L'historique et la fréquence de la tuberculose à Terre-Neuve et au Labrador

L'historique et la pathologie de la tuberculose

La tuberculose est une maladie qui afflige et tue les humains depuis des millénaires. De nombreux documents historiques la mentionnent, notamment des textes classiques grecs. Des momies égyptiennes en présentent des traces. Elle n'est pas étrangère en Inde et Chine anciennes, ainsi que chez les peuples autochtones, des siècles avant la venue des Européens. Elle traverse le Moyen Âge et l'Europe. D'ailleurs, selon la croyance populaire, le simple toucher d'un monarque d'Angleterre ou de France guérit, paraît-il, la scrofule (inflammation des ganglions lymphatiques du cou en raison de la tuberculose).

Dessin humoristique sur le bacille de la tuberculose
Dessin humoristique sur le bacille de la tuberculose
Des publications sur la tuberculose étaient souvent illustrées de dessins humoristiques comme l'exemple ci-dessus. Ils servaient aussi bien à amuser qu'à souligner la gravité de la maladie.
(Version française du dessin humoristique :
Entendu à l'aide d'un stéthoscope.
Benny Debug réussit un autre beau coup dans la cavité pulmonaire. La foule s'emballe.
(Dessin de Dot Barnable)

[Traduction libre])
Tiré de la publication San Beams, vol. 3, no 1, avril-mai 1955, p. 7. Avec la permission de la Collection de Terre-Neuve-et-Labrador, bibliothèque de références et ressources A. C. Hunter, St. John's, T.-N.-L.

La tuberculose n'épargne aucune région de l'Europe au cours des 18e et 19e siècles. Tour à tour, les sorcières, les fées, la malnutrition et l'insalubrité de l'air sont mises au banc des accusés. Au 19e siècle, le corps médical semble mieux cerner les rouages de la maladie et finit par établir des liens entre la tuberculose pulmonaire, la scrofule et les lésions cutanées. En 1882, Robert Koch découvre le bacille de la tuberculose et confirme le degré élevé de contagion de cette infection. En s'appuyant sur une meilleure compréhension de la maladie, le monde médical élabore des mesures préventives et des méthodes de traitement mieux adaptées. Cette découverte permet aussi le développement de vaccins et de médicaments contre la tuberculose. Robert Koch reçoit le prix Nobel en 1905.

Le bacille généralement responsable de la tuberculose est la Mycobacterium tuberculosis (le bacille Mycobacterium bovis est parfois en cause). La tuberculose prend souvent la forme d'une infection latente asymptomatique et sans effets négatifs chez le porteur du bacille. La tuberculose évolue vers une forme active chez seulement une personne sur 10. La tuberculose pulmonaire est la plus fréquente. Elle entraîne des douleurs thoraciques et provoque de graves quintes de toux. La personne se met à cracher du sang, entre autres expectorations. Des symptômes courants sont la fièvre, des sueurs nocturnes, des frissons et une perte de poids. Bien que la tuberculose s'attaque habituellement aux poumons, elle peut également s'attaquer aux os, aux articulations (plus particulièrement la colonne vertébrale), au système lymphatique, aux membranes du cerveau, aux méninges et à d'autres parties du corps. La tuberculose pulmonaire cause des lésions et des cavités aux poumons. Sans traitement, la détérioration des tissus organiques, peu importe la variante de la maladie, est mortelle dans environ 50 % des cas.

La tuberculose est certes contagieuse, mais pas autant que le croit l'opinion publique. Elle se transmet surtout par l'intermédiaire des voies respiratoires. Si un tuberculeux tousse, éternue ou crache, il dissémine le bacille dans l'air et peut infecter d'autres personnes. Cette mycobactérie peut survivre des semaines dans une substance à l'état sec (par exemple un crachat séché). Une personne qui entretient de fréquents et étroits contacts avec un malade risque fort d'être contaminée.

Le traitement de la tuberculose

Avant l'implantation des sanatoriums, le traitement de la tuberculose est pratiquement inexistant. La plupart des tuberculeux reçoivent des soins à domicile. Ceux-ci varient énormément tout comme les résultats. Des solutions de phénol, d'or, d'arsenic ou d'essence de menthol leur sont administrées par voie orale ou respiratoire. L'huile de foie de morue semble produire un effet positif sur les tuberculeux. Le rôle de la vitamine D (en abondance dans l'huile de foie de morue) dans le renforcement du système immunitaire ne sera pourtant reconnu qu'en 1980.

Vers la fin du 19e siècle, l'air frais semble émerger comme le traitement susceptible de guérir les malades. La théorie germinale des maladies infectieuses est désormais comprise et acceptée, et la tuberculose fait maintenant partie des maladies contagieuses. Les sanatoriums prennent donc le relais. Non seulement isolent-ils les patients du reste de la société et empêchent-ils la propagation de la maladie, mais ils garantissent aussi aux patients de l'air frais, du repos et une saine alimentation. Cette cure de repos est l'élément central du traitement en sanatorium entre les années 1910 et 1920.

L'aile sud du sanatorium de St. John's
L'aile sud du sanatorium de St. John's
Remarquez les lits sur les balcons. C'est là que les patients prennent l'air frais.
Tiré de la publication San Beams, vol. 3, 1945, p. 2. Avec la permission de la Collection de Terre-Neuve-et-Labrador, bibliothèque de références et ressources A.C. Hunter, St. John's, T.-N.-L.

Dans les années 1930, la durée des séjours en sanatorium est relativement longue, mais d'autres traitements particulièrement invasifs se rajoutent. Les tuberculeux y sont toujours au repos, mais la chirurgie fait sa place dans le traitement des patients. Cette évolution repose sur le principe que le poumon infecté doit aussi se reposer pour se rétablir. Les interventions chirurgicales préconisées sont le pneumothorax et le plombage (l'insertion d'air, d'huile, de cire ou de boules en Lucite dans le poumon visé afin de l'affaisser et de hâter sa guérison), la thoracoplastie (l'enlèvement de côtes pour provoquer l'affaissement du poumon), et la phrénicotripsie (qui consiste à écraser ou à couper le nerf phrénique dans le but de paralyser la moitié du diaphragme, et ainsi réduire le fonctionnement du poumon). Quelques années plus tard, la lobectomie (l'ablation d'un lobe du poumon) et la pneumonectomie (l'ablation complète du poumon infecté) deviennent populaires.

Information sur la tuberculose sous forme de dessins humoristiques
Information sur la tuberculose sous forme de dessins humoristiques
Ces dessins tirés de la publication San Echoes indiquent ce qu'il fallait faire lors d'une visite au sanatorium pour éviter de fatiguer le malade ou de contracter la maladie. Ce sont les patients du sanatorium de Corner Brook qui l'ont publiée.
(Version française du dessin humoristique :
Pas ça
Lorsque les visiteurs sont nombreux et tardent à partir, les patients se fatiguent très vite. Il est préférable que ceux-ci manifestent leur intérêt d'une autre manière, telle qu'en écrivant des lettres.
Mais ça
Un ou deux visiteurs à la fois, préférablement seulement les proches. Les visiteurs se tiennent du même côté du lit.
Pas ça
Évitez les baisers, les câlins et le contact physique. Ne vous assoyez pas sur le lit du patient et évitez de vous appuyer sur les meubles. La tuberculose est contagieuse.

[Traduction libre])
Tiré de la publication San Echoes, vol. 2 no 5, janvier 1954, p. 3. Avec la permission de la Collection de Terre-Neuve-et-Labrador, bibliothèque de références et ressources A.C. Hunter, St. John's, T.-N.-L

Au Canada, dans les années 1940, environ 35 % des tuberculeux subissent une intervention chirurgicale. Ce pourcentage chute à 5 % au début des années 1960 grâce à de nouveaux médicaments. La chimiothérapie et les antibiotiques prennent du service dans les années 1940 et s'imposent rapidement comme le traitement de prédilection pour la plupart des infections. La streptomycine, l'isoniazide et l'acide para-aminosalycilique sont les médicaments utilisés pour lutter contre la tuberculose. Dans les années 1960, la plupart des tuberculeux sont sous traitement médicamenteux. C'est encore le cas de nos jours.

Un nouveau vaccin s'ajoute à cette pharmacothérapie. Le vaccin BCG (vaccin bilié de Calmette-Guérin du nom des deux chercheurs qui l'ont mis au point) est élaboré dans les années 1920 et 1930. Son utilisation se généralise pendant les deux décennies suivantes. Son efficacité contre la tuberculose, évaluée à environ 80 %, fluctue toutefois en fonction de l'âge et du lieu de résidence du patient. Après la Deuxième Guerre mondiale, la crainte d'une épidémie de tuberculose en Europe déclenche une vaste campagne de vaccination. Le vaccin est donc administré partout dans le monde, et plus particulièrement au Royaume-Uni.

La situation actuelle de la tuberculose

Dans les années 1970, les médicaments terrassent presque complètement la tuberculose dans les pays occidentaux. Les sanatoriums ferment leurs portes. Même si certaines personnes en sont encore atteintes (surtout celles dont le système immunitaire est compromis), elles peuvent compter sur la bonne médication pour la vaincre. La durée du traitement peut cependant s'échelonner sur un an. En 2007 au Canada, malgré 1700 nouveaux cas de tuberculose, il n'y a eu que 200 décès.

La tuberculose reste toutefois un enjeu grave dans les pays en développement. Le tiers de la planète serait touchée, principalement en Asie et en Afrique. Chaque seconde, une personne est infectée. Même si la plupart sont des cas de tuberculose latente, il n'en reste pas moins qu'il y a eu, en 2008, 1,3 million de décès. La découverte de souches de tuberculose résistantes à tout traitement médicamenteux constitue une source de grande préoccupation. En Occident, la tuberculose n'est plus aussi redoutée qu'autrefois, mais elle n'a pas encore rendu les armes.

La tuberculose à Terre-Neuve et au Labrador

En 1611, John Guy relève ce qui semble le premier cas de tuberculose à Terre-Neuve dans la colonie de Cupids. Aucune autre donnée ne confirme que c'était bel et bien la tuberculose. Les archives sont une denrée rare avant la fin du 19e siècle. Par contre, la fréquence de la maladie en Europe laisse raisonnablement penser qu'elle est aussi présente à Terre-Neuve et au Labrador parmi les descendants des premiers colons européens, qui l'ont sans nul doute apporté. En effet, Shanawdithit, la dernière représentante du peuple béothuk, serait morte de la tuberculose en 1829.

En 1878, après cinq ans passés dans la ville minière de Tilt Cove, située dans la péninsule de Baie Verte, le Dr James Alexander décrit dans la revue médicale Dublin Journal of Medical Science les conditions de travail et les problèmes médicaux qu'il a constatés dans l'île Terre-Neuve. Il précise que la tuberculose (ou phtisie) y est assez fréquente et que la scrofule est souvent la cause de décès chez les jeunes enfants. En 1899, cette infection emporte 655 personnes à Terre-Neuve et au Labrador. En 1906, ce nombre atteint un pic jamais égalé de 993 décès dûment enregistrés. De 1905 à 1909, le taux de mortalité dû à la tuberculose pulmonaire s'élève en moyenne à 348 décès par 100 000 habitants. C'est un taux considérable si on le compare à celui de la Grande-Bretagne en 1909, 152 décès par 100 000 habitants pour toutes les variantes de la tuberculose. À Terre-Neuve et au labrador, la tuberculose demeure l'une des principales causes de décès pendant une bonne partie du 20e siècle. Seuls les maladies cardiaques et le cancer la supplantent dans les années 1950. Entre 1901 et 1975, un peu moins de 32 000 personnes en meurent. Les victimes, des soutiens de famille, sont des hommes de 15 à 45 ans. La tuberculose est responsable d'immenses pertes socio-économiques.

Entre 1901 et 1929, le taux de mortalité associé à la tuberculose en Grande-Bretagne diminue de 35 à 45 % environ, selon les groupes d'âge et le sexe. Il augmente toutefois en Europe dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale. Les États-Unis observent également une baisse du taux de mortalité dans les années 1930 (sauf dans la population noire). La tuberculose reste pourtant endémique à Terre-Neuve et au Labrador.

Plutôt qu'un agent prédominant, divers facteurs participent à la propagation de la peste blanche. Il y a d'abord l'habitude qu'ont les familles de se réunir à la cuisine, la seule pièce où elles peuvent se garder au chaud durant les longs et glacials soirs d'hiver. Ainsi, lorsqu'un membre de la famille, qui peut compter de 6 à 10 personnes au moins, est infecté, il contamine les autres et d'éventuels visiteurs. Il y a ensuite l'habitude de chiquer du tabac, qui envenime la situation. Le jus du tabac est craché dans un crachoir et ces expectorations constituent une source de propagation de la tuberculose. Une alimentation dépourvue d'aliments frais et d'éléments nutritifs (voir La malnutrition à Terre-neuve et au Labrador) y contribue également. Les gens sont alors vulnérables aux infections, car leur système immunitaire est fragilisé. La maladie est difficile à diagnostiquer sous sa forme latente, mais dès qu'elle devient active, les soins ne sont pas facilement accessibles. L'isolement des collectivités coupe les malades des services médicaux nécessaires. Tant les agents de transmission que les mesures préventives sont mal connus. Tous ces éléments concourent à un taux d'infection et de mortalité très élevé à Terre-Neuve et au Labrador.

La tuberculose ne lâche pas prise malgré les efforts déployés par le gouvernement et les associations qui luttent contre cette maladie. Elle reste toujours l'une des plus importantes causes de mortalité, et ce, des années après l'entrée de la province dans la Confédération. C'est la pharmacothérapie qui en a eu raison dans les années 1970, soutenue par des mesures de prévention appropriées.

Pour en savoir davantage sur l'historique, la pathologie et le traitement de la tuberculose, consultez le livre The Cambridge World History of Human Disease, publié sous la direction de Kenneth F. Kiple. Vous pouvez aussi communiquer avec l'Association pulmonaire du Canada ou l'Organisation mondiale de la Santé.

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