La lutte contre la tuberculose à Terre-Neuve-et-Labrador

Les premiers efforts pour combattre la tuberculose à Terre-Neuve

Au cours des 19e et 20e siècles, l'île de Terre-Neuve a connu un taux très élevé d'infections et de décès dus à la tuberculose, beaucoup plus important en fait qu'au Canada, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi cette maladie a affligé autant de personnes à Terre-Neuve. (Voir l'article en anglais L'historique et la fréquence de la tuberculose à Terre-Neuve.) Même si de nombreux efforts ont été déployés dès le début du 20e siècle pour contrôler cette maladie, ce n'est que dans les années 1970 que la consomption (comme on l'appelait aussi à l'époque) a enfin été éradiquée complètement de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le premier groupe qui s'est attelé à la lutte contre la tuberculose a été la Newfoundland Association for the Prevention of Consumption (NAPC), créée en 1908 par l'honorable John Harvey, homme d'affaires et membre du conseil législatif. Même si les Terre-Neuviens connaissaient la gravité de la tuberculose depuis un certain temps, il n'était pas facile de mettre des efforts en œuvre pour combattre la maladie, notamment à cause de l'isolement de nombreuses collectivités, comme l'a découvert Wilfred Grenfell, pionnier en soins de santé. La NAPC s'est d'abord concentrée à contrer cet isolement en diffusant de l'information au sujet de la maladie et en organisant un colloque sur le traitement et la prévention à l'intention des enseignants. Ces derniers ont par la suite partagé ces informations avec leurs collectivités et se sont avérés de fidèles alliés dans la lutte contre la tuberculose. La NAPC a aussi collecté des fonds et embauché un médecin, un ancien enseignant et plusieurs infirmières afin de promouvoir les modes de prévention et de traitement.

Conscient du fait qu'une société doit être en bonne santé pour être productive, le gouvernement appuyait les efforts contre la tuberculose. En 1911, il a recruté le docteur Herbert Rendell et l'infirmière Ella Campbell pour diriger une campagne de prévention contre cette maladie. Ces derniers se sont rendus en Grande-Bretagne, aux États-Unis et au Canada afin d'étudier les méthodes de traitement les plus récentes, puis ils ont parcouru l'ensemble de l'île pour constater l'incidence de la maladie dans les diverses collectivités et éduquer la population. Les efforts combinés du gouvernement et de la NAPC ont vite eu des effets positifs et, en 1912, le gouvernement a créé le Tuberculosis Public Service (Service public contre la tuberculose). Toutefois, le coût des sanatoriums (qui sont rapidement devenus le principal moyen de traiter la maladie) et les contraintes financières générales ont amené le gouvernement à prendre le contrôle de tous les efforts antituberculeux de la NAPC en 1913. Sans le soutien du gouvernement, la NAPC a cessé ses activités dans les années 1920.

Les sanatoriums de Terre-Neuve

Les patients atteints de tuberculose avaient été avisés depuis longtemps de l'importance de respirer de l'air frais et de faire une « cure de repos ». À la fin des années 1800, la théorie microbienne avait renforcé l'idée qu'on devait mettre les patients atteints de tuberculose en quarantaine pour prévenir sa propagation. On comptait déjà plusieurs hôpitaux à St. John's au tournant du 20e siècle, et des sanatoriums spécialisés ont commencé à ouvrir leurs portes peu de temps après. Les patients pouvaient être isolés et recevoir des soins médicaux dans un environnement calme et reposant. En 1898, une ancienne caserne de Signal Hill a été convertie en hôpital de contagieux pour la variole et la consomption et on y a accueilli des patients jusqu'à ce que le bâtiment soit ravagé par le feu en 1920. En 1911, l'Ordre impérial des filles de l'Empire a aménagé un camp de repos estival pour les femmes atteintes de tuberculose près de Mundy Pond et, en 1916, le camp Jensen a ouvert ses portes près du chemin Blackmarsh pour les vétérans de la Première Guerre mondiale aux prises avec cette maladie. Le camp Jensen était surtout l'œuvre d'Adeline Browning, femme de l'honorable John Browning. La même année, l'Escasoni, une vaste maison estivale victorienne située en banlieue de St. John's, a été transformée en sanatorium après avoir été confisquée à son propriétaire allemand au moment où la guerre a éclaté. Le premier sanatorium digne de ce nom a été construit en 1917 sur le chemin Topsail. Ne comptant que 52 lits à l'origine, le « San » a fait l'objet de nombreux travaux d'agrandissement et il est devenu le principal lieu de traitement à Terre-Neuve pour les patients atteints de tuberculose.

Des patients atteints de tuberculose au camp Jensen, s.d.
Des patients atteints de tuberculose au camp Jensen, s.d.
Des patients atteints de tuberculose sur la terrasse du camp Jensen. Ouvert en 1916, le camp a été nommé en l'honneur du soldat Philip Jensen, originaire de Harbour Breton.
Tiré de la Collection Terre-Neuve-et-Labrador, bibliothèque de références et ressources A.C. Hunter, St. John's, T.-N.-L.

En 1904, un autre hôpital a été construit à St. Anthony (à une certaine distance de la capitale). En 1910, le tiers des patients admis à cet endroit étaient atteints de tuberculose. Un hôpital a été érigé à Twillingate en 1924 et un autre à St. Anthony en 1927. Ces établissements étaient dotés de l'équipement nécessaire aux soins des patients atteints de tuberculose. En 1950, un sanatorium a ouvert ses portes à Corner Brook, sur la côte ouest. À ce moment-là, le sanatorium de St. John's avait acquis l'hôpital adjacent de la Marine royale canadienne. (Voir l'article en anglais Les soins de santé au pays durant la Seconde Guerre mondiale.) En 1954, une aile supplémentaire réservée à la tuberculose a été ajoutée à l'hôpital de St. Anthony et le nombre de lits a atteint 855 dans l'ensemble de la province, un sommet à l'époque des sanatoriums. En plus d'être des lieux de traitement, les sanatoriums permettaient d'endiguer la propagation en éloignant les personnes infectées et contagieuses de leur maison et de leur collectivité.

Dans les années 1930, les « cures de repos » ont été éclipsées par les traitements chirurgicaux et les opérations étaient généralement pratiquées au sanatorium. (Voir l'article en anglais L'historique et la fréquence de la tuberculose à Terre-Neuve.) Dans les années 1950, les traitements chirurgicaux et les sanatoriums sont devenus pratiquement désuets avec l'arrivée de traitements pharmaceutiques mais, jusque dans les années 1960, un séjour au « San » faisait toujours partie intégrante du traitement. Les sanatoriums auront été l'un des outils les plus importants dans la lutte contre la tuberculose.

L'Association antituberculeuse terre-neuvienne

La lutte contre la tuberculose battait son plein dans les années 1940. Un dispensaire (qui offrait des consultations médicales sans frais, distribuait de l'information sur la tuberculose et recueillait des données statistiques) avait ouvert ses portes en 1912 et, en 1938, l'Unité de services de santé d'Avalon (Avalon Health Unit) a été mise sur pied à Harbour Grace afin d'offrir à la population un système de radiographie mobile. Le sanatorium de St. John's était en activité de même que les hôpitaux de St. Anthony, Grand Bank et Twillingate. À cette époque, la tuberculose était l'une des principales causes d'hospitalisation à Terre-Neuve-et-Labrador.

Publicité pour les timbres de Noël (Christmas Seals), 1946
Publicité pour les timbres de Noël (Christmas Seals), 1946
Une publicité pour les timbres de Noël extraite des pages du magazine The Happy Warrior. Les timbres de Noël ont été créés en 1904 par un travailleur des postes danois afin de lever des fonds pour combattre la tuberculose. Ces timbres sont rapidement devenus une source de financement importante pour les programmes de lutte antituberculeuse à travers le monde.
Tiré du magazine The Happy Warrior, janvier 1947, p. 27.

Malgré certains succès, les résultats du combat contre la tuberculose demeuraient minimes et la nécessité de créer un organisme de lutte antituberculeuse était désormais pressante. En 1914, l'Association antituberculeuse terre-neuvienne (Newfoundland Tuberculosis Association) a été fondée, grâce en grande partie aux efforts soutenus de Ted Meaney. Ce fonctionnaire et journaliste avait contracté la tuberculose en 1939 et, durant son séjour au sanatorium de St. John's, il avait créé le magazine The Happy Warrior, consacré à la tuberculose. Grâce à ses textes et à ses allocutions, il s'est acquis le soutien du club Rotary (un organisme philanthropique international) dans le but de fonder cette association. Avec l'appui du ministère de la Santé publique et du Bien-être social, le club Rotary a contacté l'Association antituberculeuse nationale des États-Unis (National Tuberculosis Association) qui, en octobre 1944, a envoyé un représentant pour faciliter la mise sur pied de l'Association antituberculeuse terre-neuvienne. À la suite de la Confédération, en 1949, cette association s'est affiliée à l'Association antituberculeuse canadienne.

La principale mission de l'association consistait à lever des fonds et, au mois de décembre de la même année, elle a commencé à vendre des timbres de Noël (Christmas Seals). Depuis 1904, on vendait des timbres de Noël dans le monde entier afin d'amasser des fonds pour combattre la tuberculose. Ce genre de levées de fonds ont permis à l'Association antituberculeuse terre-neuvienne de financer sa lettre d'information éducative intitulée The Northern Light et de se procurer de l'équipement et des fournitures. L'un de ses achats les plus importants a été le Christmas Seal, un bateau à moteur qui est devenu un symbole durable de la lutte contre la tuberculose.

Le Christmas Seal

L'isolement de nombreuses collectivités de Terre-Neuve-et-Labrador rendait le dépistage et le traitement de la tuberculose très difficiles. Dans les petites collectivités, la maladie se propageait notamment parce que la population n'avait pas accès aux rayons X, ni aux conseils et soins médicaux. L'Association antituberculeuse terre-neuvienne a réalisé que pour mener une lutte efficace contre cette maladie, il était nécessaire que les collectivités côtières isolées aient un meilleur accès aux services médicaux. L'Association Grenfell connaissait un certain succès avec ses appareils de radiographie placés à bord des navires, et Walter Davis (qui avait succédé à Ted Meaney comme directeur général de l'association en 1946 lorsque la santé de ce dernier a empiré) a multiplié les efforts pour acquérir une clinique flottante au nom de l'Association antituberculeuse terre-neuvienne. Acheté à la U.S. Navy en septembre 1947, le Christmas Seal était une ancienne vedette de sauvetage (utilisée pour sauver l'équipage des avions descendus pendant la guerre) de la base navale d'Argentia. C'est la vente des timbres de Noël qui a permis de verser son prix d'achat de 14 500 $. Ce bateau était équipé pour faire des radiographies pulmonaires et des examens permettant de dépister l'exposition à la tuberculose. On y présentait aussi des documentaires sur la maladie. Les fréquents déplacements du Christmas Seal faisaient en sorte qu'on le reconnaissait facilement le long des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador. En 1951, par exemple, le Christmas Seal a visité 118 collectivités et son personnel médical en a profité pour faire 10 648 rayons X. Ce bateau a continué, jusqu'en 1970, à procurer des services médicaux à Terre-Neuve-et-Labrador. (Il a offert ultérieurement des tests de dépistage du diabète et des vaccins contre la polio.) Le Christmas Seal a cessé ses activités lorsque le réseau routier de la province est devenu plus performant.

Le MV Christmas Seal, s.d.
Le MV Christmas Seal, s.d.
L'ancien bateau Christmas Seal de l'Association antituberculeuse terre-neuvienne, qui avait un appareil de radiographie à son bord, fait son entrée dans le port de Twillingate.
Photographie de Harry Stone. Tirée de la collection du capitaine Harry Stone. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-001.1-E08a), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le Christmas Seal n'était pas la seule clinique antituberculeuse itinérante. Un véhicule sur rails a été transformé en laboratoire de radiographie en 1948 et un autobus a également été converti en 1950. Une caravane a aussi été utilisée de 1965 à 1969. (Elle fut renversée et endommagée par de forts vents près de Wreckhouse.) L'ensemble de ces cliniques itinérantes a grandement contribué à freiner la progression de la tuberculose à Terre-Neuve-et-Labrador.

La tuberculose tenue en échec

Dans les années 1940 et 1950, les unités de radiographie mobiles, l'accessibilité accrue aux soins médicaux et les mesures accélérant le dépistage de la tuberculose dans les hôpitaux ont facilité le combat contre l'infection tuberculeuse. La plupart des personnes qui recevaient un diagnostic de tuberculose active étaient envoyées au sanatorium où elles étaient traitées à l'aide de techniques en constante évolution, qu'il s'agisse de « cures de repos » ou de techniques chirurgicales telles que la thérapie pour le collapsus pulmonaire ou la phrénicoclasie, deux maladies communes dans les années 1930.

Au début des années 1960, la plupart des traitements chirurgicaux avaient été remplacés par de nouveaux médicaments efficaces tels que la streptomycine, l'isoniazide et l'acide para-aminosalicylique, qui sont devenus des traitements standards contre la tuberculose. Combinés au vaccin BCG (développé dans les années 1920 et 1930 et testé pour usage à Terre-Neuve en 1950-1951 sur les élèves-infirmières) et administrés à grande échelle au début des années 1950 pour prévenir les infections tuberculeuses, les nouveaux traitements pharmaceutiques ont finalement eu le dessus sur la « peste blanche ». (Voir l'article en anglais L'historique et la fréquence de la tuberculose à Terre-Neuve..)

Dans les années 1970, la tuberculose n'était plus une maladie aussi redoutée que par le passé grâce aux meilleures conditions de vie dans la province. Une alimentation plus saine, de bons soins médicaux et un travail d'éducation ont permis de réduire considérablement le taux d'infection. Le vaccin BCG prévenait de nombreuses infections tuberculeuses et les médicaments antituberculeux avaient révolutionné les différentes étapes du traitement. Les victimes de la tuberculose n'étaient plus forcées de faire un long séjour en sanatorium ou de subir une opération. Les nouveaux traitements étaient si efficaces que tous les sanatoriums de la province ont été fermés en 1972. Les personnes aux prises avec cette maladie étaient désormais soignées à domicile à l'aide d'un traitement médicamenteux approprié. En 1973, on a relevé seulement quatre décès dus à la tuberculose.

La tuberculose est toujours présente à Terre-Neuve-et-Labrador et des personnes reçoivent régulièrement un diagnostic de maladie active ou de rechute. En 2006, par exemple, 12 personnes de Terre-Neuve-et-Labrador ont appris qu'elles avaient la tuberculose. L'Association antituberculeuse terre-neuvienne est devenue l'Association pulmonaire de Terre-Neuve en 1982, ce qui reflète davantage la vaste étendue de ses activités dans le domaine de la santé pulmonaire. Son champ d'expertise ne se limite donc pas exclusivement à la tuberculose. Alors que les médicaments ont fini par triompher de la tuberculose dans le monde occidental (du moins pour le moment), l'amélioration du mode de vie et de la santé générale à Terre-Neuve-et-Labrador depuis la Confédération a également contribué à tenir cette maladie en échec.

(Pour plus d'information au sujet de l'histoire, de la pathologie et du traitement de la tuberculose, veuillez consulter The Cambridge World History of Human Disease, un ouvrage de fond publié sous la direction de Kenneth F. Kiple. Vous pouvez aussi visiter les sites Web de l'Association pulmonaire du Canada et de l'Organisation mondiale de la santé.

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