Un séjour au sanatorium: diverses expériences vécues par des patients tuberculeux de Terre-Neuve au 20e siècle

La tuberculose était l'une des maladies infectieuses les plus fréquentes au 20e siècle et des milliers de personnes en ont été atteintes. Terre-Neuve avait un taux particulièrement élevé de tuberculose et, du début des années 1900 aux années 1970, de nombreuses personnes ont souffert ou sont mortes de cette maladie. Certaines personnes étaient traitées à domicile ou à l'hôpital, mais la plupart étaient envoyées au sanatorium de St. John's ou de Corner Brook où elles devaient faire de très longs séjours. Les sanatoriums étaient des hôpitaux servant à isoler et à traiter les personnes souffrant de tuberculose et leur aménagement permettait aux patients de se reposer, de recevoir des soins et de guérir. Les expériences vécues par les patients atteints de tuberculose n'étaient toutefois pas toujours faciles.

Sanatoriums, tuberculose et soins médicaux

On envoyait les patients atteints de tuberculose au sanatorium pour deux raisons. En premier lieu, c'était pour isoler un patient contagieux de sa collectivité ou le mettre en quarantaine dans le but d'éviter la propagation de la tuberculose. En deuxième lieu, c'était pour lui donner les soins appropriés. Il s'agissait initialement d'une « cure de repos » au cours de laquelle le patient était bien nourri, prenait beaucoup de repos et, surtout, profitait de l'air frais. Les médecins croyaient que cette approche était nécessaire à la guérison et que le repos associé à une alimentation saine pouvait multiplier les chances de lutter contre l'infection.

Les patients des sanatoriums passaient habituellement beaucoup de temps en plein air. Sur certaines photos de l'époque, on les voit parfois dans leur lit sur les balcons de l'établissement, souvent bien emmitouflés pour braver le froid. On laissait souvent les fenêtres ouvertes pour faire entrer l'air frais et il n'était pas rare que des malades trouvent de la neige dans leur lit au petit matin s'ils avaient dormi près d'une fenêtre ouverte.

Les séjours au sanatorium étaient parfois très stressants. Même si les soins pouvaient varier selon les programmes et les croyances de chaque établissement et des médecins qui y étaient rattachés, l'activité physique et mentale était souvent extrêmement réduite. Les visites des membres de la famille et des amis étaient limitées, voire complètement interdites. L'isolement et l'ennui étaient donc deux des pires difficultés vécues par les tuberculeux et plusieurs d'entre eux passaient une année ou plus au sanatorium.

Dans les années 1930, on avait souvent recours aux traitements chirurgicaux dans les cas de tuberculose (au Canada, par exemple, environ 35 % des patients tuberculeux ont subi une opération dans les années 1940). Ces interventions chirurgicales étaient variées, mais elles comprenaient habituellement l'insertion d'air ou de matières inertes dans la cavité pleurale afin de provoquer un pneumothorax (affaissement pulmonaire) et favoriser ainsi le repos du poumon rétracté et la guérison des lésions et des cavités. Un traitement plus draconien consistait à retirer des côtes aux patients pour provoquer un collapsus pulmonaire. Ces interventions, qui étaient parfois un succès, étaient souvent douloureuses en plus de détériorer le corps du malade. Par exemple, un patient à qui on avait retiré des côtes pouvait se retrouver bossu ou avec des épaules de hauteur inégale. Les patients devaient souvent subir plusieurs chirurgies visant à leur enlever des côtes. La guérison était souvent très douloureuse et la chirurgie elle-même pouvait provoquer leur mort.

La tuberculose était aussi assez débilitante lorsque les articulations ou les os étaient atteints. La colonne vertébrale est le site le plus fréquent de l'infection osseuse due à cette maladie et dans de tels cas la tuberculose peut détruire la structure rachidienne et rendre le patient bossu ou lui infliger un autre type de déformation. Cette maladie peut aussi attaquer les hanches et les genoux et limiter sérieusement la capacité de bouger et de marcher du patient. Les personnes dont la colonne vertébrale ou les articulations étaient atteintes de tuberculose requéraient souvent une opération pour limiter les dommages, lesquels pouvaient ultérieurement entraver la mobilité de l'articulation. On les confinait parfois dans un cadre de Stryker, un lit permettant d'immobiliser une partie du corps. Elles avaient souvent besoin d'un appareil orthopédique ou de béquilles pour marcher.

Même si les effets secondaires du traitement chirurgical étaient souvent sérieux, l'époque où l'on a eu recours à la chirurgie dans les cas de tuberculose n'aura duré qu'une vingtaine d'années environ. Dans les années 1950, les interventions chirurgicales ont été largement remplacées par des traitements pharmaceutiques. Les médicaments ont révolutionné le traitement de la tuberculose pour mettre fin à l'ère des sanatoriums.

La vie au sanatorium (1940-1970)

Dans les années 1940, les sanatoriums n'étaient plus seulement des établissements où les patients étaient mis en quarantaine pour se reposer. Ils avaient été transformés en centres de soins plus perfectionnés où les médecins faisaient des chirurgies et supervisaient le régime alimentaire et les activités des malades. L'alimentation était saine et abondante, mais les patients se plaignaient du manque de variété. Le repos au lit était hautement recommandé et on décourageait les patients de faire de l'activité physique. Des traitements pharmaceutiques ont été offerts dès les années 1940 et les régimes médicamenteux ont remplacé progressivement les interventions chirurgicales.

Les patients faisaient néanmoins de longs séjours au sanatorium. Pour contrer l'isolement et l'ennui, ils pouvaient prendre des cours de dessin, faire du théâtre ou de la radio, et écrire dans des publications consacrées à la vie avec la tuberculose. Ils s'adonnaient à divers loisirs tels que la construction de maquettes de bateaux et de postes de radio. Écrire des lettres aux journaux et aux stations de radio était un passe-temps populaire de même que composer des poèmes et des chansons. Dans les années 1940 et 1950, la brasserie Dominion Ale a organisé un concours hebdomadaire de composition de refrains publicitaires et le gagnant recevait une boîte de chocolats Ganong. Les patients du sanatorium composaient des chansonnettes comme celle-ci :


There once was a guy from Oderin
Whose home-brew was everyone's minion
But Dominion's great fame
Put his home-brew to shame
At least, that's my humble opinion!
[Texte original]

Certains patients plus entreprenants trouvaient des façons novatrices de se tenir occupés et de faire un peu d'argent de poche. Un patient a organisé des paris sur le hockey consacrés aux scores des Maple Leafs de Toronto. Cette activité contrevenait aux règlements du sanatorium de St. John's bannissant les jeux de hasard et l'écoute de la radio après 22 heures, mais le personnel fermait apparemment les yeux. Certains patients exploitaient une cantine et vendaient entre autres des cigarettes et des lames de rasoir, et d'autres se transformaient en barbiers.

L'éloignement de la famille et des amis était l'une des pires contrariétés vécues par les patients atteints de tuberculose. Plusieurs résidants des sanatoriums étaient de jeunes célibataires sans famille, mais il y avait aussi beaucoup de femmes et d'hommes mariés qui avaient des enfants et qui s'efforçaient de se débrouiller sans eux. À Terre-Neuve, la cellule familiale standard était composée d'une mère, d'un père et d'enfants dépendants de leurs deux parents. Le fait que l'un ou l'autre se retrouve au sanatorium pouvait créer d'énormes difficultés.

La correspondance était une activité courante et les autorités sanitaires encourageaient les amis et la famille à écrire régulièrement aux patients. Les visites étaient parfois permises, mais elles étaient réduites au minimum afin d'empêcher la propagation de la maladie et l'augmentation du stress chez le patient. Dans les années 1940 et 1950, la station de radio VONF diffusait une émission spéciale du temps des fêtes intitulée Christmas at the Sanatorium. Les patients étaient invités à lire en ondes leurs vœux de Noël et du Nouvel An à leurs amis et à leur famille, le tout accompagné de divertissement musical.

Toutes ces activités soulageaient la solitude, mais elles n'étaient pas en mesure de remplacer les contacts réguliers avec la famille et les amis. De nombreux patients ont noué de belles amitiés au sanatorium et ils s'amusaient à jouer aux cartes, aux dames ou aux échecs avec leurs compagnons. Il n'est donc pas étonnant que plusieurs d'entre eux aient rencontré leur conjoint pendant leur séjour au sanatorium.

Ergothérapie et rééducation

L'ergothérapie a été introduite à Terre-Neuve au début des années 1900, notamment grâce à Wilfred Grenfell, qui souhaitait offrir aux patients et aux résidants du nord de Terre-Neuve-et-Labrador qui vivaient dans une grande pauvreté la possibilité de s'entraîner et d'acquérir une expérience de travail. Dans les années 1950, le traitement de la tuberculose s'est amélioré et il comprenait des séances d'ergothérapie et de rééducation professionnelle. Les patients qui avaient séjourné au sanatorium pendant une année ou plus pouvaient rarement espérer trouver un emploi à leur sortie. Il leur était difficile de lancer leur carrière lorsque la tuberculose ou les soins reçus avaient provoqué une infirmité ou une incapacité permanente ou si les médecins leur recommandaient de faire uniquement des travaux légers. À Terre-Neuve-et-Labrador, la plupart des emplois comportaient du travail manuel difficile dans les secteurs des pêches, des mines ou de l'industrie forestière, et les ex-patients tuberculeux avaient peu de chance de trouver un emploi convenable.

Pour surmonter ce problème, le sanatorium de St. John's a créé le Programme de réadaptation par le travail en 1948 et collaboré avec le Service d'éducation aux adultes afin d'offrir une formation aux patients dans différents domaines tels que la comptabilité, le secrétariat, la réparation de radio et l'horlogerie. Ce programme a été enrichi, par la suite, par un fonds d'emprunt permettant aux ex-patients d'acheter des outils et de l'équipement. Les programmes de formation pour patients ont offert par la suite des programmes dans des écoles professionnelles ou techniques. De 1950 à 1970, environ 2000 ex-patients des sanatoriums de St. John's et de Corner Brook ont reçu une formation qui leur a permis de trouver un emploi ou poursuivre une carrière.

Les associations antituberculeuses et les sanatoriums aidaient aussi les patients à se lancer en affaires. L'Association antituberculeuse terre-neuvienne (The Newfoundland Tuberculosis Association), par exemple, procurait de l'argent et du soutien aux patients au moment de leur sortie. Luke Foote, de Lamaline, a bénéficié de ce programme. Il avait occupé divers emplois avant d'être admis au sanatorium de St. John's en 1950, à l'âge de 24 ans. Il y a passé 23 mois et a subi une thoracoplastie et un traitement à base de streptomycine. À sa sortie, on lui a recommandé de ne pas travailler pendant six mois. Mais Foote devait prendre soin de sa jeune famille et il s'est lancé en affaires en ouvrant un petit dépanneur dans sa maison. En 1957, il a sollicité l'aide de l'Association antituberculeuse terre-neuvienne pour lancer une entreprise de nettoyage à sec à Fortune. Edgar House, directeur de l'association, a permis à Foote et à son associé (un autre ex-patient du sanatorium) d'aller travailler pendant trois mois dans des entreprises semblables de St. John's pour apprendre le métier de nettoyeur et il leur a prêté de l'argent pour acheter de l'équipement. Foote a exploité son entreprise avec succès jusqu'en 1975 et il a embauché de nombreux patients du sanatorium au fil des années.

La longueur et la nature interminable du traitement de la tuberculose au 20e siècle obligeaient de nombreux patients à passer de longues périodes au sanatorium pour recevoir des soins et se rétablir. Ces soins duraient en général une à deux années, mais il n'était pas rare que des patients y passent cinq années ou plus. Certains quittaient parfois l'établissement après un long séjour, apparemment en bonne voie de guérison, mais il arrivait qu'une rechute entraîne leur réadmission pour un autre séjour de longue durée.

Plusieurs de ces patients étaient dans la fleur de l'âge et il n'était pas rare qu'un jeune homme ou une jeune femme passe une grande partie de sa jeunesse ou de sa vingtaine au sanatorium. Le soutien de leur famille, de leurs amis et de groupes comme l'Association antituberculeuse terre-neuvienne pouvait augmenter leurs chances de décrocher un emploi, mais plusieurs d'entre eux éprouvaient des difficultés à leur sortie. Même si les sanatoriums étaient les principaux lieux de soins pour les patients de tuberculose au 20e siècle, les nombreux mois qu'ils passaient à lire, jouer à des jeux ou à profiter simplement d'une « cure de repos » ne garantissaient aucunement qu'ils seraient en mesure de mener une vie normale à la fin de leur séjour.

English version