La rébellion irlandaise de 1800 à Terre-Neuve

En 1798, de nombreux Irlandais, fortement influencés par les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité des révolutions française et américaine, ont résolu de se soulever contre l'autorité des Anglais. Ils ont formé la Société des Irlandais unis (Society of United Irishmen), une organisation secrète non confessionnelle dont les membres s'engageaient par serment à abattre la domination britannique en Irlande. Au nombre des leaders, on retrouvait Theobald Wolfe Tone et Lord Edward FitzGerald, époux de Pamela Simms, probablement de Fogo (Terre-Neuve). Armés seulement de perches à pointes de fer, les Irlandais se sont lancés à l'assaut des fusils de l'armée anglaise. L'écho de leur défaite s'est réverbéré sur les deux siècles subséquents de l'histoire irlandaise. De nos jours, la rébellion de 1798 est reconnue comme la première fois de l'histoire d'Irlande où protestants et catholiques se sont unis pour revendiquer un projet nationaliste commun.

Hors d'Irlande, seule Terre-Neuve abritait une communauté irlandaise aux caractéristiques sociales et démographiques propices à une rébellion de même nature. En Irlande, la révolte s'est surtout concentrée au sud-est dans le comté de Wexford, où quelque 5000 personnes ont péri; or, le même comté a été une source principale d'immigration à Terre-Neuve au 18e siècle. En 1798, St. John's était aux deux-tiers irlandaise, comme l'était le gros de l'effectif de la garnison britannique au fort Townshend. Un marchand de Waterford, Edmund Rice, a réussi à faire traverser à Terre-Neuve, John Rice, beau-frère de son épouse, caché dans un tonneau, pour lui éviter les foudres des Britanniques. Et on raconte encore à Placentia (Plaisance) comment Pierce Sweetman, un marchand de cette localité et de New Bawn, dans le comté de Wexford, a comploté la rébellion de Ross dans le salon de sa résidence de New Bawn.

Le fort Townshend, vers 1796
Le fort Townshend, vers 1796
Au centre de cette peinture de St. John's à la fin du 18e siècle, le fort Townsend occupe une position dominante.
Artiste inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales, Memorial University of Newfoundland, St. John's, et des Archives nationales du Canada.

Le « complot »

En avril 1800, une rumeur courait à St. John's : quelque 400 hommes avaient secrètement prêté serment aux Irlandais unis, y compris certains des soldats en poste à Signal Hill, au fort William et au fort Townshend. On racontait que 80 soldats prévoyaient se mutiner à la poudrière derrière le fort Townshend, près de l'endroit où se trouve aujourd'hui l'intersection de la rue Belvedere, du chemin Barnes et de l'avenue Bonaventure. Selon les rapports des officiers britanniques, les conjurés prévoyaient tuer leurs supérieurs et les dirigeants de la ville réunis dans l'Église anglicane pour l'office dominical du 20 avril. L'objectif des insurgés n'a jamais été éclairci, et il n'est même pas certain qu'ils aient prêté serment aux Irlandais unis. L'évêque O'Donel, qui a démenti que le complot incluait des assassinats dans l'église, croyait que les conjurés espéraient plutôt piller la ville et s'enfuir aux États-Unis. D'autres ont suggéré qu'une raison plus probable de la rébellion de la classe ouvrière irlandaise était son désespoir de jamais échapper à la misère et à la tyrannie des officiers qui contraignaient nombre de réservistes irlandais à rester de garde au lieu de pratiquer la pêche, seul moyen de faire vivre leurs familles à St. John's.

En définitive, ce dimanche-là, John Skerrett, le commandant de la garnison, a décidé de faire défiler le régiment au complet. Craignant d'être découverts, quelques soldats ont paniqué. Le mardi soir suivant, 19 soldats ont pris les armes et se sont réunis à la poudrière du fort Townshend, espérant y être rejoints par leurs camarades. Toutefois, les soldats du fort William en ont été empêchés, leur commandant, le colonel Thomas Skinner, ayant décidé de tenir une réception le même soir et ordonné la présence de miliciens. La nouvelle de la mutinerie s'est rapidement répandue, l'alerte a été sonnée et les déserteurs ont fui dans les landes et les bois derrière St. John's.

Capture des meneurs

Dix jours plus tard, le 30 avril 1800, Skerrett écrivait au duc de Kent, commandant en chef des forces britanniques à Halifax, qu'un sergent Kelly, des Territoriaux de Signal Hill (les « Fencibles », qui défendaient les lieux), avait déserté avec douze soldats de la garnison, et six hommes de l'Artillerie royale du fort Townshend. S'étant emparé de 23 mousquets et de munitions, les 19 conspirateurs s'étaient retrouvés à la poudrière du fort Townshend, où ils avaient prévu rejoindre 30 autres rebelles, soit 25 membres des Territoriaux et cinq hommes de l'Artillerie, « tous liés aux Irlandais unis ». Mais ces 30 hommes ont été arrêtés avant d'atteindre la poudrière, trois des 19 autres ont été capturés, quatre se sont rendus et les douze derniers se sont réfugiés dans les bois. Le capitaine William Haly (commémoré au terrain de golf Bally Haly à St. John's), natif de Cork et vétéran du 5e Régiment de la Brigade irlandaise, a procédé à l'arrestation d'un rebelle le 29 avril, « caché dans le grenier de la chapelle catholique ». Skerrett écrivait aussi « qu'un autre rôdait à St. John's, protégé par ses confrères Irlandais. »

En quelques semaines, tous les conspirateurs avaient été capturés, sauf les deux présumés meneurs, le sergent Kelly et James Murphy. Quatre des mutins qui avaient dénoncé leurs comparses ont évité la cour martiale. Des 13 restants, cinq ont été pendus à proximité de la poudrière et huit ont été confiés au jugement du duc de Kent à Halifax. Dans les semaines suivantes, tous les soldats restants de la garnison de St. John's ont été transférés à Halifax pour être remplacés par des militaires de Halifax. En Nouvelle-Écosse, trois des huit conspirateurs ont été exécutés : Garrett Fitzgerald, Edward Porter et James Ivory, et les cinq autres ont été condamnés à la déportation.

Soixante-cinq ans plus tard, l'historien Charles Pedley a blâmé l'évêque O'Donel d'avoir trahi la rébellion en divulguant l'information sur le complot qu'il avait « sans aucun doute recueillie à la faveur de confessions ». (Pedley, p. 216) [Traduction libre] Toutefois, nulle preuve de l'époque ne confirme cette théorie, qu'aucun autre historien n'a reprise. Il est difficile de croire que O'Donel ait ainsi violé le secret du confessionnal pour trahir ses paroissiens.

Répercussions

La rébellion des Irlandais unis de la garnison de St. John's aura eu maintes répercussions sur les Irlandais de Terre-Neuve et sur le contrôle par les Britanniques de leur lucrative colonie de pêche. Cette rébellion aura été, pour autant que l'on sache, la seule que l'administration britannique a directement liée à celle d'Irlande. Ce soulèvement à St. John's est remarquable en ce qu'il a été la première occasion où les Irlandais de Terre-Neuve auront délibérément défié l'autorité de l'État, faisant craindre d'autres révoltes à la Grande-Bretagne. Aux yeux des agents britanniques de l'office des colonies, la rébellion a donné à Terre-Neuve une réputation de « Tipperary d'outremer », une colonie semi-irlandaise distante vulnérable aux turbulences politiques.

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