – et s'est constitué en corporation à titre de première ville de l'île de Terre-Neuve. En passant du statut de « municipalité » à celui de « ville », St. John's jouissait désormais d'un plus grand contrôle sur ses revenus et dépenses. Ce n'est qu'au cours de la seconde moitié du 20e siècle que les municipalités de Corner Brook et de Mount Pearl ont reçu le statut de « ville » en vertu du droit municipal. Corner Brook a vu sa population augmenter considérablement grâce à l'usine de papier qui employait de nombreux travailleurs. La ville s'est dotée entre autres de magasins, d'hôpitaux et d'écoles, des services dont ne bénéficiaient pas les autres collectivités, sauf les plus grandes, jusque-là peu nombreuses. Cet essor en a fait un important centre de services dans l'ouest de l'île de Terre-Neuve et divers services gouvernementaux s'y sont installés pour desservir la région. C'est ainsi que Corner Brook est devenu un centre administratif important. Grâce à son essor démographique important et à la diversification de son économie, Corner Brook a acquis le « statut de ville » en 1955, ce qui lui accorde une plus grande autonomie administrative.

Mount Pearl, vers 1996
Mount Pearl, vers 1996
Mount Pearl est devenu officiellement une ville en 1988.
Avec la permission de la ville de Mount Pearl © 1996.

L'essor économique de St. John's a favorisé sa croissance géographique et démographique, ce qui a eu pour effet de stimuler la prospérité des collectivités avoisinantes. À la fin du 20e siècle, les industries de biens manufacturiers et de transport établies dans le parc industriel de Mount Pearl ainsi que le grand nombre de résidants travaillant à St. John's ont contribué à l'essor rapide de la municipalité. En 1988, elle a obtenu le « statut de ville » en vertu du droit municipal. La croissance de Mount Pearl, de St. John's et des autres collectivités situées à proximité a permis aux régions développées de converger malgré les limites municipales qui les divisaient. L'écart géographique qui séparait les collectivités a fini par disparaitre. Par conséquent, les limites municipales sont devenues artificielles et ont fait parfois l'objet de frictions entre les politiciens municipaux; la région environnante de la capitale était en train de se transformer en une grande collectivité à tous égards, sauf celui de la gouvernance locale.

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