Les pavillons hospitaliers et les soins de santé

On remet souvent en question le bien-fondé des mesures prises par la Commission de gouvernement dont le mandat, amorcé en 1934, prend fin en 1949 avec la Confédération. Nommée par le gouvernement britannique, la Commission de gouvernement entre en fonction alors que les dépenses publiques dépassent de loin les revenus de la colonie déjà accablée par une écrasante dette. Le chômage est élevé et la pauvreté se trouve partout. Malgré tout, elle parvient pendant son mandat à largement améliorer les soins de santé. Elle construit des hôpitaux en régions éloignées, fournissant ainsi aux populations rurales disséminées sur le territoire de véritables services médicaux et un accès à des médecins.

Auparavant, les médecins pratiquant en milieu rural se déplaçaient à domicile ou recevaient en cabinet leurs patients. En 1930, Terre-Neuve ne compte que 83 médecins. En effet, depuis 1911, 36 médecins sont partis et 31 d'entre eux concentraient leurs activités dans de grandes localités. Seules 62 collectivités sur 1300 ont accès à de rares médecins. Ces derniers ont très peu de matériel médical et il n'existe pas d'hôpitaux de proximité. La ville de St. John's est bien pourvue en hôpitaux et en cliniques, en plus d'un sanatorium. Il y a également un hôpital à Twillingate et à Grand Bank, et des hôpitaux administrés par les papetières et les minières pour leurs travailleurs de Corner Brook, Grand Falls et Buchans. L'Association Grenfell exploite des hôpitaux et des postes de soins infirmiers à St. Anthony, ainsi que dans la péninsule Northern et sur la côte du Labrador.

Les habitants des régions rurales n'y ont pas vraiment accès. La Commission de gouvernement entend fournir de meilleurs services médicaux à un nombre plus élevé de villages isolés. La pierre angulaire en est le pavillon hospitalier (cottage hospital).

Les pavillons hospitaliers

Le réseau des pavillons hospitaliers s'inspire du système de soins de santé en vigueur dans les zones rurales de l'Écosse où la population y est tout aussi éparpillée et parfois très isolée. Il s'élabore à partir des recommandations formulées en 1930 par la Commission royale des services de santé et organismes publics de bienfaisance. Celles-ci sont ensuite reprises dans le rapport de la Commission Amulree déposé en 1933. Cette dernière propose également la formation de la Commission de gouvernement. La construction de petits hôpitaux à des endroits stratégiques de la côte représente donc le meilleur choix.

Entre 1936 et 1954, 19 pavillons hospitaliers voient le jour à Terre-Neuve (à l'exception du Labrador et de la péninsule Northern où les hôpitaux et les postes de soins infirmiers déjà existants relèvent de l'Association Grenfell). Dans la plupart des cas, la Commission de gouvernement finance en partie seulement la construction des bâtiments. La population locale doit mettre la main à la pâte. Elle doit fournir les matériaux de construction, la main-d'œuvre, et même le terrain. Par ailleurs, les hôpitaux construits par les forces armées sont cédés plus tard au gouvernement terre-neuvien, et le gouvernement américain subventionne directement la construction d'un hôpital.

Le pavillon hospitalier de Bonavista, s.d.
Le pavillon hospitalier de Bonavista, s.d.
Le pavillon hospitalier de Bonavista ouvre en 1940. Il compte 20 lits, deux chambres individuelles, un appareil de radiographie, une pouponnière et une salle d'opération.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-318.300), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les premiers pavillons hospitaliers ouvrent leurs portes en 1936 à Argentia, Old Perlican, Markland, Burgeo, Harbour Breton, Come by Chance et Burin. Celui de Stephenville Crossing entre en activité en 1937, ceux de Bonavista et de la baie Bonne en 1940, et enfin, celui de Grand Bank en 1941. Le pavillon hospitalier de Placentia, ouvert en 1942, prend la relève de celui d'Argentia, exproprié pour la construction de la base navale américaine. Le pavillon hospitalier de Brookfield entame ses activités en 1944, et ceux de Gander et de Botwood en 1946. D'abord un hôpital militaire de l'Aviation royale canadienne (ARC), le pavillon hospitalier de Gander, après réduction de sa superficie, est rénové et renommé Banting Memorial Hospital du nom du Dr Frederick Banting. Il en va de même du pavillon hospitalier de Botwood dont la première vocation était celle d'un hôpital de l'armée canadienne réservé au personnel de l'hydrobase pendant la guerre. Il est cédé au gouvernement à la fin du conflit.

Le pavillon hospitalier de Channel-Port aux Basques est le premier que bâtit la nouvelle province. Il entre en fonction en juin 1952. Dans la même année, Fogo et Springdale sont aussi dotés de pavillons hospitaliers.

Le 19e et dernier pavillon hospitalier, le United States Memorial Hospital à St. Lawrence, est inauguré en 1954. À la suite d'une campagne de financement lancée par les survivants du naufrage des navires Pollux et Truxtun en février 1942, le gouvernement américain verse 400 000 $ pour sa construction. Rescapés par les habitants des collectivités de St. Lawrence et Lawn, ces survivants veulent ainsi commémorer le drame et démontrer leur gratitude.

Le personnel hospitalier et les services médicaux

Chaque pavillon hospitalier comprend au moins un médecin, plusieurs infirmières et du personnel auxiliaire. Les pavillons hospitaliers ont généralement deux salles communes, l'une réservée aux femmes et l'autre aux hommes, et une ou deux chambres individuelles ou d'isolation, pour un total de 12 à 40 lits. La plupart des pavillons sont équipés d'un appareil de radiographie. Les chirurgies courantes et moins graves telles les appendicectomies et les tonsillectomies sont effectuées sur place. Les cas plus importants sont transférés vers de plus gros hôpitaux à St. John's ou Corner Brook. La majorité possède également une pouponnière et des incubateurs, car les soins maternels sont une priorité. Les pavillons hospitaliers jouent également le rôle de pharmacie et distribuent les médicaments.

Des aides-infirmières avec des patients, s.d.
Des aides-infirmières avec des patients, s.d.
Les aides-infirmières Joan March (gauche) et Aggie Cramm avec des patientes au pavillon hospitalier de Bonavista.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-318.290), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Au départ, la zone de service de tous les pavillons hospitaliers compte environ 200 000 habitants. Lorsqu'ils atteignent leur rendement maximal, les pavillons accueillent en moyenne presque 17 000 patients par an. Le nombre de patients à l'externe est encore plus élevé. Ainsi, celui d'Old Perlican admet annuellement à peu près 1000 patients, mais il en traite à l'externe presque 20 000.

Les autres services médicaux

La dissémination des pavillons hospitaliers dans l'île vise à faciliter l'accès à des soins médicaux au plus grand nombre de personnes possible. Toutefois, l'éloignement extrême et la pénurie de moyens de transport restent un obstacle de taille. Afin d'y remédier, la Commission de gouvernement établit de petits postes de soins infirmiers et favorise l'utilisation de bateaux qui deviennent à la fois cliniques et dispensaires ambulatoires.

Au cours de l'élaboration du réseau des pavillons hospitaliers, Terre-Neuve exploite déjà un réseau de soins infirmiers de district. Celui-ci recrute les infirmières et les affecte dans des collectivités éloignées. Il ne fait qu'emboîter le pas de l'Association Grenfell, qui a mis en place son réseau en 1908, et de l'organisme Outport Nursing Industrial Association (NONIA), qui a établi le sien en 1920. En 1934, le réseau de soins infirmiers de district relève dorénavant du ministère de la Santé et du Bien-être publics. Lors de l'installation du réseau des pavillons hospitaliers en 1936, de nombreuses infirmières se rapportent au système hospitalier. Cette année-là, le ministère compte 54 infirmières de district, et en 1940, 96. Elles sont souvent assignées à de petites collectivités privées d'un pavillon hospitalier ou d'un médecin. Elles sont capables de procéder à des anesthésies et à des extractions dentaires, et à effectuer de simples interventions chirurgicales comme des tonsillectomies. En 1947, les cinq postes de soins infirmiers comportent chacun 2 à 6 lits. De plus, 32 infirmières de district travaillent dans des collectivités sans médecins.

La Commission de gouvernement cherche à offrir des soins de santé à un nombre toujours plus élevé d'habitants. Elle achète donc en 1935 le navire-hôpital MV Lady Anderson, un yacht reconverti. Un médecin, assisté d'une ou deux infirmières, y fournit des services médicaux. Le MV Lady Anderson dessert les habitants de la côte méridionale de Terre-Neuve, l'une des régions les plus isolées de l'île. Après l'acquisition de cinq bateaux-caravanes de taille plus modeste et susceptibles de répondre aux besoins de cette région, le gouvernement expédie le navire-hôpital Lady Anderson dans la baie Placentia où il reste en service jusqu'en 1967. Ces cinq bateaux-caravanes portent tous le nom d'un premier ministre de Terre-Neuve : CC (cabin cruiser) Robert Bond, CC William Carson (rebaptisé plus tard CC Richard Squires pour ne pas le confondre avec le nouveau traversier MV William Carson), CC John Kent, CC William Whiteway et CC Philip Little. Ils entrent en activité entre 1950 et 1962. Le personnel médical reçoit à bord les patients de collectivités éloignées. Le dernier bateau-caravane est retiré en 1983.

Les débuts d'une assurance maladie

Une caractéristique propre aux pavillons hospitaliers est la mise en vigueur d'une première version de l'assurance maladie. Une personne ou une famille doit verser une cotisation au pavillon hospitalier pour avoir droit à des soins médicaux. D'abord fixée à 10 $ par famille et à 5 $ par personne, cette cotisation finit par atteindre 15 $ et 7,50 $ respectivement. S'il n'y a que des postes de soins infirmiers, la cotisation se situe à 3 $ par personne et à 6 $ par famille. D'ailleurs, un mode de paiement semblable existait autrefois dans les villages côtiers. Les familles versaient un montant annuel au médecin par l'intermédiaire du commerçant local. Ce montant payait ses honoraires et la plupart des interventions médicales sauf les accouchements et les soins dentaires.

La fin des pavillons hospitaliers

Au cours des dernières décennies du 20e siècle, l'amélioration des moyens de transport a simplifié l'accès à des hôpitaux modernes et centralisés. Ceux-ci ont pris le relais des pavillons hospitaliers. Pour de nombreuses collectivités, une clinique remplace dorénavant le pavillon hospitalier. Elle offre surtout à l'externe les soins médicaux habituels. Les cas les plus graves sont envoyés vers les grands hôpitaux de la région. Durant leur existence, les pavillons hospitaliers ont permis à la population de Terre-Neuve de bénéficier d'un accès sans précédent à des soins de santé. Ils sont alors devenus un pilier des collectivités.

Les ouvrages portant sur les pavillons hospitaliers

La médecine en milieu rural occupe une place importante dans les annales et les comptes rendus historiques. La popularité des livres de Wilfred Grenfell sur le travail qu'il a accompli dans le nord ne se dément pas. De nombreux ouvrages racontent l'historique des pavillons hospitaliers et leur contribution à la santé de la population. Ils reflètent bien la perception qu'entretiennent les gens et l'interprétation qu'ils font de leur propre histoire.

- MURPHY. Noel. Cottage Hospital Doctor: the Medical Life of Dr. Noel Murphy 1945-1954, Creative Publishers, 2003. Né à Londres, Noel Murphy a grandi à St. John's. Après la Deuxième Guerre mondiale, il occupe les fonctions de médecin au pavillon hospitalier de la baie Bonne à Norris Point, de 1945 à 1954. Il évolue ensuite dans le monde politique et la radiodiffusion.

- CRELLIN, John K. The Life of a Cottage Hospital: the Bonne Bay Experience, Flanker, 2007. Ce livre illustré et truffé d'anecdotes raconte l'histoire du pavillon hospitalier de la baie Bonne à Norris Point.

- RUSTED, Dr Nigel. It's Devil Deep Down There, Creative, 1987. Ce livre captivant dépeint l'expérience de ce médecin à bord du Lady Anderson dans les années 1930.

- LAKE, Edward F. J. Capturing an Era: History of the Newfoundland Cottage Hospital System, Argentia Pilgrim, 2010. Cet ouvrage relate la genèse et l'évolution des pavillons hospitaliers de Terre-Neuve. Il explore également d'autres facettes du système de santé au 20e siècle. Il renferme de nombreuses anecdotes, des souvenirs, des photos et la reproduction en couleur de 20 peintures de pavillons hospitaliers de la peintre Nancy D. Caines.

Les pavillons hospitaliers de l'île de Terre-Neuve et leurs dates d'exploitation

1. Argentia (1936-1941) – Réservé aux travailleurs de la construction de la base navale américaine jusqu'à sa démolition en novembre et décembre 1942.

2. Old Perlican (1936-1986) – Rebaptisé Dr. A. A. Wilkinson Memorial Hospital en 1986. Remplacé en 2001 par un nouveau centre de santé, le Dr. A. A. Wilkinson Memorial Health Centre.

3. Markland (1936-1984) – Remplacé en 1984 par le centre de santé Whitbourne Community Health Centre. L'ancien édifice est devenu un établissement vinicole et une distillerie, le Rodrigues' Markland Cottage Winery.

4. Burgeo (1936-1993) – Remplacé en 1993 par un nouveau centre de santé, le Calder Health Care Centre, situé aussi à Burgeo. C'est l'hôpital Western Memorial de Corner Brook qui est responsable des cas graves et des interventions chirurgicales. Lorsque le pavillon hospitalier a fermé ses portes, des bureaux, un collège communautaire et une épicerie s'y sont succédé.

5. Harbour Breton (1936-2000) – Remplacé en 2000 par le centre de santé Connaigre Peninsula Health Centre, situé aussi à Harbour Breton. L'édifice a été démoli en 2006.

6. Come by Chance (1936-1986) – Fermé en 1986. C'est le centre médical régional Dr. G. B. Cross Regional Health Centre, à Clarenville, qui a pris la relève. L'édifice a été démoli cette année-là.

7. Burin (1936-1988) – Fermé en 1988 et remplacé par le nouveau centre de santé Burin Peninsula Health Centre. L'édifice a été démoli par section en 1991 et 2002.

8. Stephenville Crossing (1937-1967) – À la fermeture de la base américaine d'Ernest Harmon en 1966, le gouvernement a repris l'hôpital et l'a rénové pour qu'il réponde aux besoins de la population générale. Le pavillon hospitalier cesse alors ses activités. En 2003, un nouvel hôpital ouvre ses portes à Stephenville. Une partie de l'édifice original du pavillon hospitalier est démoli en 1980. Les sections préservées ont hébergé par la suite une clinique et des bureaux des Services sociaux.

9. Bonavista (1940-1984) – Le pavillon est fermé et remplacé en 1984 par le Bonavista Regional Hospital. L'édifice original a été démoli la même année.

10. Baie Bonne (1940-2002) – Remplacé par le centre de santé Bonne Bay Health Centre. Le pavillon hospitalier de Norris Point dans la baie Bonne a cessé ses activités en 2002. Il a changé de vocation et est devenu un musée et une bibliothèque, le Julia Ann Walsh Heritage Centre.

11. Grand Bank (1941-1989) – Fermé en 1989. La prestation de certains services médicaux s'est néanmoins poursuivie dans l'édifice original jusqu'à l'ouverture en 2008 du nouveau centre de santé Grand Bank Health Centre. Sa démolition était prévue pour 2010.

12. Placentia (1942-1996) – Remplacé par le centre de santé Placentia Health Care Centre en 1996. Souvent inondé, le vieux bâtiment a été démoli.

13. Brookfield (1944-1992) – À la suite de nombreuses rénovations et des modifications apportées à la gestion des soins de santé, il était toujours en activité en 2010, mais sous le nom de Brookfield-Bonnews Health Centre.

14. Gander (1946-1964) – L'édifice est construit en 1941 par l'Aviation royale canadienne et porte par la suite le nom de Banting Memorial Hospital. Le pavillon hospitalier ferme ses portes à l'ouverture de l'hôpital James Paton Memorial en 1964.

15. Botwood (1946-1989) – Construit en 1942 par l'Armée canadienne et repris par le gouvernement de Terre-Neuve en 1946. Il reste en activité jusqu'en 1989, année de l'ouverture du centre de santé Dr. Hugh Twomey Health Care Centre de Botwood.

16. Channel-Port aux Basques (1952-1984) – Début de ses activités en 1952. C'est le premier pavillon hospitalier construit après l'entrée de la province dans la Confédération. Remplacé en 1984 par le nouveau centre de santé Dr. Charles L. LeGrow Health Care Centre.

17. Fogo (1952-2004) – Début de ses activités en septembre 1952. C'est le deuxième pavillon hospitalier construit par le gouvernement terre-neuvien et le dernier qui a fermé ses portes, à l'exception de ceux de Brookfield et Springdale, toujours actifs en 2010. En 2004, il est remplacé par le centre de santé Fogo Island Health Care Centre. L'édifice original a été démoli en 2007.

18. Springdale (1952-1977) – Début de ses activités en novembre 1952. C'est le dernier qu'a construit le gouvernement de la province. Il est rebaptisé Green Bay Community Health Centre en 1977. Il était toujours actif en 2010.

19. St. Lawrence (1954-1994) – Le gouvernement américain en finance la construction afin de commémorer les victimes du naufrage des navires Pollux et Truxtun et de remercier les habitants qui ont sauvé les survivants. En 1954, le United States Memorial Hospital à St. Lawrence ouvre donc ses portes. Il met un terme à ses activités hospitalières en 1989. L'urgence reste en fonction jusqu'à l'ouverture en 1994 du nouveau centre de santé United States Memorial Health Centre. L'édifice a été démoli plus tard.

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