L'histoire des soins infirmiers à Terre-Neuve-et-Labrador

Les soins infirmiers occupent une fonction vitale dans le vaste réseau de santé actuel, que ce soit dans les hôpitaux, les centres de soins de santé, les cliniques, et les postes de soins infirmiers situés en région rurale. Les infirmières et infirmiers jouent également le rôle d'agents d'information en matière de santé auprès de la population. Les soins infirmiers, aussi bien en milieu hospitalier qu'à domicile, font partie de l'histoire de Terre-Neuve-et-Labrador depuis la colonisation européenne. Toutefois, ce n'est qu'au cours du siècle dernier que les soins infirmiers sont devenus l'un des piliers du réseau de la santé, et que la profession jouit du respect et du statut qu'elle mérite.

Les débuts

Au moins jusqu'à la deuxième moitié du 19e siècle, les soins infirmiers à Terre-Neuve et au Labrador ne sont pas professionnalisés. Ce sont les femmes au foyer qui, entre autres tâches domestiques, doivent prendre soin des personnes âgées et des malades. Ces femmes sont rarement rémunérées, et celles qui le sont n'ont pas d'autres choix en raison d'une situation personnelle difficile, par exemple quand elles deviennent veuves. Sans connaissance réelle des maladies, de la nutrition et autres problèmes médicaux, il était hasardeux pour elles d'offrir des soins aux malades à domicile. Elles offrent par contre l'avantage de fournir des soins plus personnalisés, ce qui se révèle souvent plus difficile dans un grand hôpital. Avec le temps, la progression des exigences médicales fait des hôpitaux les principaux centres de soins médicaux. La nécessité des soins infirmiers dans ces établissements constitue une étape cruciale dans le développement de la profession.

Les premiers hôpitaux sont construits au début du 19e siècle. Les personnes embauchées assurent les soins médicaux élémentaires, les tâches ménagères, comme la cuisine et le ménage, et l'administration courante. Hommes et femmes remplissent ces fonctions. Étant parfois d'anciens patients sans véritable formation et souvent illettrés, ils apprennent au travail les soins à donner. En 1869, à l'hôpital Riverhead de St. John's, le Dr Charles Crowdy est consterné de constater que le personnel infirmier est incapable de lire le mode d'emploi sur les flacons de médicaments. Il donne alors des cours d'alphabétisation le soir.

Ce travail mal rémunéré est sous-estimé. Même si le personnel infirmier reçoit un salaire supérieur à celui du personnel domestique, les médecins se plaignent souvent de la difficulté à engager des femmes désireuses de remplir cette tâche. Les conditions de travail en sont vraisemblablement la cause. Les infirmières de l'hôpital Riverhead (situé à l'emplacement actuel du parc Victoria) vivent dans des conditions déplorables au sous-sol de l'hôpital. Elles sont souvent victimes des affections qu'elles tentent de soigner. Ainsi, Janet Cowan, nommée infirmière-chef à l'hôpital de St. John's en 1860, décède de la tuberculose en 1865. Elle l'a probablement contractée à son lieu de travail. En 1870, la situation inquiétante qui prévaut à l'hôpital Riverhead force les patients et le personnel à emménager dans un hôpital récemment abandonné par l'armée sur le chemin Forest. L'hôpital Riverhead continue toutefois d'accueillir les malades atteints de fièvres jusqu'en 1888.

Les congrégations religieuses se consacrent également aux soins à domicile et dans les hôpitaux. La congrégation Sisters of Mercy, arrivée d'Irlande en 1842 à la demande de Mgr Fleming, ouvre des écoles et soigne les malades. Ces religieuses remplissent leur mandat dans des conditions lamentables. Elles sont exposées au typhus, au choléra et à la variole lorsqu'elles s'occupent des malades, nettoient les maisons contaminées et préparent les corps à l'inhumation. Les entrepreneurs de pompes funèbres refusent en effet souvent cette tâche par crainte des infections.

Au 20e siècle, les congrégations religieuses sont les fondatrices de plusieurs hôpitaux de St. John's. En 1913, sœur Mary Clare du Presentation Convent ouvre la White House, un refuge pour jeunes filles sur le chemin Lemarchant. Ce refuge se transforme en hôpital en 1922. Il est rebaptisé St. Clare's Mercy Hospital en 1939. Les religieuses de cette congrégation composent la majorité du personnel infirmier. Le Dr William Roberts met sur pied une maternité, le Grace Maternity Hospital, en 1923. Il avait auparavant ouvert à son domicile un petit hôpital pour femmes. Il fait appel à l'Armée du Salut pour l'implantation d'une véritable maternité. Les premières infirmières pédiatriques de cet hôpital sont justement des membres de l'Armée du Salut provenant du Nouveau-Brunswick. À cette époque, l'évolution des exigences médicales et la volonté de lutter contre les maladies mettent en relief l'importance de la formation. La majorité des hôpitaux instaurent donc des écoles de sciences infirmières.

Les écoles de sciences infirmières

À St. John's et ailleurs, les soins que dispensent les hôpitaux et les couvents nécessitent la formation d'infirmières. Le corps infirmier des armées en conflit lors de la guerre de Sécession (1861-1865) et de la guerre de Crimée (1853-1856) représente un niveau d'excellence. La plus célèbre des infirmières, Florence Nightingale, fonde la première véritable école de sciences infirmières à Londres en 1860. À la fin de ce siècle, la profession d'infirmière est dorénavant reconnue grâce à ces établissements d'enseignement.

Une infirmière de St. John's, Mary Southcott, formée à Londres, fonde en 1903 l'école de sciences infirmières du General Hospital. Les infirmières ont enfin droit à une solide formation. Les quatre premiers diplômes sont décernés en 1906. Dans les années 1920, 10 infirmières par année y reçoivent une formation. Lorsqu'elle élargit sa vocation et devient le Grace General Hospital, la maternité Grace, qui offrait auparavant un programme de formation de sage-femme de 18 mois, propose en 1929 un programme de soins infirmiers d'une durée de trois ans. L'école de sciences infirmières St. Clare's ouvre ses portes en 1939.

Les étudiantes vivent en pension dans ces écoles et l'influence des congrégations religieuses est forte. Ces circonstances en font essentiellement une profession féminine. Dans la deuxième moitié du 19e siècle, les hôpitaux comptent du personnel infirmier masculin, mais dans les années 1920 et 1930, le personnel est principalement féminin. Les hôpitaux exigent désormais des infirmières diplômées en sciences infirmières spécialisées. Les écoles de sciences infirmières, par l'intermédiaire de programmes structurés, en font vraiment une profession dotée de compétences pertinentes.

La pratique infirmière en milieu rural, des années 1920 aux années 1940

Avant les années 1920, peu d'infirmières exercent leur profession à l'extérieur de St. John's. Plusieurs organismes tentent de remédier à la situation par du recrutement à l'étranger et le financement de leur affectation en milieu rural. L'un d'entre eux est l'organisme Grenfell Association qui recrute des infirmières en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord depuis les années 1890. Celles-ci sont ensuite assignées au sud du Labrador et dans le nord de l'île de Terre-Neuve, dans des collectivités éloignées.

Infirmière et enfant à l'hôpital de St. Anthony, vers 1923
Infirmière et enfant à l'hôpital de St. Anthony, vers 1923
Les infirmières des régions rurales, dont la collectivité de St. Anthony fait partie, offrent des soins de santé primaires à des centaines de patients, et travaillent dans des hôpitaux, des postes de soins infirmiers isolés, et à domicile.
Photographe inconnu. Tiré de l'album photo de l'organisme Grenfell Mission, Archives d'histoire maritime. Reproduit avec la permission du service des Archives d'histoire maritime (PF-325.032), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La contribution des infirmières de l'organisme Grenfell Association à la santé publique est sans contredit utile, mais de portée géographique limitée. Pour sa part, la Outport Nursing and Industrial Association (NONIA) cherche à fournir des services infirmiers au reste du territoire terre-neuvien. Appelé initialement Outport Nursing Committee en 1920, ce comité, sous la direction de lady Constance Maria Harris (épouse du gouverneur sir Alexander Harris), se concentre sur la prestation des soins infirmiers en région éloignée. Le comité parvient à recueillir une somme représentant la moitié du salaire des infirmières, et le gouvernement verse l'autre moitié. Le comité engage donc six infirmières en 1920, mais peine à les retenir lorsque leur contrat de deux ans vient à échéance. En 1924, lady Elsie Allardyce (l'épouse d'un autre gouverneur) procède à une réorganisation du comité qui portera dorénavant le nom de Outport Nursing and Industrial Association (NONIA). La nouvelle stratégie visant à financer le recrutement et la rémunération des infirmières prévoit l'achat et la revente de tricots fabriqués par les femmes des régions rurales. Des subventions gouvernementales complètent ce financement.

En 1926, l'organisme NONIA compte 12 infirmières. Entre 1921 et 1934, elles déploient leurs services dans 29 collectivités et traitent 83 000 patients. En 1934, le gouvernement prend en charge la prestation des soins infirmiers dans les zones rurales. À cette époque, les huit infirmières de l'organisme sont transférées au ministère de la Santé et du Bien-être publics. L'organisme poursuit la commercialisation des produits du tissage et du tricot. En 1949, 840 personnes participent à la confection de ces articles. En 2017, l'organisme sans but lucratif continue la vente de produits artisanaux fabriqués par environ 175 femmes de la province dans sa boutique de la rue Water. (Pour de plus amples renseignements, voir Health Care Organizations, version anglaise)

Inspirée par le succès des organismes Outport Nursing and Industrial Association (NONIA) et Grenfell, la Commission de gouvernement met en place, en 1934, un réseau de soins infirmiers de district. Elle expédie les infirmières recrutées dans des collectivités éloignées. En général très autonomes, elles doivent pouvoir remplir leurs activités sans assistance médicale. Leurs responsabilités englobent les cas de grossesse, la santé à l'école, la nutrition, le bien-être des enfants et les autres besoins en santé de la collectivité. Il y a 54 infirmières de district en activité en 1936. En 1937, la Commission de gouvernement établit un deuxième réseau de soins infirmiers, le service de santé publique. Les deux réseaux fusionnent en 1941. En 1944, 94 infirmières de district travaillent à Terre-Neuve dont une bonne partie dans des pavillons hospitaliers. Beaucoup d'autres œuvrent seules sans être rattachées à un médecin ou à un établissement médical d'envergure.

Médecin et personnel hospitalier, vers 1947
Médecin et personnel hospitalier, vers 1947
Le Dr C. A. Forbes et le personnel du pavillon hospitalier à Bonavista. À l'arrière (g à d), B. H. Dunn, le Dr C. A. Forbes et Abel Mouland. À l'avant (g à d), Aggie Cramm, aide-infirmière, une infirmière non identifiée, et Joan March, aide-infirmière. L'hôpital a ouvert ses portes en juillet 1940.
Photographe inconnu. Tiré du Fonds de la famille Forbes, Archives d'histoire maritime. Reproduit avec la permission du service des Archives d'histoire maritime (PF-318.280), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les soins infirmiers après l'entrée dans la Confédération

L'entrée de Terre-Neuve et du Labrador dans la Confédération s'accompagne d'une hausse du financement, de régimes de pensions de vieillesse et d'assurance maladie, et d'un programme d'allocations familiales. Le régime d'assurance maladie améliore l'accès aux soins de santé, mais accentue aussi le besoin d'infirmières dûment formées. En 1958, la province s'associe au programme d'assurance hospitalisation fédéral-provincial, puis au régime d'assurance de soins médicaux complémentaire en 1968. Bon nombre de personnes réclament avec insistance une réglementation et l'exercice d'un contrôle des soins infirmiers. En 1954, un organisme de surveillance, l'Association of Registered Nurses of Newfoundland and Labrador (ARNNL) [l'association des infirmières et infirmiers autorisés] est donc mis sur pied pour la sécurité du public.

Les couvents et les écoles-pensionnats de sciences infirmières ne sont plus les principaux établissements de formation et de certification. La profession accepte de nouveau les candidats masculins. Dans les années 1970, des infirmiers sortent fraîchement diplômés des facultés de sciences infirmières à St. John's et à Corner Brook. Ils font maintenant partie intégrante du système de santé. L'école de sciences infirmières du centre de santé Western Memorial à Corner Brook reçoit ses premiers étudiants et étudiantes en 1969. En 2017, il y avait trois établissements de formation dans la province, dont deux à St. John's (la Memorial University of Nursing et le Centre for Nursing Studies) et un à Corner Brook (la Western Regional School of Nursing).

Depuis les années 1970, la liste des compétences nécessaires ne cesse de s'allonger pour les infirmières et infirmiers. Un baccalauréat en sciences infirmières est maintenant obligatoire pour les infirmières et infirmiers autorisés qui amorcent une carrière à Terre-Neuve-et-Labrador. Un diplôme de maîtrise n'est plus rare. En 2017, environ 6300 infirmières, infirmiers, infirmières praticiennes et infirmiers praticiens occupaient tous les secteurs du réseau de la santé.

English version