Les soins de santé au 19e siècle

Au début du 19e siècle, les services de soins de santé sont plutôt rares à Terre-Neuve et au Labrador. Les quelques médecins de la colonie se concentrent surtout à St. John's et les seuls établissements de santé en activité sont des hôpitaux militaires britanniques. Les médecins qui s'aventurent vers les villages côtiers isolés le font en raquettes, à cheval ou en bateau. Les patients qu'ils rencontrent n'ont souvent pas les moyens de payer les soins. Dans le nord du Labrador, ce sont les missionnaires moraves qui prodiguent des services de santé. Les collectivités de cette région sont si dispersées que seule une infime partie de la population en bénéficie.

Patients de l'hôpital General, après 1880
Patients de l'hôpital General, après 1880
Il y a très peu de services de soins de santé à Terre-Neuve et au Labrador au début du 19e siècle
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 190 04.06.006), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La rareté et la précarité des soins médicaux professionnels dans bon nombre de villages dispersés le long de la côte contribuent aux taux de décès et de mortalité infantile élevés à Terre-Neuve et au Labrador, de même qu'à la propagation d'épidémies de choléra, de tuberculose, de variole et d'autres maladies contagieuses.

Au cours du 19e siècle, la population réclame une amélioration des soins de santé. Le gouvernement s'affaire donc à mettre sur pied les premiers hôpitaux de la colonie réservés aux citoyens, des conseils de santé dans diverses collectivités et des postes de quarantaines autour de l'île. Les médecins itinérants participent aussi grandement, à l'échelle locale, à l'amélioration des soins de santé. Parmi les plus marquants, on note William Carson associé à l'ouverture du premier hôpital public de St. John's, et sir Wilfred Grenfell, responsable de l'implantation de plusieurs hôpitaux et infirmeries au Labrador et dans le nord de l'île de Terre-Neuve.

Les hôpitaux de St. John's

Jusqu'en 1814, St. John's ne compte que des hôpitaux militaires britanniques. Au centre-ville, les infirmeries du fort Townshend, du fort William, ainsi que celle située sur la rue Duke of York (aujourd'hui la rue York) accueillent des civils, mais soignent en priorité le personnel militaire. En 1805, l'armée installe un hôpital situé entre Government House (la résidence du Gouverneur) et le fort William sur le chemin Military. Surnommé d'abord « maison de la peste », plus tard « hôpital de l'ancienne garnison », il possède une capacité de 10 lits, mais peut soigner jusqu'à 31 patients. Les civils peuvent s'y présenter si l'espace le permet.

Poussés par la croissance démographique, les habitants de la ville exigent de meilleures infrastructures médicales. En 1811, un mouvement populaire ayant à sa tête le médecin et réformateur écossais William Carson adresse au gouvernement une pétition demandant la construction d'un hôpital civil à St. John's. Avant la fin de l'année, John Duckworth, le gouverneur de la colonie, nomme un comité dont le président est William Carson. Ses membres ont pour mandat la planification et la construction du nouveau bâtiment.

William Carson (1770-1843), s.d.
William Carson (1770-1843), s.d.
Au début du 19e siècle, le médecin et réformateur écossais William Carson fait campagne pour la construction d'un hôpital civil à St. John's.
Artiste inconnu. Avec la permission des archives (A23-91), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

L'hôpital Riverhead ouvre ses portes le 7 mai 1814 à l'emplacement actuel du parc Victoria au centre-ville de St. John's. Les coûts de construction s'élèvent à 2138 £. Le comité obtient la majorité de la somme auprès de la population. Au cours des trois premiers mois de sa mise en service, l'hôpital accueille 40 patients dont 21 reçoivent leur congé de l'hôpital. Il signale 2 décès et garde en salles communes les 17 autres.

Cependant, l'hôpital est rongé par de constantes difficultés financières. En effet, l'hôpital survit grâce à des dons du public, à des subventions gouvernementales et aux 15 shillings hebdomadaires demandés aux patients. Sans possibilité d'offrir de nouveaux services ou de maintenir ceux déjà offerts, l'hôpital tombe peu à peu en ruines. Pourtant, la poussée démographique ne cesse d'exercer une pression sur l'hôpital. Ses administrateurs sont incapables de répondre à la demande sans mettre en danger la sécurité des patients. Ainsi, se côtoient dans une même pièce des patients souffrant de maladies non transmissibles et ceux affligés de fièvres et autres infections contagieuses. Les personnes atteintes de troubles psychiatriques se retrouvent enfermées dans des cellules à peine chauffées au sous-sol de l'établissement et ne disposent que d'un lit de paille.

Atterré par cette situation, le Dr Harry Hunt Stabb tente de convaincre les administrateurs gouvernementaux de construire un établissement destiné au traitement des personnes atteintes de troubles mentaux. Les préparatifs s'amorcent au milieu des années 1840 et l'hôpital entre en activité en décembre 1854. Ultérieurement, l'hôpital changera son nom (Hospital for Mental Diseases) pour celui d'hôpital Waterford. Pendant la phase de construction, le gouvernement transfère les patients gardés au sous-sol de l'hôpital Riverhead dans une petite maison qu'il loue à la ferme Palk sur le chemin Waterford Bridge.

En 1852, l'armée britannique ouvre un nouvel hôpital sur le chemin Forest. Celui-ci remplace l'établissement complètement délabré du chemin Military, qui est d'ailleurs démoli peu après. L'armée gère cet hôpital jusqu'en 1870, année où sa garnison quitte St. John's pour Halifax. Elle remet alors l'hôpital au gouvernement de Terre-Neuve. Il rouvre ses portes en 1871. C'est dorénavant un hôpital civil qui porte le nom d'hôpital Forest Road ou d'hôpital Quidi Vidi avant d'adopter celui d'hôpital General en 1880. Il poursuit ses activités pendant une bonne partie du 20e siècle.

L'hôpital Riverhead, décrépit et surpeuplé, transfère en 1871 la majorité de ses patients à l'hôpital Forest Road, bien équipé. Il continue de recevoir des patients souffrant de fièvres diverses jusqu'en 1887. À cette époque, le gouvernement construit sur le chemin Forest un établissement consacré essentiellement à ce type de patients. En 1888, les autorités municipales ordonnent la destruction par le feu de l'hôpital Riverhead pour cause d'insalubrité à la santé publique.

La tour Cabot et l'hôpital d'isolement Ross's Valley (à droite), s.d.
La tour Cabot et l'hôpital d'isolement Ross's Valley (à droite), s.d.
Cet établissement médical entre en service à Signal Hill dans les années 1890. C'est là que sont isolées les personnes atteintes de maladies épidémiques.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciale (Coll. 137 02.08.002), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Un autre établissement médical, l'hôpital Ross's Valley, entre en service à Signal Hill dans les années 1890. C'est là que sont isolées les personnes atteintes de fièvres, de la variole et d'autres maladies épidémiques. Situé dans un endroit reculé, il n'accueille pratiquement jamais de patients, car il est difficile d'accès. Abandonné, l'hôpital en état de délabrement dès le début du 20e siècle, est détruit par un incendie le 6 mai 1911. La police soupçonne de jeunes garçons d'avoir déclenché l'incendie, mais aucune accusation n'est portée. L'établissement n'a pas été reconstruit.

Les petites collectivités de l'île de Terre-Neuve

Au 19e siècle, des collectivités situées à l'extérieur de St. John's bénéficient, à un degré moindre, de services de soins de santé, notamment ceux d'un médecin. C'est le cas des plus grands villages côtiers comme Bonavista, Carbonear, Bay Roberts et Twillingate durant les années 1800. Plusieurs d'entre eux, originaires de la Grande-Bretagne ou de l'Irlande, s'installent à Terre-Neuve et au Labrador vers la fin du 18e ou au début du 19e siècle, par exemple les Dr Mayne de Bonavista et Dr William Fraser de Bay Roberts.

Les enfants des médecins des villages côtiers vont naturellement étudier la médecine au Royaume-Uni ou aux États-Unis, puis reviennent pratiquer dans leur collectivité ou une collectivité voisine. Un bon nombre de médecins parcourent de longues distances en bateau ou à cheval l'été, en raquettes ou en traîneaux à chiens l'hiver pour examiner des patients dispersés dans une multitude de petites collectivités.

Les sages-femmes aussi sont très occupées dans les collectivités de Terre-Neuve et du Labrador. Ces femmes, aussi appelées granny women, sont généralement plus âgées et soignent aussi les rhumes, les grippes et autres maladies. La plupart d'entre elles sont des mères de famille ayant appris leur métier auprès d'une sage-femme d'expérience. Elles sont payées en argent ou acceptent des légumes en guise de rémunération. Le plus souvent toutefois, les familles sont trop pauvres pour donner quoi que ce soit. Le gouvernement rémunère parfois des sages-femmes pour leurs services. Ainsi en 1899, Mary Tibbs reçoit 2$ pour un accouchement (Joyce Nevitt, White Caps 24).

Le nombre d'hôpitaux est très limité à l'extérieur de St. John's. L'épidémie de choléra qui sévit en 1832 pousse les habitants de la baie de la Conception à recueillir un montant suffisant pour la construction d'un hôpital sur le chemin Carbonear à Harbour Grace. Peu de temps après, il ferme ses portes. L'armée s'y installe et en fait des baraquements militaires jusqu'en 1862. Pour la plupart des collectivités de Terre-Neuve et du Labrador, les services d'un médecin sont souvent inabordables ou trop éloignés. Les gens font donc confiance aux remèdes populaires. Parmi ceux-ci, la graisse d'oie pour soulager les rhumes de poitrine, les airelles rouges (pain de perdrix) pour apaiser les maux de dos, la tisane d'écorce de cerisier pour arrêter la diarrhée et l'huile de foie de morue pour garder une bonne santé. C'est la maîtresse de maison qui habituellement décide du remède et l'administre, en plus de transmettre ces connaissances à ses filles.

Le Labrador

Au tournant du 19e siècle, le Labrador est encore moins bien pourvu en services médicaux que l'île de Terre-Neuve. Durant une grande partie de ce siècle, et mise à part la présence des sages-femmes, seuls les missionnaires moraves prodiguent des soins médicaux dans la région. À la distribution de médicaments, en provenance de la Grande-Bretagne et d'ailleurs, s'ajoutent les amputations et autres interventions chirurgicales urgentes que ces missionnaires doivent parfois pratiquer. La majorité d'entre eux pourtant n'ont aucune formation médicale, et les autres ne peuvent venir en aide qu'à une minorité en raison de la dispersion de la population.

Les habitants du Labrador se rabattent en grand nombre sur des remèdes traditionnels pour soigner les infections et les blessures. Le taux de mortalité associé à la tuberculose et d'autres maladies est très élevé. Lorsque le médecin Wilfred Grenfell (originaire de Grande-Bretagne) se rend au Labrador, en 1892, il constate avec effarement l'absence de soins de santé. Il lance une campagne de financement plus tard cette année-là et parvient à construire un hôpital à Battle Harbour en 1893 et un autre à Indian Harbour en 1894.

Wilfred Grenfell, vers 1910
Wilfred Grenfell, vers 1910
Wilfred Grenfell fonde un hôpital à Battle Harbour en 1893 et un autre à Indian Harbour en 1894.
Tiré de Down to the Sea, de Wilfred T. Grenfell, Fleming H. Revell Company, New York, 1910, p. 192.

Les efforts du Dr Grenfell amènent l'ouverture d'hôpitaux ou d'infirmeries à St. Anthony (1901), Harrington Harbour (1906), Forteau (1908), et d'autres collectivités du Labrador et du nord de l'île de Terre-Neuve. Bon nombre de médecins et d'infirmières chevronnés, venus de Grande-Bretagne et des États-Unis, se portent volontaires pour travailler dans ces établissements. Ils se déplacent souvent en traîneaux à chiens, en raquettes ou en bateau pour se rendre dans des collectivités éloignées. En plus de ses hôpitaux, l'organisme International Grenfell Association (IGA) déploie aussi des bateaux-hôpitaux pour faire le tour des villages côtiers isolés, distribuer des fournitures médicales et traiter les malades et les blessés.

Cet organisme (IGA) continue sa prestation de services médicaux à Terre-Neuve et au Labrador jusqu'en 1981. Il cède alors à la province les infirmeries, les hôpitaux, le matériel et autres ressources médicales dont il est responsable. De nos jours, la régie régionale de la santé Labrador-Grenfell offre des soins de santé aux habitants du Labrador et de la partie septentrionale de la péninsule Great Northern.

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Vidéo: La médecine au 19e siècle à Terre-Neuve et au Labrador