La Commission de gouvernement et les soins de santé

L'un des principaux objectifs de la Commission de gouvernement à son entrée en fonction est l'amélioration des soins de santé à Terre-Neuve et au Labrador. Au cours de son mandat qui a duré 15 ans, elle implante un peu partout sur le territoire des pavillons hospitaliers (cottage hospitals) et des postes de soins infirmiers. Elle augmente la capacité en lits des hôpitaux et exploite un navire-hôpital affecté aux collectivités éloignées. Elle amorce aussi une réforme des habitudes alimentaires dans l'espoir d'améliorer l'état de santé général de la population. Elle crée un bureau d'aide à l'enfance, met sur pied une clinique de puériculture et présente une législation en matière d'adoption. Enfin, elle soutient un programme de supplément alimentaire destiné aux écoliers, notamment la distribution d'une boisson maltée, le Cocomalt.

L'hôpital General de St. John's, s.d.
L'hôpital General de St. John's, s.d.
La Commission de gouvernement fait construire une nouvelle aile à l'hôpital General et implante des pavillons hospitaliers sur tout le territoire.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 02.04.007), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Il n'en demeure pas moins qu'offrir à la population de Terre-Neuve et du Labrador des soins de santé de meilleure qualité exige du gouvernement de vastes efforts. La prestation de services médicaux abordables est difficile à réaliser en raison de la dispersion des petites collectivités. La lourde dette publique oblige la Commission à réajuster ses plans d'améliorer les services de santé, et ce, même en faisant abstraction de la pénurie de médecins et d'infirmières formés.

Les soins de santé pendant la Grande Dépression

L'enveloppe budgétaire consacrée aux soins de santé diminue au même rythme que s'aggrave la crise économique des années 1930. Le gouvernement du premier ministre Richard Squires effectue une compression des dépenses qui touche les hôpitaux et les soins médicaux aux pauvres. À la même époque, le chômage frappe durement des milliers de personnes. Une extrême pauvreté s'abat donc sur une partie de la population. De nombreuses familles ne peuvent même plus chauffer leur domicile ou n'ont plus les moyens de se nourrir convenablement.

Une infirmière et des enfants blessés à l'hôpital St. Anthony, vers 1922.
Une infirmière et des enfants blessés à l'hôpital St. Anthony, vers 1922.
Lors de son entrée en fonction en 1934, l'un des premiers objectifs de la Commission de gouvernement consiste à améliorer la santé et le bien-être des enfants de Terre-Neuve et du Labrador.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-325.025), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le béribéri, la tuberculose et d'autres infections ont en commun la malnutrition comme élément contributif. Les enfants en sont les premières victimes. Le taux de mortalité infantile est en effet très élevé à cette époque. Il faut payer pour obtenir des soins de santé, ce qui les rend inaccessibles à un grand nombre de personnes. Ceux qui peuvent se le permettre doivent souvent parcourir un long trajet avant de recevoir des soins, particulièrement dans les régions rurales.

À son entrée en fonction en février 1934, la Commission libère le ministère de la Santé et du Bien-être publics de la tutelle du Secrétariat à la colonie. Maintenant autonome, ce ministère a pour priorités immédiates l'amélioration des services hospitaliers en régions rurales, la gestion et le traitement de la tuberculose et d'autres maladies infectieuses, de meilleurs services à l'enfance et la diminution de la malnutrition.

La réforme alimentaire

La Commission dispose d'un maigre budget pour la santé. Elle choisit donc d'entreprendre une réforme des habitudes alimentaires. C'est une stratégie peu coûteuse et un moyen relativement rapide d'améliorer l'état de santé général de la population et de réduire l'éclosion de maladies comme le béribéri et la tuberculose. Elle reconnaît qu'il y a carence alimentaire. Un sol pauvre et peu propice à la culture maraîchère limite la variété des aliments. De plus, de nombreuses familles ne peuvent pas se payer de produits alimentaires. Au moins un tiers des 300 000 habitants du territoire reçoivent des indemnités de chômage dans les années 1930. Ceux-ci comptent aussi sur les rations distribuées par le gouvernement. Pourtant, elles ne comblent que la moitié des besoins nutritionnels d'une personne et se composent généralement de farine, de porc, de pois cassés, de semoule de maïs, de mélasse et de cacao.

La farine blanche est une denrée de base dans tous les foyers, mais sa valeur nutritive est très faible. D'ailleurs, des médecins l'accusent d'être responsable des trop nombreux cas de béribéri. Vers la fin de 1934, la Commission la remplace donc dans les rations par de la farine de blé entier riche en nutriments. Cette substitution s'accompagne de nombreuses plaintes. On lui reproche une cuisson difficile, une durée de conservation écourtée et un goût désagréable. Les autorités gouvernementales tiennent à la farine de blé entier, car elle coûte moins cher que l'ajout d'une variété de légumes et de produits nutritifs.

À Twillingate, le médecin John Olds jette le blâme sur le gouvernement pour la pauvreté nutritionnelle des rations et la multiplication des cas de béribéri dans la première moitié des années 1930. « Les rations fournissaient tout juste 1200 calories et pas une seule vitamine à l'horizon », déclare-t-il en 1981 lors d'une réunion de l'association des parents et enseignants. « Les gens avaient besoin d'au moins 1200 calories supplémentaires et l'apport de vitamines pour rester en relative bonne santé. Autrefois, le béribéri ne représentait pas un problème. Le coupable était ce système de rations. » Le Dr Olds plaidait aussi à l'époque pour l'ajout de jus de tomate et d'autres aliments enrichis de vitamine C aux rations pour diminuer les maladies carentielles.

En 1936, le gouvernement entame la distribution gratuite dans les écoles d'une boisson maltée, enrichie de vitamine D et de calcium, appelée Cocomalt. Il propose en 1944 une farine blanche contenant de la riboflavine, de la thiamine, de la niacine et du fer. De plus, durant la Deuxième Guerre mondiale, les travailleurs locaux occupent des milliers d'emplois sur les bases militaires à St. John's, Stephenville et ailleurs. La majorité des habitants de Terre-Neuve et du Labrador peuvent dorénavant se payer des produits alimentaires.

Les services hospitaliers et médicaux

La Commission ne se contente pas d'une réforme alimentaire, car elle saisit aussi l'importance d'agrandir les hôpitaux existants et d'en bonifier les services. Mis à part les hôpitaux établis par la mission Grenfell au Labrador et dans le nord de l'île de Terre-Neuve, il n'existe que 12 hôpitaux, dont 6 à St. John's. La capacité en lits ne suffit plus. Les tuberculeux et personnes atteintes d'autres maladies infectieuses doivent donc rester à la maison. Cette situation favorise la contamination des membres de la famille et des amis.

En 1935, la Commission veille alors à l'établissement de pavillons hospitaliers dans les villages côtiers plus importants. Un pavillon hospitalier comprend en général un ou deux médecins, un nombre restreint d'infirmières et une capacité en lits variant entre 10 et 30. Les membres du personnel hospitalier y offrent des soins de santé abordables, une formation de sage-femme et de l'information en matière d'hygiène publique. En 1942, le gouvernement ouvre 13 pavillons hospitaliers, entre autres dans les localités d'Argentia, Bonavista et la région de la baie Bonne.

Des membres du personnel du pavillon hospitalier de Bonavista, vers 1947
Des membres du personnel du pavillon hospitalier de Bonavista, vers 1947
Un pavillon hospitalier comprend en général un ou deux médecins, un nombre restreint d'infirmières et une capacité en lits variant entre 10 et 30.
Photographe inconnu. Avec la permission des Services d'histoire maritime (PF-318.280), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

C'est le tout premier exemple de soins de santé publics subventionnés par paiements anticipés à Terre-Neuve, au Labrador et même en Amérique du Nord. Toutefois, l'hôpital privé mis sur pied par le Dr John Olds à Twillingate est véritablement celui qui offre la première version d'une assurance maladie. Lorsque la Commission resserre le financement de l'hôpital en 1934, le Dr Olds imagine alors un régime de paiements anticipés qui financeraient les dépenses de son établissement hospitalier. Les habitants verseraient un montant annuel de 44 cents afin de bénéficier de soins de santé accessibles. La Commission s'en inspire ensuite dans ses pavillons hospitaliers.

Même si les villages côtiers isolés de la côte méridionale de l'île ont accès à des pavillons hospitaliers, leurs habitants peuvent également obtenir des soins grâce au navire-hôpital MV Lady Anderson, mis en service par la Commission en 1935. Un médecin et une infirmière y offre en tout temps des soins médicaux aux populations des collectivités côtières éloignées. Les infirmières et autres professionnels de la santé déjà en poste dans les régions éloignées peuvent, au besoin, obtenir de l'aide en télégraphiant au navire-hôpital.

Le gouvernement ouvre aussi des postes de soins infirmiers dans les régions rurales et assume rapidement la prestation de tous les services infirmiers après son entrée en fonction. Il prend à sa charge les huit infirmières de l'organisme caritatif privé Newfoundland Outport Nursing and Industrial Association. Depuis 1924, ce dernier offrait aux habitants des régions rurales des soins infirmiers abordables.

La Commission laisse à la mission Grenfell la responsabilité des services médicaux qu'elle offre déjà au Labrador et la soutient dans ses interventions visant à améliorer la santé publique et le bien-être collectif. Parmi celles-ci, l'ouverture d'hôpitaux, d'écoles et d'orphelinats dans le sud-est du Labrador, de magasins coopératifs, ainsi que le soutien d'exploitations agricoles et forestières.

À St. John's, la Commission se concentre surtout sur l'augmentation de la capacité en lits dans les hôpitaux de la ville ainsi qu'à ralentir la fréquence d'éclosion de maladies infectieuses, notamment la tuberculose. Elle agrandit le sanatorium et fait passer le nombre de lits de 113 à 250. Elle organise aussi une clinique ambulante de détection de la tuberculose dans la péninsule d'Avalon.

Ces efforts ne semblent pas diminuer le taux très élevé de propagation de la tuberculose à Terre-Neuve et au Labrador. Le nombre de lits est insuffisant pour accueillir tous les tuberculeux. Un grand nombre ne quitte pas leur foyer et expose les membres de leur famille à la maladie. Le ministère de la Santé et du Bien-être publics cherche à circonscrire ces risques. Il procure des lits à ces malades et parfois les isole dans une chambre à part dans leur domicile. Le Dr John Olds toutefois ne se gêne pas pour critiquer la Commission. Il écrit d'ailleurs à un collègue en septembre 1936 qu'elle serait plus qu'heureuse d'ignorer ce problème.

La santé et le bien-être des enfants

D'autre part, la Commission adopte des mesures qui permettent d'améliorer substantiellement la santé et le bien-être des enfants à Terre-Neuve et au Labrador. Elle ouvre à St. John's une clinique de puériculture. Elle fait la promotion dans les établissements scolaires de l'éducation sanitaire. Elle assure le financement des enfants désireux de fréquenter l'établissement pour personnes atteintes de cécité de Halifax. Finalement, elle met sur pied un bureau d'aide à l'enfance au sein du ministère de la Santé et du Bien-être publics.

Des enfants à l'hôpital St. Anthony, vers 1922
Des enfants à l'hôpital St. Anthony, vers 1922
La Commission de gouvernement a travaillé à l'amélioration des soins de santé aux enfants de Terre-Neuve et du Labrador.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des services maritimes (PF-325.036), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Dans les années 1940, le gouvernement fait adopter une législation qui garantit la protection des enfants et des mères célibataires. Il promulgue d'abord en 1940 une loi qui encadre pour la toute première fois les mécanismes d'adoption. Cette loi est suivie en 1944 d'une loi sur la protection de l'enfance. Cette dernière loi permet au bureau d'aide à l'enfance de venir en aide aux mères célibataires ainsi qu'aux enfants maltraités, abandonnés et sans domicile.

La prospérité en temps de guerre

La Deuxième Guerre mondiale est également synonyme de prospérité à Terre-Neuve et au Labrador. La Commission peut donc financer une bonification des soins de santé. Une nouvelle aile s'ajoute à l'hôpital General de St. John's. Un sanatorium de 250 lits est construit à Corner Brook. La Commission ouvre d'autres pavillons hospitaliers et fait l'acquisition d'un deuxième navire-hôpital, le Christmas Seal, pour soigner les habitants des villages côtiers. Après la guerre, les forces canadiennes et américaines cèdent une bonne partie de leurs hôpitaux à la Commission de gouvernement, dont ceux à Goose Bay, à l'île de Fogo, à Botwood, à Gander et à St. John's.

L'hôpital de la Marine royale canadienne (MRC) à St. John's, 1942
L'hôpital de la Marine royale canadienne (MRC) à St. John's, 1942
Après la Deuxième Guerre mondiale, les forces armées américaines et canadiennes cèdent une grande partie de leurs hôpitaux à la Commission de gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador.
Photographe inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-137827).

À la fin de son mandat le 31 mars 1949, la Commission avait rempli ses objectifs en matière de santé publique. Elle avait plus que doublé la capacité en lits des hôpitaux, amélioré l'accès aux soins médicaux, et accru le rôle de l'État dans la santé et le bien-être publics. Pourtant, la malnutrition était encore répandue et le nombre de décès de la tuberculose s'élevait en moyenne à 100 par année. Après l'entrée de la province dans la Confédération, le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social du Canada lui accorde le financement nécessaire à la poursuite de sa réforme de la santé. En 1951, la province vaccine contre la tuberculose. Le nombre de décès chute à 20 en 1955 et à 3 en 1965.

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