St. John's, 1500-1815

Une ancienne et douteuse légende relate l'arrivée de Jean Cabot (Zuan Caboto) dans le port de St. John's le 24 juin (la fête de Saint-Jean le Baptiste) 1497. Elle est sans doute fausse. En fait, peu importe les premiers Européens qui y ont débarqué, le port de St. John's fourmille d'activités depuis le début du 16e siècle. Les cartes géographiques de cette époque en font mention. Des sources d'information signalent la présence de bateaux en provenance de Normandie, de Bretagne et du Portugal dès 1527. Ce sont probablement des pêcheurs basques ou portugais qui l'ont baptisé, car le nom « Säo Joäo » (St. John's) apparaît sur une carte portugaise datant de 1519. Les pêcheurs ne peuvent résister à son vaste havre bien protégé, sa proximité avec l'Europe et ses eaux poissonneuses. Son titre de plus ancienne ville nord-américaine est peut-être contesté et sujet à interprétation, mais St. John's n'en demeure pas moins l'un des plus anciens lieux de peuplement européen de l'hémisphère occidental.

St. John's et les premières pêches

L'attrait fondamental de Terre-Neuve est la pêche. Au cours du 16e siècle, des pêcheurs venus de l'Angleterre, de la Normandie, de la Bretagne, de la région basque, de l'Espagne et du Portugal viennent y pêcher et jettent l'ancre dans le havre de St. John's. Au tournant du 17e siècle cependant, les pêcheurs espagnols et portugais abandonnent les eaux de Terre-Neuve. Les pêcheurs français et anglais occupent alors en priorité les zones de pêche. Leurs principaux ports sont respectivement Placentia (Plaisance) et St. John's. C'est aussi au début du 17e siècle que les activités des pêcheurs anglais prennent leur essor. Cette expansion correspond aux premières tentatives de colonisation. Si la pêche est prospère et lucrative, les efforts de colonisation, par contre, ne connaissent pas le même succès. Pourtant, ils inspirent le peuplement à partir de 1610. Toutefois, les pêcheurs anglais, originaires pour la plupart du sud-ouest de l'Angleterre, ne s'éloignent pas de la côte anglaise qui s'étend de Bonavista à Trepassey.

La région du sud-ouest de l'Angleterre
La région du sud-ouest de l'Angleterre
Dès le 16e siècle, les pêcheurs du sud-ouest de l'Angleterre fréquentent les havres de Terre-Neuve, notamment celui de St. John's.
Illustration de Duleepa Wijayawardhana, 1998. D'après une recherche de Wendy Churchill.

Même si la pêche est surtout migratoire (saisonnière) jusqu'à la fin 18e siècle, le port de St. John's joue un rôle important dès le milieu du 17e siècle. Des résidents permanents y sont déjà installés vers le milieu des années 1620. Le port fait l'objet d'améliorations avant 1665. Ces dernières attestent bien de l'importance accordée aux structures portuaires par ses habitants. Dans les années 1670, le nombre de résidents permanents est le plus élevé sur la côte anglaise. Progressivement, St. John's se place au cœur des activités commerciales et administratives.

Le port remplit de multiples fonctions. Il est un dépôt de ravitaillement, un abri pour les navires en cas de tempête, et un point de rencontre sûr pour les bateaux en partance vers l'Europe à l'automne. En effet, aux 17e et 18e siècles, il est de pratique courante de former un convoi vers l'Europe pour se protéger des bateaux ennemis, des corsaires et des pirates. Jusqu'au début du 19e siècle, la pêche migratoire n'est pas propice à une croissance démographique, mais malgré sa faible population, St. John's n'en devient pas moins le premier centre d'approvisionnement et d'activités administratives de la côte anglaise, puis de l'île après la mise en vigueur du traité d'Utrecht en 1713.

Forts et garnisons

Les conflits qui éclatent fréquemment entre l'Angleterre et la France (ainsi qu'avec l'Espagne et les Pays-Bas) aux 17e et 18e siècles, de même que la menace que font peser les pirates, représentent un réel danger pour Terre-Neuve. Les navires de la Marine royale anglaise escortent donc les bateaux de pêche jusqu'à Terre-Neuve à partir des années 1650. L'escadron de Terre-Neuve (le Newfoundland Squadron) constitue un élément crucial de la présence militaire britannique. Ce qui n'empêche pas l'amiral néerlandais de Ruyter de mettre à sac St. John's en 1665. Les habitants exercent des pressions auprès des autorités pour fortifier le lieu. Le gouvernement britannique finit par céder et fait construire le fort William au début des années 1680. St. John's est de nouveau mise à sac en 1696, cette fois par les Français avec à leur tête Pierre Le Moyne d'Iberville. Ce dernier ne s'empare pas du fort William, mais la garnison n'est pas en mesure de protéger la ville et doit capituler. En 1705, Daniel d'Auger de Subercase et sa troupe mettent le siège devant la ville, mais ne parviennent pas à capturer le fort William. Ils saccagent toutefois presque entièrement St. John's. En 1708, les Français, sous la direction de Joseph de Monbeton de Brouillan de Saint-Ovide, lancent une nouvelle attaque et prennent d'assaut les fortifications et les détruisent.

La capture du fort en 1762 par les Français révèle sa vulnérabilité face à des tirs d'artillerie à partir de la colline de Signal Hill. Les Britanniques n'ont d'autre choix que de le recapturer peu après. De la colline de Signal Hill, les Français et les Britanniques bombardent le fort William selon les circonstances. La construction du fort Townshend de 1775 à 1779 vise à corriger ce problème et à assurer une meilleure défense de la ville contre les attaques des Français et des corsaires américains. En plus des batteries installées sur la colline de Signal Hill et près de l'étroit chenal appelé The Narrows (dont Fort Amherst), ces forts restent en activité à St. John's jusqu'au retrait de la garnison britannique en 1870. Les fortifications sont tout de même parvenues à repousser au moins une attaque des Français en 1796, mais n'ont pu sauver de la destruction les collectivités avoisinantes comme Petty Harbour et Bay Bulls. Cette faille prouve bien les limites intrinsèques de fortifications permanentes dans la protection de populations dispersées.

Carte de St. John's, 1784
Carte de St. John's, 1784
Cette carte montre l'emplacement du fort Townshend (à gauche) et du fort William (en haut à droite).
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 193.12.04.070), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La mission première des forts est la défense de la ville (ou du moins la possibilité de mettre en lieu sûr ses citoyens lors d'attaques). Toutefois, la garnison est également associée à la vie socio-économique de St. John's. Les soldats y sont postés à l'année, et malgré leur nombre réduit (entre 150 et 400 environ), ils représentent un bon pourcentage des résidents permanents. Leur contribution à l'économie locale n'est pas à dédaigner. Ils distribuent des vivres en périodes difficiles et portent secours en cas de désastre. Ces interventions se révèlent parfois nécessaires, car malgré la nomination d'un gouverneur en 1729, la ville ne peut compter sur des instances administratives permanentes et prêtes à prendre des décisions urgentes.

Gouvernement et administration

La pêche migratoire et le nombre peu élevé de résidents (seulement 849 en 1753) retardent la constitution d'une institution gouvernante permanente. Le vœu d'un gouvernement représentatif n'est pas exaucé avant 1832. Pour la Grande-Bretagne, Terre-Neuve reste avant tout un lieu de pêche et non une colonie. Pourtant, des services administratifs existent déjà depuis longtemps. Pendant la saison de la pêche, l'amiral de la pêche et les commandants de navire assument l'administration des activités. Leur rôle prend fin avec la saison de la pêche et leur retour en Angleterre. Après 1729, cette responsabilité revient au gouverneur. Celui-ci doit veiller au respect des lois et à la résolution des différends avec le concours de magistrats locaux.

St. John's à une autre époque, s.d.
St. John's à une autre époque, s.d.
Entrée du port de St. John's et installations de pêche.
D'après une gravure ancienne. Tiré de The Story of Newfoundland, de J. A. Cochrane, Ginn and Company, Montréal, 1938, p. 133.

Dans les années 1720, St. John's s'impose tranquillement comme pôle des activités commerciales et centre administratif de Terre-Neuve grâce au nombre de ses résidents permanents. À partir surtout de l'hiver 1723-1724, la population peut s'adresser à des magistrats. Inquiets de l'absence d'autorité juridique pendant la saison hivernale, les résidents jettent les bases d'un gouvernement local et d'une magistrature ad hoc. Ces magistrats tiennent des audiences hebdomadaires, entendent des affaires pénales mineures et des causes sur les biens. Le premier gouverneur de Terre-Neuve nommé en 1729, le capitaine Henry Osborne, confirme le statut juridique des magistrats ou juges de paix. Il leur accorde le droit de faire respecter la loi pendant l'hiver. Cette mesure reste en vigueur jusqu'à la nomination en 1817 du premier gouverneur permanent, Francis Pickmore. Administré par la marine, ce système compte sur l'appui du pouvoir civil pour la tenue d'assises trimestrielles et s'avère relativement efficace.

Croissance et changement

Jamais les marchands anglais n'ont exercé une quelconque pression pour faire obstacle à l'établissement des premières colonies ou les rendre illégales. Les lois votées en 1633 et 1670 dans le but de limiter le nombre de colonies n'ont de sens que sur papier et ne sont guère respectées. En réalité, les marchands comptent sur les résidents permanents pour protéger leurs biens des incursions de leurs concurrents ou des autochtones pendant l'hiver. Sans eux, les entrepôts, abandonnés pendant la saison hivernale, sont vidés de leurs articles en fer. De plus, les marchands ont avantage financièrement à ravitailler les résidents permanents.

Toujours peu nombreuse en raison de la pêche migratoire, la population de St. John's augmente lentement au cours du 18e siècle. Cela était sur le point de changer. La guerre d'Indépendance des États-Unis (1776-1783), la Révolution française et les guerres napoléoniennes (1792-1815) perturbent les activités commerciales. La pêche migratoire devient difficile et très risquée. Les pêcheurs commencent alors à s'installer à Terre-Neuve avec pour résultat une forte poussée démographique. La population permanente de St. John's passe de 849 en 1753 à plus de 3000 en 1795, et à plus de 10 000 en 1815. La plupart des nouveaux venus viennent de l'Angleterre et de l'Irlande.

King's Beach, St. John's, vers 1780
King's Beach, St. John's, vers 1780
La population passe de 849 en 1753 à plus de 3000 habitants en 1795.
Avec la permission de la Division des archives (digitales), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le nombre de citadins décuple dans un laps de temps relativement court. Le district bordant le port foisonne d'activités avec ses quais, ses chafauds, ses commerces, ses débits de boisson et ses habitations. Toutes ces activités favorisent l'élan économique de la ville. St. John's est une source de ravitaillement vitale depuis l'arrivée des tout premiers Européens. Le port est la plaque tournante des échanges commerciaux. Les guerres napoléoniennes accentuent cette tendance. En 1811, la ville accueille 78 % du commerce maritime de la colonie, alors qu'il n'est que de 43 % en 1790. Les installations commerciales qui longent le chemin Lower Path (appelé aujourd'hui Water Street) dans sa partie inférieure, et Duckworth Street dans sa partie supérieure (Upper Path) représentent le cœur économique de la ville.

En 1815, à la fin de ce très long conflit, le visage de St. John's a bien changé depuis 100 ans et même 50 ans. La ville connaît une forte croissance démographique et son port est le point d'attraction économique de Terre-Neuve. C'est sur lui que reposent toutes les activités relatives à la pêche, ainsi que les exportations de poisson salé vers les marchés étrangers et l'importation de denrées alimentaires, de biens manufacturés, de sel, etc., des articles nécessaires aussi bien aux pêcheurs qu'au reste de la population. La garnison assure une présence militaire. La colonie aura bientôt son premier gouverneur permanent en poste à St. John's. En 1815, bien que relativement jeune, St. John's est déjà une ville importante; le siècle suivant verra cette ville se transformer progressivement en capitale socio-économique et administrative de Terre-Neuve.

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