L'effondrement de l'éducation confessionnelle

Dans les années 1980 et 1990, l'éventualité que la province adopte un système scolaire non confessionnel faisait l'objet de controverses. En vertu du système confessionnel, les Églises chrétiennes avaient le droit d'ouvrir et d'exploiter des écoles en utilisant les fonds publics. Les détracteurs de ce système affirmaient qu'en plus d'être coûteux et inefficace, ce dernier faisait preuve de discrimination envers les résidants qui n'appartenaient pas à l'une ou l'autre des confessions religieuses reconnues. À l'inverse, ses défenseurs déclaraient que le système confessionnel était un terreau favorable à la vie spirituelle et morale au sein d'un monde laïque en plus de renforcer la cohésion sociale. Ils insistaient aussi sur le fait que le droit des Églises de prodiguer de l'enseignement était enchâssé dans les Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada.

Des préoccupations croissantes: les années 1980 et 1990

Les changements démographiques et sociaux survenus à la fin du 20e siècle ont influé sur la qualité de l'éducation dans la province et modifié l'attitude de la population envers le système scolaire confessionnel. Le nombre de résidants d'âge scolaire a chuté à cause du déclin du taux de natalité à la fin des années 1970 et au cours des années 1980. Cette situation a causé une baisse d'inscriptions dans de nombreuses écoles et plusieurs d'entre elles se sont retrouvées partiellement vides, surtout dans les régions rurales. Par la suite, le fait que les communautés vivant dans les petits ports isolés migraient de plus en plus vers St. John's et les autres centres urbains a contribué à la baisse d'inscriptions et provoqué la fermeture de nombreuses écoles des régions rurales. Celles qui ont été épargnées étaient souvent mal équipées et sous-financées. Comme le gouvernement provincial distribuait l'argent aux conseils scolaires en fonction du nombre d'élèves, une diminution des effectifs entraînait conséquemment une diminution des ressources financières.

Parallèlement, certains résidants et organismes s'interrogeaient sur le bien-fondé d'un système scolaire confessionnel financé par l'État dans une société de plus en plus laïque et multiculturelle. Le système confessionnel datait du 19e siècle, à l'époque où la colonie était relativement homogène. La plupart des résidants appartenaient à l'Église d'Angleterre (anglicane), à l'Église catholique romaine ou à l'Église méthodiste. Cependant dans les années 1980, d'autres gens, moins nombreux, faisaient partie d'autres religions non chrétiennes ou n'avaient aucune religion.

En 1984, la Newfoundland-Labrador Human Rights Association (NLHRA) a fait parvenir au ministre de la Justice un mémoire critique consacré au système scolaire dans lequel elle affirmait que : « La principale menace pour l'égalité des religions et la liberté de culte [dans la province] est la nature restrictive du système scolaire confessionnel. Il est recommandé qu'un autre choix soit offert aux élèves n'appartenant pas aux groupes religieux qui profitent d'un privilège constitutionnel particulier ou qu'il soit interdit aux écoles confessionnelles de discriminer en fonction des croyances religieuses. » [Traduction libre]

D'autres groupes ont aussi réclamé des changements. En 1986, la Newfoundland and Labrador Teachers' Association (NLTA) et la Royal Commission on Employment and Unemployment ont critiqué vigoureusement le système confessionnel. Elles ont toutes deux affirmé que ce dernier était trop coûteux inutilement et qu'il engendrait des rendements scolaires médiocres. La NLTA a demandé au gouvernement de créer une commission d'enquête afin d'examiner le système scolaire à la loupe. Sa requête a été appuyée par le Economic Council of Newfoundland and Labrador et la St. John's Board of Trade (Chambre de commerce).

La création de la Commission royale d'enquête

En 1990, le gouvernement a créé une Commission royale d'enquête sur l'éducation. La présidence a été confiée à Leonard Williams, professeur en éducation à la Memorial University of Newfoundland. Le mandat de la commission consistait à investiguer et à faire des recommandations sur toutes les facettes de l'organisation et de la gestion des systèmes scolaires au primaire, à l'élémentaire et au secondaire. Au cours des deux années suivantes, la Commission a tenu 36 audiences publiques dans 29 lieux de la province. Les membres de la Commission ont rencontré des élèves, parents, directeurs d'école, membres du personnel des conseils scolaires, organismes gouvernementaux et d'autres groupes intéressés afin de leur demander leur avis et de connaître leurs points de vue sur le système scolaire. La Commission a aussi mené des projets de recherche visant à enquêter sur divers sujets tels que le coût du système confessionnel, l'organisation des heures de cours, la mise en œuvre du programme d'études et l'historique des services d'éducation coopérative.

En septembre 1991, après avoir sondé l'opinion de 1001 personnes réparties équitablement dans la province, la Commission a conclu que 79 p. 100 étaient en faveur d'un système scolaire unique pour l'ensemble des enfants. Les principales plaintes envers le système confessionnel lui reprochaient d'être trop coûteux inutilement, antidémocratique, et de ne pas offrir une éducation adéquate aux jeunes de la province par rapport aux normes nord-américaines. Le gouvernement fournissait l'argent, mais c'étaient les représentants des Églises qui décidaient comment le dépenser.

La Commission a présenté son rapport Our Children Our Future (Nos enfants, notre avenir) au gouvernement provincial en mars 1992. Elle y recommandait la création d'un système scolaire unique qui « exige l'intégration officielle de toutes les confessions religieuses et l'élaboration de mesures politiques et de pratiques qui impliqueraient tous les citoyens dans l'éducation et la gestion scolaire. L'enjeu ne concerne pas uniquement la direction morale du système scolaire, mais la qualité fondamentale de l'éducation pour tous nos enfants. » (p. 221) [Traduction libre]

Le système scolaire non confessionnel

Après avoir pris connaissance du rapport de la Commission, le gouvernement a pris des mesures pour remplacer le système scolaire confessionnel traditionnel par un seul système scolaire laïque. En 1994, il a publié un livre blanc intitulé Adjusting the Course, lequel donnait un aperçu du plan d'action gouvernemental pour créer un système scolaire interconfessionnel unifié. Pour ce faire, le gouvernement devait toutefois apporter des modifications constitutionnelles aux Conditions de l'union de la province au Canada. La province devait amender spécifiquement la clause 17 garantissant les droits des Églises à l'administration de l'éducation à Terre-Neuve et au Labrador.

Le 5 septembre 1995, la province a tenu un référendum où la majorité des électeurs (54,4 p. 100) ont voté en faveur de l'amendement de la clause 17 dans le but de créer un système scolaire interconfessionnel unifié qui inclurait tous les systèmes confessionnels. Le gouvernement fédéral a approuvé la révision de la clause 17 le 4 décembre 1996 et la province a adopté la législation plus tard au cours du même mois afin de donner une nouvelle désignation aux écoles confessionnelles, qui porteraient désormais le nom d'écoles interconfessionnelles.

Au cours de l'été 1997, l'Église catholique romaine, les Assemblées pentecôtistes et 29 parents ont toutefois contesté avec succès cette nouvelle désignation devant la Cour suprême de Terre-Neuve. Le 8 juillet 1997, le juge Leo Barry a statué que la province n'avait pas le droit d'abolir les écoles confessionnelles indépendantes et que les écoles uniconfessionnelles ne pouvaient pas être fermées sans le consentement des comités confessionnels.

Le processus de réforme de l'éducation ayant été bloqué, le gouvernement provincial a décidé de proposer un second amendement à la clause 17 qui avait pour but d'édifier un système scolaire non confessionnel et d'abolir complètement des droits des Églises dans le domaine de l'administration de l'éducation dans la province. Il a tenu un second référendum le 2 septembre 1997 et 73 p. 100 des électeurs ont appuyé l'amendement proposé.

Le 14 janvier 1998, à la suite de ce vote majoritaire, la province a reçu la permission du gouvernement fédéral d'amender de nouveau la clause 17. La révision de la clause 17 statuait que « (2) Dans et pour la province de Terre-Neuve, l'assemblée législative aura l'autorité exclusive de créer des lois relatives à l'éducation, mais elle devra offrir des cours de religion qui ne sont pas spécifiques à une confession particulière ». [Traduction libre]

Le gouvernement provincial a adopté la loi visant à instituer un système scolaire non confessionnel financé par les fonds publics et a endossé l'entière responsabilité de l'éducation à Terre-Neuve et au Labrador. Il a aussi créé des conseils scolaires plus grands, a réduit le nombre d'écoles de la province et a mis sur pied des conseils consultatifs de parents afin de permettre au public de s'impliquer davantage dans le système scolaire. Les conseils scolaires sont devenus non confessionnels et les membres seraient désormais élus par le public au lieu d'être nommés par une Église.

L'Église catholique romaine a contesté la réforme scolaire devant la Cour suprême de Terre-Neuve et la Cour d'appel de Terre-Neuve, mais les décisions judiciaires ont confirmé une fois de plus la constitutionnalité de la révision de la clause 17. La province a adopté le système non confessionnel avec succès au début de l'année scolaire 1998-1999. Dans la foulée de cette réforme, plusieurs écoles privées fondées sur une confession religieuse ont été ouvertes pour répondre aux besoins des familles qui favorisaient les écoles uniconfessionnelles, dont la Holy Cross Community School de St. Alban et le St. Bonaventure's College de St. John's.

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